Fil d'Ariane
Sur un marché de Dantokpa, les mauvaises odeurs ne semblent pas décourager une cliente qui nous confie : « Quand c’est décongelé, je n’aime plus acheter ». Les morceaux qu'elle a choisis sont pourtant décongelés. Les décongélations à répétition en ont même changé la couleur.
Pourtant, la vendeuse l'assure : « c’est le soleil qui leur donne cette couleur ». Rien ne se perd, la commerçante les vendra à moitié prix. Tout s’achète à Cotonou, au Bénin, sur le plus grand marché d’Afrique de l’Ouest, de la taille d’une trentaine de terrains de football.
Ici, nous sommes dans la zone de vente du poulet local, appelé « bicyclette ». Il n‘attire plus autant de clients qu’autrefois. « Ce poulet est meilleur que le congelé car tu l’achètes vivant et on le découpe, assure une vendeuse. Tu récupères le gésier, le foie, la tête, le cou avec tout le reste. Le congelé nous ne savons pas d’où il vient, on emmène ça avec de la glace et on vient vendre ici. »
Mais pour manger ce poulet bicyclette, choisi vivant, il faut payer, entre 3000 et 3500 francs CFA, environ 5 euros, le double du poulet morgue, un luxe pour beaucoup de Béninois. « Ces poulets sont meilleurs que le congelé car ils n’ont pas avalé des médicaments. Ils ne pourrissent pas vite », souligne une vendeuse.
Le business de la volaille congelée est colossal : 150 mille tonnes déversées au Bénin, chaque année, via le port de Cotonou. Le triple d’il y a une quinzaine d’années.
« Ces produits sont conservés malheureusement pendant des années. Ils sont obligés d’inoculer des substances qui conservent le plus longtemps possible, explique Robin Accrombessi, président de l’association, 'La Voix des consommateurs' : nous sommes tous en danger de mort permanent parce qu’il va se retrouver dans une sauce ou dans une gargote ou même dans des restaurants où nous allons consommer sans même savoir que ce sont des produits qui ont été décongelés, qui ont subi la rupture de la chaîne de froid plusieurs fois ».
Emma Codo, cuisinière de formation s’est spécialisée dans la préparation de plats bons pour la santé… elle n’utilise que des produits frais pour sa clientèle exigeante sur la qualité des ingrédients.
« Je ne fris pas le poulet dans l’huile, je le fais braiser, explique Emma Codo, cuisinière de formation. C’est meilleur au goût et nous ne préparons que des poulets locaux . Nous avons beaucoup de maladies, les gens disent que c’est dû aux produits congelés, mal conservés. Les produits congelés en eux- mêmes ne rendent pas malades car ils sortent tard du port. Ce n’est pas bien pour nous les cuisinières. »
Ce qui est sûr, c’est que Cotonou connaît une flambée du nombre de cancers. Pour ce médecin du CNHU, le plus grand hôpital de la ville, les cancers font des ravages. Huit fois plus qu’il y a 25 ans, selon les statistiques de l’hôpital publique. Le médecin pointe du doigt les produits congelés.
Une protéine dénaturée est cancérigène.
Fabien Houngbe, médecin au CNHU
« Chez nous quand la viande arrive, les gens achètent ça et vont mettre dans leur frigos, souligne Fabien Houngbe, médecin au CNHU, option cancérologie et enseignant à la faculté des Sciences de la Santé de Cotonou. Et nous avons des coupures, du délestage. Tout cela contribue à la dénaturation des protéines. Une protéine dénaturée est cancérigène. Pour les gens qui ont des antécédents familiaux, ça vient renforcer le processus de cancérisation ».
Comment le consommateur peut-il s’assurer que ce qu’il achète est bon pour sa santé ? En théorie, tous les produits alimentaires importés passent au crible de l’agence béninoise, de sécurité sanitaire, des aliments (ABSSA), avant leur commercialisation.
Il existe au niveau des frontières terrestres, maritimes et aéroportuaires, un dispositif de contrôle des aliments, mais il y a dans tous les pays des importations frauduleuses. Certains produits traversent le contrôle.Sétondji Epiphane Hossou, directeur général de l’Agence Béninoise de sécurité sanitaire des aliments (ABSSA).
L’année dernière, ce sont 23% des produits contrôlés, importés et locaux qui n‘ont pas pu franchir la barrière du contrôle sanitaire selon l’ABSSA. Problème : celle qui veille à la santé des consommateurs ne publie aucune liste des aliments interdits. Et sur les marchés, rien n’indique clairement que les produits ont été inspectés.
« Je vois par exemple qu’ici il n y a pas de poinçon qui permet de voir si le produit a été contrôlé, analysé par l’ABSSA ou le Laboratoire centrale de sécurité sanitaire des aliments », reconnaît Robin Accrombessi, président de l’association, « La Voix des consommateurs ».
« C’est vrai qu’il faut mettre un insigne sur un pays qui est contrôlé mais au niveau du port vous savez il faut accélérer les procédures, reconnaît Sétondji Epiphane Hossou, directeur général de l’Agence Béninoise de sécurité sanitaire des aliments (ABSSA) . Il n y a pas le temps nécessaire pour mettre une marque. Mais c’est quand l’échantillon est contrôlé par lot, il revient à l’opérateur qui a passé son produit au contrôle, de pouvoir mettre aussi un tampon. »
Par expérience, Emma Codo évite les conserves de tomates concentrées, pourtant très prisées dans les sauces. « Çà, c’est la sauce de mouton aux tomates naturelles, raconte Emma Codo. Je n‘utilise pas les tomates en boire car nous avons constaté, que la couleur de la viande changeait. Donc pour avoir une belle et bonne sauce, il faut utiliser la tomate fraîche avec de l’oignon et beaucoup d’ails.»
Produits congelés douteux, conserves et arômes trop riches en sel. En 2017, environ 400 échantillons sont passés par le laboratoire en charge du contrôle alimentaire. Mais son champ d’analyses est encore limité.
« On voit bien que sur plan environnement pathologique, quelque chose a changé. Donc on doit chercher les explications. Les gens qui viennent en ville, on des distances de plus en plus longues, donc ils ne mangent plus souvent chez eux. Ils mangent ce qu’il trouve, ils mangent de plus en plus salé », raconte Martin Houenassi, Cardiologue au CNHU de Cotonou.
Les consultations pour hypertension artérielle ne désemplissent pas. Une enquête réalisée il y a trois ans, par le ministère de la Santé révèle des chiffres alarmants. 98 % de la population adulte risque de contracter une maladie liée à une mauvaise alimentation.
Même si les services de santé multiplient les campagnes de sensibilisation, le message a du mal à passer. Dans un pays où 98 pour cent de la population ne mange pas de fruits et où l'on mange deux fois plus de sel que ce que recommande l'OMS… Les habitudes ont la peau dure.