Fil d'Ariane
Lorsque Simon Mann arrive enfin à la barre lundi, la tension dans la salle d’audience est à son paroxysme. Cela fait sept heures déjà que le procès suit son cours dans une atmosphère de plus en plus électrique, jusqu’au témoignage très attendu de cet ancien officier de l’armée britannique.
L’homme est l’unique témoin cité par la défense de Teodorin Obiang, fils du président et vice-président de la Guinée équatoriale, jugé dans l'affaire dite des "biens mal acquis", devant le tribunal correctionnel de Paris. L’annonce de sa venue à Paris dans le cadre de ce procès historique avait suscité une immense curiosité… à la hauteur de la réputation du personnage. Car Simon Mann est loin, bien loin, d’être un témoin banal…
Ancien officier des forces Spéciales (SAS) de l’armée britannique, formé dans les rangs de la très élitiste Eton College, puis de l’Académie royale militaire de Sandhurst, Simon Mann défraye la chronique en 2004. Le 7 mars de cette année-là, l’ex-militaire, devenu entre-temps consultant en sécurité puis en industrie pétrolière, est arrêté à Harare, au Zimbabwe, alors qu'il s'apprête à embarquer dans un avion privé.
Simon Mann n'est pas seul mais en compagnie de 70 autres individus, tous des mercenaires à sa solde. A bord de l'appareil saisi, une cargaison d’armes d’une valeur de plus de 100.000 euros. La destination ? Malabo, la capitale d'un petit Etat pétrolier d'Afrique de l'Ouest, la Guinée équatoriale. La mission du commando ? Mener un coup d'Etat pour renverser le régime du président Teodoro Obiang Nguema Mbasago au pouvoir depuis 1979.
Car dans les années 1990, Simon Mann s'est recyclé dans le mercenariat, via deux sociétés militaires privées, la sud-africaine Executive outcomes créée en 1993, et la Sandline International créée deux ans plus tard. Après avoir oeuvré en Angola et en Sierra Leone, il est cette fois pris au piège au Zimbabwe.
Jugé et condamné par la justice sud-africaine à huit ans de détention, il en purge quatre, avant d'être extradé en 2008 en Guinée équatoriale, où il est cette fois condamné à une peine bien plus sévère : 32 années d'emprisonnement. En toute logique, Simon Mann aurait dû croupir en isolement dans la sinistre prison de Black Beach à Malabo.
Mais voilà que plus de treize ans après son coup d'Etat raté, on le retrouve aux côtés de l'Etat équato-guinéen et de la famille Obiang, cité comme témoin, pour défendre devant la justice française le régime et le fils même du dirigeant qu'il avait voulu renverser.
A la barre, Simon Mann, 65 ans, a belle allure. Très élégant en costume bleu nuit, le mercenaire n’a plus rien à voir avec l’homme qui avait fait la Une de la presse internationale en 2004. Il portait alors une barbe poivre et sel et l’uniforme gris des détenus de Chikurubi, une prison de haute sécurité au Zimbabwe.
A la présidente du tribunal qui lui demande s'il est mercenaire, il confirme, sourire aux lèvres, que "oui , j'ai été qualifié de mercenaire", avant d'expliquer comment après avoir été détenu et condamné à plus de 30 ans de prison, il s'est retrouvé libre comme l'air un an après son jugement en Guinée équatoriale.
"Après 18 mois d'emprisonnement en isolement, j'ai été gracié par le président", déclare-t-il. "Une partie de l'arrangement était que j'aiderais toute tentative de la Guinée équatoriale de poursuivre mes comparses d'alors, Severo Moto, Ely Calil, Mark Thatcher et tous les autres." Or selon l'ex-mercenaire, "certaines des personnes impliquées dans la tentative de coup d'Etat sont aussi impliquées dans ce dossier. Voilà mon lien (avec ce procès)."
La liste des personnalités accusées par Simon Mann d'avoir commandité ce coup est connue depuis des années : Mark Thatcher, fils de la Première ministre britannique aujourd'hui décédée, Ely Calil, homme d'affaires libanais, et Severo Moto Nsa, opposant équato-guinéen en exil, membre de la CORED, coalition de 19 associations et mouvements politiques, constituée partie civile dans ce procès. Mais lundi, Simon Mann, assisté par l'avocat de la défense Me Emmanuel Marsigny, est allé bien plus loin.
"Je n'ai pas de preuve écrite", dit-il avant de livrer son récit. A la barre, le sexagénaire affirme avoir en 2011 "averti" le président Obiang que le financier américain "George Soros et William Bourdon", ainsi que deux autres protagonistes du coup d'état raté de 2004, l'opposant Severo Moto Nsa et l'homme d'affaires Ely Calil, "cherchaient à l'écarter du pouvoir".
"J'ai expliqué au président que ça pouvait être par n'importe quel moyen, y compris des moyens légaux", poursuivi Simon Mann. Selon lui, le président Obiang lui a alors montré un email de 2007, "émanant du bureau d'Ely Calil à M. Bourdon, pointant des détails sur le comportement du vice-président", Teodorin Obiang.
L'avocat de Teodorin Obiang, Me Emmanuel Marsigny, verse ensuite aux débats le fameux email de 2007, expliquant que ce document se trouvait dans les pièces de la défense du CCFD Terre Solidaire, ONG poursuivi par le président équato-guinéen en diffamation. Interrogé par Me Marsigny quant à savoir si c'est bien l'email que le président obiang lui a montré en 2011, Simon Mann répond prudemment : "Je ne peux pas être vraiment sûr, mais je crois, oui."
Questionné par la présidente, Simon Mann assure qu'il n'a pas été payé pour sa déposition devant le tribunal, mais défrayé pour ses "voyages et hôtels" et qu'il reçoit un "per diem". Les montants n'en sont pas dévoilés. Pas plus que les personnes qui versent ces sommes. "Je ne sais pas qui paie", s'est contenté de répondre le témoin.
Et lorsque la magistrate lui demande pendant combien de temps il doit "aider" M. Obiang, Simon Mann répond avec son flegme britannique : "il n'y avait pas de limite de temps" : "il n'y a jamais eu de 'quid pro quo' exact". On n'en saura pas plus, mais reste le soupçon d'une sorte de dette ad vitam aeternam vis-à-vis du régime Obiang.
Ex-président de l'ONG Sherpa et avocat de l'ONG Transparency international France, deux ONG parties civiles au procès, Me William Bourdon dénonce alors le procédé "immonde", "d'une extrême gravité" de la défense, qui "atteint le paroxysme de la salissure". Il demande que ces mises en cause soient actées, annonçant qu'il se réserve la possibilité d'engager des poursuites.
Pour William Bourdon, la défense procède ainsi en sachant qu'il n'a "pas la liberté" de se défendre, sauf à violer le secret qui s'impose à lui dans le cadre d'un incident disciplinaire entre avocats survenu il y a plusieurs années et géré par le Conseil de l'ordre.
S'ensuivent des échanges houleux entre les deux avocats, jusqu'à la fin du dernier témoignage du jour, celui de Jean Merckaert, journaliste et membre du conseil d'administration de l'ONG Sherpa.
Vendredi 30 juin, Me William Bourdon a déclaré dans un communiqué qu'il n'avait "jamais reçu" ce "prétendu" email, "qui apparait comme un faux grossier pour tenter d’étayer les propos du témoin".
L'avocat de Transparency international France dit en outre avoir démandé la "poursuite en diffamation des auteurs et complices des affirmations faites à l’audience lui imputant d’avoir participé à un complot et le dépôt d'une plainte à l’encontre des auteurs et complices de l’usage de faux commis".
Reste à savoir si les magistrats accorderont foi au témoignage d'un mercenaire dont le destin est désormais lié à la famille Obiang... Le procès de Teodorin Obiang, accusé de s'être frauduleusement bâti en France un patrimoine somptueux estimée à une centaine de millions d’euros, est prévu jusqu'au 6 juillet 2017.