Fil d'Ariane
Après une signature en juillet, les fonds alloués par l'Europe à la Tunisie dans le cadre du « partenariat stratégique » sur l’immigration devraient bientôt être débloqués, malgré certaines tensions dans les relations et le contexte difficile pour les migrants subsahariens dans le pays.
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président tunisien Kaïs Saïed et la Première ministre italienne Giorgia Meloni au moment de la signature de l’accord, dimanche 16 juillet 2023. Présidence tunisienne via AP.
La Commission européenne a annoncé vendredi 22 septembre qu'elle allait commencer à allouer « rapidement » les fonds prévus dans le cadre de l'accord conclu avec la Tunisie afin de faire baisser les arrivées de migrants depuis ce pays.
L’Union Européenne et la Tunisie avaient signé le 16 juillet un « partenariat stratégique » sur l’immigration. L’accord s’est conclu lors d’une seconde visite de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de la cheffe du Conseil des ministres italien Giorgia Meloni et du Premier ministre néerlandais Mark Rutte à Tunis.
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La Commission a annoncé que sur les 105 millions d'euros d'aide prévue par cet accord pour lutter contre l'immigration irrégulière, quelque 42 millions d'euros allaient être « alloués rapidement ». Auxquels s'ajoutent 24,7 millions d'euros déjà prévus dans le cadre de programmes en cours. Cette aide doit servir en partie à la remise en état de bateaux utilisés par les garde-côtes tunisiens. Elle est aussi destinée à la coopération avec l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), et pour des opérations de retour de ces exilés depuis la Tunisie vers leurs pays d'origine.
En outre, l'exécutif européen a mis en avant le déboursement « dans les prochains jours » d'une aide budgétaire de 60 millions d'euros pour la Tunisie, déjà prévue avant le partenariat de juillet.
Ce protocole d'accord entre la Tunisie et l'UE prévoit en plus une aide budgétaire directe de 150 millions d'euros en 2023, pour éviter l’effondrement économique du pays, et ses conséquences sur l’Europe voisine.
Si certains États, peu consultés, n’étaient pas satisfaits de la manière dont l’accord avait été conclu, d’autres, comme l’Italie, y voient au contraire un « modèle » dans les relations entre l’Union Européenne et les pays d’émigration.
« Le même programme pourra également être utilisé avec d'autres pays d'Afrique du Nord », avait ainsi déclaré le 20 septembre Giorgia Meloni, y voyant la « solution la plus logique » à la crise migratoire. L'Égypte ou le Maroc sont notamment cités.
Au moment de la signature de l’accord, la cheffe du gouvernement d’extrême-droite italien, avait déjà salué « une nouvelle étape importante pour traiter la crise migratoire de façon intégrée ».
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L’Italie est le premier pays européen vers lequel arrivent les migrants qui partent clandestinement de Tunisie, qu’ils soient Tunisiens ou subsahariens. Selon les chiffres de Rome, ils étaient 32 000 au total en 2022, avant une forte augmentation en 2023.
Frontex a aussi signalé le 14 septembre que « le nombre de détections de franchissements irréguliers aux frontières extérieures de l'UE » avait atteint « le total le plus élevé pour la période janvier-août depuis 2016 », principalement en raison d’une augmentation de 96% des traversées irrégulières dans la zone « Méditerranée centrale », par rapport à l’année dernière. Les nationalités les plus représentées parmi ceux qui arrivaient jusqu’à l’Europe étaient des Tunisiens, des Ivoiriens et des Guinéens.
Ces statistiques montrent que les migrants subsahariens, de moins en moins en sécurité sur le territoire tunisien, veulent désormais le quitter plus vite. Victimes d’une offensive raciste de la part des autorités tunisiennes en février, des centaines d’entre eux avaient même été déportés dans le désert, près des frontières, durant l’été.
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C’est notamment cette situation qu’affrontent les exilés subsahariens en Tunisie qui a conduit des ONG, des journalistes ou des activistes des deux côtés de la Méditerranée à critiquer la signature de l’accord entre l’UE et la Tunisie. Elle n’avait été abordé qu’indirectement lors des visites européennes à Tunis, sans garanties suffisantes selon les oppositions. Une tribune, signée par 379 chercheurs et membres de la société civile, avait notamment été publiée le 14 août pour dénoncer le mémorandum et les politiques d’externalisation des frontières de l’UE.
Des observateurs ont aussi noté que ce partenariat se matérialisait à peine une dizaine de jours après une tension entre Bruxelles et Tunis : l’interdiction faite à des parlementaires européens de rentrer sur le sol tunisien, pour une visite incluant des rencontres avec des opposants. Selon le média tunisien Inkyfada, cette interdiction surprise illustrait les relations « à géométrie variable » entre la Tunisie et l’Europe.