Blaise Compaoré : son bilan politique

Alors que l’armée burkinabée doit assurer la transition après la démission du président Blaise Compaoré, ce dernier s’est refugié en Côte d’Ivoire avec l’aide de la France. En 27 ans de pouvoir, l’ex-putschiste s’est imposé comme un médiateur essentiel en Afrique et un allié des Occidentaux. Retour sur un bilan politique contrasté. 
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Blaise Compaoré : son bilan politique
Blaise Compaoré, l'ex-président du Burkina Faso © AFP
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Au pouvoir depuis 27 ans, Blaise Compaoré souhaitait modifier la Constitution, sans référendum, histoire de briguer un mandat supplémentaire. Une décision qui a provoqué l’embrasement du pays qui incarnait, autrefois, un modèle de stabilité politique et de sécurité en Afrique de l’Ouest.  
 
Pour trouver refuge en Côte d’Ivoire, Blaise Compaoré aura bénéficié de l’aide de la France, son amie de longue date. "Il a d’excellentes relations avec les chefs d’Etat français, car il a l’image d’un homme respectable. Il est le relais des positions et des intérêts français dans la région", assure Seidik Abba, journaliste, écrivain et analyste de l’actualité africaine. C’est ainsi, qu’au fil des années, le "beau Blaise", comme il est surnommé, a su faire du Burkina Faso un pays incontournable dans la région. 

Blaise Compaoré : son bilan politique
Accusé par l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo (à gauche) de soutien aux rebelles ivoiriens, après la tentative de coup d’Etat de septembre 2002, Blaise Compoaré deviendra plus tard le principal médiateur dans cette crise © AFP
Médiateur indispensable 
 
"Blaise Compaoré est comme le kub Maggi en Afrique… Il était dans toutes les sauces". C’est ainsi que le journaliste spécialiste de l’Afrique, Francis Kpatindé, interrogé par Libération, décrit la présence de l’ex-chef de l’Etat burkinabé dans de nombreuses crises africaines depuis les années 1990. En effet, le Burkina Faso a été directement "impliqué dans sept crises ouest-africaines", selon le rapport de l’International Crisis Group. 
 
Pour Francis Kpatindé, Compaoré était, en quelque sorte, le successeur de Houphouët Boigny, ancien président de la Côte d’Ivoire mort en 1993. Il était l’interlocuteur des Français en Afrique de l’Ouest. "Le chef de l’Etat burkinabè a su se rendre indispensable à ces deux partenaires (la France et les Etats-Unis, ndlr), en vendant l’image d’un pays pauvre mais entreprenant, bien administré, capable de régler les crises de la région ou de faire libérer à l’aide de ses réseaux des Occidentaux détenus par les mouvements islamistes opérant dans l’espace sahaélo-saharien", assure un rapport de 2013 de l’International Crisis Group. David Mauger de l’Association survie, interrogé par TV5MONDE, pense qu’ Alassane Ouattara, l’actuel président ivoirien, est "en train de reprendre le flambeau" de Compaoré.
 
S’il ne possédait pas l’expérience ni le passé de Félix Houphouët Boigny, l’ex-président burkinabé a su se constituer un réseau auprès des différents protagonistes des guerres sur le continent. Ce qui lui a permis de devenir un acteur influent. "Dans le cas de la Côte d’Ivoire, il avait des relations particulières avec la rébellion qui faisait qu’il était écouté. Les rebelles lui étaient redevables et quand il y avait un blocage, il pouvait faire avancer les choses. Il a des atouts en main lorsqu’il s’engage dans une médiation", assure Seidik Abba. 
 
Son rôle d’intermédiaire lui vaut d’être félicité lors de ses visites à Paris. Selon RFI, le 5 juin 2013, la socialiste Elisabeth Guigou, lui adresse ces félicitations : "Monsieur le président de la République, merci. Ces applaudissements, qui ne sont pas systématiques dans notre commission, témoignent de notre gratitude pour le rôle que vous jouez et pour la vision que vous avez du développement de votre pays et du continent africain". Un message qui traduit bien l’image que Blaise Compaoré entretient auprès des ses homologues occidentaux et pas seulement la France. "Il devient également l’interlocuteur privilégié pour la plupart des internationaux : la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et toutes les grandes puissances occidentales", souligne Louis Keumayou, invité sur le plateau de TV5MONDE. Avant d’ajouter : "Elles pensaient toutes que le meilleur pompier dans la zone était Blaise Compaoré". 

Blaise Compaoré : son bilan politique
Blaise Compaoré a démissionné après les manifestations contre la modification de la Constitution burkinabè © AFP
Pompier pyromane ? 
 
Médiateur ou pyromane ? Pour certains observateurs, l’ancien chef de l’Etat burkinabé a joué sur les deux tableaux. En effet, si sa participation en tant qu’intermédiaire dans plusieurs crises africaines s’est avérée effective, certains spécialistes des conflits en Afrique assurent que Blaise Compaoré aurait contribué à provoquer ces mêmes crises. 
 
Sur FRI, Francis Kpatindé, journaliste spécialiste de l’Afrique, évoque un exemple probant : "Charles Taylor, qui a été chef de guerre puis président du Liberia, avait sa maison à Ouagadougou. (…) Or, Blaise Compaoré s’est servi des hommes de Taylor pour mater la rébellion dans son propre pays et il a entraîné les troupes de Taylor pour aller à la conquête du pouvoir au Libéria". 
 
Pour appuyer son analyse, le journaliste insiste sur le rôle ambigu tenu par Blaise Compaoré dans la crise ivoirienne de 2002. Au début des années 2000, "les combattants du MPCI (Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire, ndlr), principal mouvement rebelle ivoirien rebaptisé par la suite Forces nouvelles, ont été entraînés et équipés par le Burkina Faso". Ayant compris cela, le président ivoirien Laurent Gbagbo "s’est dit qu’il fallait que le pyromane l’aide à éteindre le feu". Il a donc sollicité Blaise Compaoré pour qu’il négocie avec les rebelles ivoiriens, menés par Guillaume Soro. "Il a peut-être contribué à résoudre des problèmes internes à la Côte d’Ivoire, mais après avoir déstabilisé ce pays", assure Francis Kpatindé. Un constat que partage Bruno Jaffre, historien du Burkina Faso. Selon lui, Blaise Compaoré est à l’origine de "très nombreuses guerres qu’il y a eu dans la région : Sierra Léone, Liberia, Côte d’Ivoire. Il doit être jugé dans son pays". 
 
En 2001, plusieurs rapports de l’ONU mettent en cause l’ancien chef de l’Etat burkinabé dans des affaires de trafic d’armes et de diamants. Le rapport de l’Instance de surveillance des sanctions contre l’Angola désigne le Burkina comme un "pays d’opération essentiel" pour l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), qui a combattu contre le régime politique en place, de 1975 à 1991. 
 
Cette facette d’un Blaise Compaoré, "homme de guerre", tranche avec l’image du "sage" perçue par ses homologues occidentaux. Mais à l’intérieur de son propre pays, l’ex-président burkinabé est connu pour ses nombreux faux pas. 

"Assassin de Sankara"
 
Blaise Compaoré, militaire de formation, arrive au pouvoir en 1987 après un coup d’Etat. Dans sa jeunesse, il rejoint le Mouvement des jeunes officiers radicaux et devient compagnon de lutte de Thomas Sankara, militant anti-impérialiste et panafricaniste surnommé le "Che africain". Ensemble, ils feront la "révolution démocratique et populaire" en 1983, et Thomas Sankara prendra le pouvoir du pays. Lorsqu’il est assassiné, le 15 octobre 1987, dans des circonstances très troubles, Blaise Compaoré prend à son tour le pouvoir par un coup d’Etat. Ce dernier est accusé d’avoir tué le "Che africain", mais aucune enquête n’aboutira. Une plaie jamais refermée pour une bonne partie de la population burkinabée.
 
Aujourd’hui, "l’héritage Sankara est encore bien présent dans le pays. On voit passer beaucoup de motos avec des autocollants de Thomas Sankara", note Damien Glez, directeur de publication délégué du journal satirique burkinabé Le journal du jeudi. Dans les articles de journaux, "il est rare d’en voir un qui parle de Compaoré sans mentionner 'l’assassin de Sankara'", assure Bruno Jaffre, historien du Burkina Faso et biographe de Thomas Sankara. "Ce sont surtout les jeunes qui le perçoivent encore comme l’assassin," du Che africain, ajoute Damien Glez. 
 
"Son image est plutôt positive sur le plan économique", nuance Edouard Ouedraogo, directeur du journal burkinabè L’Observateur Paalga. Il est même "considéré comme l’homme qui a ramené la paix et la démocratie dans le pays", note Damien Glez du Journal du jeudi."Mais les Burkinabés lui reprochent beaucoup de s’intéresser plus aux médiations extérieures qu’aux problèmes internes au pays", souligne Ouoba Boundi, rédacteur en chef du quotidien burkinabè Le Pays. 
 
Pour Seidik Abba, Blaise "traîne beaucoup de casseroles" à l’intérieur de son pays. "Il y a l’assassinat de l’universitaire Clément Ouedraogo qui n’a jamais été élucidé, l’assassinat de Norbert Zongo et la mort de Sankara, qui reste la plus emblématique. Blaise a été l’auteur de crimes politiques  et l’allié des dictateurs. Il y a une ambiguïté du personnage et cela montre son intelligence politique", observe-t-il. 

Le Burkina Faso : allié de l'Occident

L’ex Haute-Volta est devenue une importante plateforme militaire pour la France. Si le QG de l’opération Barkhane de lutte antiterroriste au Sahel, lancée en août 2014, est à N’djamena, au Tchad, « Ouagadougou reste le cœur nucléaire du dispositif français dans la zone », assure à Libération le spécialiste des questions militaires, Jean-Christophe Notin. Dans le cadre de cette opération, la France dispose d’une centaine d’hommes des forces spéciales, dotés d’hélicoptères, sur le sol burkinabè. D’après une source bien renseignée interrogée par Libération, « en permettant au militaires français de monter en puissance chez lui, le président Compaoré escomptait sans doute un soutien sans faille en retour ». 
 
L’autorisation pour les forces françaises de s’installer sur le territoire burkinabè a été donnée « au moment où les autres pays de la sous région manifestait une réticence à accepter des commando d’opérations spéciales », affirme Seidik Abba. Il précise : « Blaise Compaoré a accepté qu’il y ait un détachement chez lui, avant même qu’il y ait l’opération Serval (intervention française au Mali en 2013, ndlr). Son pays a joué un rôle important pour la présence française dans cette sous région ». 
 
Les Américains, eux, possèdent une base aérienne près de Ouagadougou, d’où décollent des drones et des avions pour surveiller le Sahara.  Si les relations entre le « pays des hommes intègres » (signification de Burkina Faso) et les Etats-Unis s’avèrent plutôt bonnes, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, le rapport de l’International Crisis Group explique que Washington reprochait au régime de Ouagadougou ses liens avec Charles Taylor (président du Libéria dans les années 1990) et Mouammar Kadhafi. « Mais le Burkina a pu renouer le contact en trouvant avec l’administration Bush un terrain de conciliation qui en fera le premier à ce jour, le seul pays d’Afrique de l’Ouest à accepter de cultiver le coton OGM de la multinationale américaine Monsanto », peut on lire dans le rapport. 
 
En plus d’accueillir les forces occidentales sur son territoire, Blaise Compaoré a longtemps participé aux règlements des conflits qui éclatent sur le continent africain. Il opérait en tant qu’intermédiaire.