Boko Haram : vers une réponse militaire d’ampleur

Le président tchadien Idriss Déby promet d'anéantir Boko Haram et d'éliminer son chef. Son pays est engagé dans la lutte contre la secte islamiste avec le Nigeria, le Cameroun et le Niger. Ces quatre pays peuvent-il remporter cette guerre contre les islamistes ? Explications. 
 
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Police élection Nigeria
Des patrouilles de police au Nigeria à Abuja le 7 février 2015 lors de manifestations suite à l'annonce du recul des élections. 
©AP Photo/Olamikan Gbemiga
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«Nous allons gagner la guerre et anéantir Boko Haram», c'est qu'a déclaré Idriss Déby, le président du Tchad, lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue nigérien Mahamadou Issoufou. Le chef de l'Etat tchadien a également affirmé savoir où se trouve Abubakar Shekau, le chef de la secte islamiste, et vouloir l'éliminer. Un discours musclé qui montre la détermination du Tchad à lutter contre les djihadistes nigérians qui sèment la terreur dans le Nord-est du Nigeria. 

Mi, février, le président camerounais Paul Biya avait déjà lancé le mot d'ordre : «Il nous faut éradiquer Boko Haram », devant d’autres chefs d’Etat lors d’une réunion organisée par la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) mi-février. 

La lutte contre le groupe islamiste nigérian s’organise et s’intensifie face à la multiplication des attaques. Désormais, Boko Haram ne se contente plus de perpétrer des attentats ou des violences sur le territoire nigérian mais aussi dans les pays limitrophes : Tchad, Cameroun et Niger. 

Face à l’impuissance et parfois la démission de l’armée nigériane, les pays voisins, ont décidé de prendre les armes. Le Tchad en tête. Avec le Cameroun, le Niger, le Bénin et le Nigeria, ils se sont engagés le 7 février à mobiliser une force militaire régionale de 8 700 hommes pour faire reculer Boko Haram.

Mais son entrée en action se fait attendre car un long processus de mise en place vient de débuter : « Il faut que le concept de l’opération soit validé par l’Union africaine, puis par le conseil de sécurité des Nations unies, explique Samuel Nguembock, chercheur associé à l’IRIS spécialiste des questions de sécurité et de défense en Afrique. Et au niveau de l’entité sous-régionale d’Afrique centrale, c’est-à-dire la CEEAC, là encore la procédure paraît longue.  Le dernier sommet qui s’est tenu à Yaoundé (Cameroun) lundi 16 février a abouti à d’importantes résolutions mais elles ne rentrent pas en vigueur immédiatement. »

Offensive terrestre 

En attendant que cette force multinationale n’agisse en mutualisant les forces armées, le président tchadien Idriss Deby a pris les devants en engageant des militaires au Cameroun ainsi qu’au Niger pour lancer une grande offensive terrestre sur le sol nigérian le 3 février (voir encadré). Aidée par des bombardements aériens, l’armée tchadienne a ainsi repris la ville de Gamboru tenue depuis des mois par le groupe islamiste.
 
La participation du Tchad qui possède une armée bien équipée, des soldats aguerris et une aviation performante, a soulagé le Cameroun deuxième pays à subir les attaques de Boko Haram. Le président Paul Biya avait mobilisé mi-2014 les troupes d’élite de son armée : le Bataillon d’intervention rapide (BIR). Le Cameroun a ainsi mobilisé 6 500 soldats dans la région d’extrême nord du territoire la plus menacée par Boko Haram.

Chiffres clés des armées engagées


- Armée nigériane : 80 000 soldats

- Armée tchadienne : 5 000 hommes engagés  au Cameroun puis au Niger pour lancer une première offensive terrestre le 3 février. 

- L'Assemblée nationale nigérienne a autorisé l'envoi de 750 soldats au Nigeria. 3 000 hommes ont déjà renforcé la sécurité à la frontière. 

- Le Cameroun, deuxième pays cible de Boko Haram compte actuellement 6 500 soldats déployés dans l'extrême Nord du pays. 

Récemment, le Niger a rejoint le combat depuis le 9 février avec l’envoi de 750 soldats au Nigeria après avoir renforcé son dispositif de sécurité à la frontière où 3 000 hommes sont déployés.
 
Toutes ces armées restent moins nombreuses que celle du Nigeria qui dispose théoriquement de 80 000 hommes, d’une aviation et de forces paramilitaires censées lutter contre Boko Haram. Mais ce dispositif n’est, pour l’instant, pas parvenu à juguler les violences du groupe islamiste et a été vivement critiqué dans le pays et par ses voisins.

Repli nationaliste

En dépit de ce déploiement militaire, Boko Haram poursuit ses attaques. Le groupe profite de la faiblesse de l’armée nigériane et de la lenteur de la coopération régionale pour étendre son emprise sur les territoires en disséminant ses membres dans la région. « On voit très bien la stratégie de Boko Haram qui consiste à ouvrir de nouveaux fronts sur les territoires des pays qui sont menacés. Et ceci a pour conséquence le repli nationaliste sur le plan sécuritaire », explique le chercheur Samuel Nguembock.

carte nigeria
©Google Map

Aujourd’hui, le groupe islamiste fait aussi payer aux Etats leur mobilisation tardive en mettant à rude épreuve leurs états major : « Dès que le groupe parvient à perpétrer des incursions sur les territoires tchadiens, camerounais et nigériens, souligne le chercheur Samuel Nguembock, les pays peuvent moins contribuer au plan offensif hors de leurs frontières et se concentrent davantage sur l’organisation de leur dispositif de protection nationale. Cela va limiter la capacité de mobilisation et de coordination régionale qui est en train de se préciser. »
 
La multiplication des fronts à couvrir entraîne un surcroît de moyens militaires à mobiliser : « Cela a pour conséquence un coût important en terme de logistique, de financement et de réorganisation. Or les Etats n’ont pas les moyens d’envoyer à la fois des contingents  à l’extérieur pour lutter aux frontières et ensuite d’assurer la sécurité nationale », observe Samuel Nguembock.

Union nationale

C’est le cas du Cameroun qui, avant l’entrée du Tchad dans l’échiquier, commençait à s’essouffler dans cette lutte contre Boko Haram : « Le pays a débloqué des moyens colossaux qui n’étaient pas prévu, ni enregistrés dans la loi de finance 2014 ni même dans les prévisions budgétaires de 2015. La menace n’a été pas suffisamment intégrée dans le financement des projets de développement », explique le chercheur.

Menacé par un ennemi impitoyable, jamais notre cohésion nationale n’a été aussi indispensable.

Le président camerounais Paul Biya

Si la participation du Tchad dans la lutte contre le groupe islamiste a permis aux autres pays de se réorganiser,  l’objectif du chef de guerre Idriss Deby était certainement, avant tout, de protéger sa capitale menacée par les avancées des combattants islamistes qui ont coupé certaines routes de ravitaillement. Dans un contexte déjà difficile de baisse du prix du baril de pétrole : « cela devient beaucoup plus nocif pour l’économie et la sécurité même du pays », avance Samuel Nguembock.
 
Au Cameroun, comme au Niger leur mobilisation militaire devient aussi un motif d’appel à l’union nationale. « Menacé par un ennemi impitoyable, jamais notre cohésion nationale n’a été aussi indispensable », a  lancé le président camerounais Paul Biya dans un discours télévisé. 
 
Au Niger plongé dans un contexte politique instable, le Premier ministre veut rassembler le pays autour d’un ennemi commun, appelant à un « sursaut national ». « Le Niger doit se mettre ensemble, tenir debout afin que (Boko Haram) n’ait pas raison de nous », a –t-il déclaré mardi 11 février.

Communauté internationale

Cette lutte contre Boko Haram, qui menace la stabilité de la région, ne pourra peut-être pas être menée sans une aide plus importante.
 
Le président tchadien qui se pose en capitaine de la lutte contre Boko Haram, a appelé les Etats de la CEEAC à « manifester leur solidarité agissante » et en invitant « la communauté internationale à apporter tout son soutien, matériel, diplomatique, financier, logistique et humanitaire».

Goodluck Jonathan
Le président du Nigeria  Goodluck Jonathan lors d'un événement sur un navire militaire à Lagos, le 19 février 2015.
©AP Photo/Sunday Alamba

 Dans une interview au Wall Street Journal, le président nigérian, Goodluck Jonathan appelait également « les amis » américains à se mobiliser : « Si le Nigeria a un problème, et bien j’attends des Etats-Unis qu’ils viennent nous aider. »
 
Pas de quoi inquiéter apparemment le chef de Boko Haram, Abubakar Sekau, qui dans une vidéo diffusée le 9 février s’attaquait à la coalition régionale : « Votre alliance ne mènera à rien. Rassemblez toutes vos armes et affrontez-nous. Vous êtes les bienvenus ! » Depuis 2009, le groupe qui s’est éparpillé dans la région, a déjà fait plus de 13 000 morts et 1,5 millions de déplacés dans le pays. Les pays de l’Afrique centrale auront-ils alors besoin d’une contribution des puissances étrangères pour vaincre Boko Haram, toujours plus véhément ?