Botswana : un avocat des droits humains, Duma Boko, devient président

Le principal parti d'opposition au Botswana a remporté la majorité absolue aux élections législatives. Une déroute historique du parti au pouvoir depuis l'indépendance du pays il y a près de 60 ans. Et c'est Duma Boko, un avocat des droits humains, candidat de la coalition de gauche qui devient président.

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Duma Boko quelques instant avant de déposer son bulletin dans l'urne dans un bureau de vote de Gaborone, le 30  octobre 2024.

Duma Boko quelques instant avant de déposer son bulletin dans l'urne dans un bureau de vote de Gaborone, le 30  octobre 2024. 

© AP Photo/Themba Hadebe
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La coalition de gauche Umbrella for Democratic Change (UDC) a gagné au moins 31 des 61 sièges à la chambre du parlement, a annoncé la commission électorale de ce pays d'Afrique australe, ce 1er novembre. L'UDC va donc pouvoir élire à la présidence son candidat Duma Boko, un avocat des droits humains de 54 ans, opposant de longue date et diplômé de Harvard.

Le président sortant Mokgweetsi Masisi a confirmé la rare stabilité sur le continent de la démocratie botswanaise en reconnaissant tout de suite ce 1er novembre sa défaite.

Le président Mokgweetsi Masisi parlant avec des journalistes après avoir voté dans le bureau de l'école primaire de Mosiele, dans le village de Moshupa, le 30 octobre 2024.

Le président Mokgweetsi Masisi parlant avec des journalistes après avoir voté dans le bureau de l'école primaire de Mosiele, dans le village de Moshupa, le 30 octobre 2024.

© AP Photo/Themba Hadebe


"Je souhaite féliciter l'opposition pour sa victoire", a déclaré le chef de l'État devant la presse. "Nous avons eu tout faux aux yeux du peuple", a-t-il reconnu face au désastre électoral de son camp, plombé par des accusations de corruption et une économie morose.

Le parti démocratique du Botswana (BDP), à la tête de l'ex-colonie britannique depuis 1966, ne sera au mieux que la troisième formation politique de la chambre. Voire la dernière, en fonction de la poignée de circonscriptions restant à dépouiller. À la défaite inattendue, s'ajoute son ampleur inconcevable pour le gouvernement. Masisi a précisé qu'il allait oeuvrer à "faciliter la transition". "Nous sommes tout à fait heureux de nous retirer pour devenir une opposition loyale qui demande des comptes au gouvernement", a ajouté avec élégance le dirigeant de 63 ans, qui a aussi tweeté ses félicitations à l'opposition.

Une économie fragile

L'économie du Botswana, pays largement désertique connu pour sa plus importante population d'éléphants au monde, repose principalement sur le diamant, de plus en plus concurrencé par des pierres de synthèse. Sa croissance poussive est attendue à 1% pour 2024.

"Le changement est là", a déclaré Duma Boko sur Facebook, alors que se dessinait nettement la victoire de son parti, fêtée dans la rue par des partisans de l'UDC flanqués de t-shirt à son effigie.
Il a dit son "humilité" face aux résultats et "l'intensité avec laquelle les gens ont voté", affirmant que cela "porte notre démocratie à un niveau supérieur", dans un court entretien au journal indépendant Mmegi. "Nous avons assisté à une transition démocratique réussie, pacifique et ordonnée", s'est-il félicité.

Revoir Le Botswana se prépare pour la présidentielle

Plus d'un million de personnes étaient invités à s'exprimer dans les urnes le 30 octobre, sur une population de 2,6 millions d'habitants. L'une des principales préoccupations des électeurs était le chômage en hausse (27%), surtout chez les jeunes (38%). Le gouvernement du président sortant était également accusé de corruption et de mauvaise gestion, dans ce pays classé parmi les plus inégalitaires au monde.

La popularité du BDP a faibli au fil des décennies, passant pour la première fois sous la barre des 50% lors des élections de 2014, lorsque Ian Khama, fils du premier président du Botswana, Sir Seretse Khama, était au pouvoir. Mais le parti s'attendait quand même à rester en place, Mokgweetsi Masisi ayant déclaré le jour du scrutin que "la victoire" était "certaine". Ian Khama, très critique de son successeur, a mené une campagne énergique ces dernières semaines, qui a sans doute contribué à la victoire de l'opposition, soulignent des experts.

Troisième tentative

Quant au nouveau président du Botswana, l'avocat spécialisé dans les droits humains Duma Boko, il aura fait preuve de patience. Parti de peu et diplômé de Harvard, il aura mis trois décennies à déboulonner le parti au pouvoir depuis 1966.

Sa troisième candidature à la présidence a été la bonne après ses vaines tentatives de 2014 et 2019. La coalition de gauche Umbrella for Democratic Change (UDC), qu'il a contribué à fonder il y a plus de dix ans, a remporté les élections de ce pays riche en diamants.

Duma Boko, comme la plupart des 2,6 millions de Botswanais, n'avait jamais connu d'autre couleur que le rouge du Parti démocratique du Botswana (BDP) à la tête du pays depuis l'indépendance du Royaume-Uni en 1966.

De Mahalapye à Harvard

Duma Boko vient d'un village perdu, niché à 200 kilomètres au nord de Gaborone, capitale de ce pays surtout désertique. À la différence de son prédécesseur, fils de député et de ministre, frère de parlementaire et de général, Duma Boko n'était pas prédestiné aux plus hautes fonctions. Cela ne l'a pas empêché, après un diplôme de l'Université du Botswana en 1993, d'obtenir un master à l'école de droit de Harvard en 1995.

Décrit comme scrupuleusement honnête, Duma Boko incarne aussi physiquement une forme de renouveau, porté par son charisme d'orateur plaideur et son style soigné, à l'image de sa raie tracée à la tondeuse.

C'est pourtant un vétéran de l'opposition botswanaise. Il a rejoint le Front national du Botswana à seulement 21 ans avant d'en prendre les rênes en 2010 et de le placer dans le giron de la coalition UDC.
"Duma Boko ferraille dans l'opposition depuis un certain temps", souligne Washington Katema, directeur de l'ONG Réseau de défense des droits humains en Afrique australe.

Peu auraient parié sur lui après les élections de 2019 quand l'UDC avait reculé en nombre de sièges par rapport à 2014 : deux de perdus, dont le sien. La scission avec le Parti du Congrès du Botswana (BCP) et le Front patriotique du Botswana (BPF), d'anciens alliés ayant quitté l'UDC, n'augurait pas d'une telle vague dans un scrutin uninominal à un tour.

"Ca m'a choqué", a d'ailleurs lâché le mesuré avocat au journal indépendant Mmegi ce 1er novembre, "que ce soit les scores où l'intensité avec laquelle les gens ont participé au vote. C'est avec beaucoup d'humilité que je leur promets de faire de mon mieux."