Fil d'Ariane
Premier Maghrébin champion olympique en remportant le marathon d'Amsterdam des Jeux 1928, sous les couleurs françaises, l'Algérien Boughera El Ouafi a connu un destin hors normes et tragique. Entretien avec Paul Carcenac, co auteur de la BD "L'or d'El Ouafi".
Boughéra El Ouafi lors de sa victoire en 1928 aux JO d'Amsterdam.
TV5MONDE : D'où vient Boughéra El Ouafi ? Comment arrive-t-il en France ?
Paul Carcenac : Boughéra El Ouafi est né dans l'Algérie française dans le sud de l'Algérie, pas très loin du début du Sahara. Il serait né le 15 octobre 1898, près de Biskra. Il vient d'un milieu modeste. Il fait des petits métiers pour vivre. Il est gardien de chèvres.
On se rend compte au sein de l'armée française qu'il a des capacités athlétiques. Et on lui fait débuter la course à pied.
Paul Carcenac, co auteur de la BD "L'or d'El Ouafi".
Il vient en métropole en 1918 durant la Première guerre mondiale. Il intègre les tirailleurs algériens. Il reste après la fin des combats au sein de l'armée.
Boughéra El Ouafi part en Allemagne car l'armée française occupe la région industrielle allemande, la Ruhr, au début des années 1920. On se rend compte au sein de l'armée française qu'il a des capacités athlétiques. Et on lui fait débuter la course à pied. Il participe à des critériums. Il développe cette fibre de la course à pied.
TV5MONDE : Comment se passe sa vie après avoir quitté l'armée ?
Il quitte l'armée et devient ouvrier chez Renault. Il continue la course à pied. Il s'entraîne pour participer au marathon des prochains Jeux olympiques qui se tiennent à Paris en 1924.
Il termine à la septième place. C'est une belle performance mais cela ne suffit pas à faire de lui une star de l'athlétisme. Il continue après les Jeux de Paris de s'entraîner tout en restant ouvrier chez Renault. Cela lui fait de bonnes journées.
TV5MONDE : En 1928, il participe aux Jeux d'Amsterdam. Il n'est pas favori.
Paul Carcenac : El Ouafi ne fait pas partie des favoris. Il va finir premier de ce marathon à la surprise générale. Avant la course, dans ce que l'on appelle aujourd'hui le village des athlètes. Il n'est pas du tout choyé par les représentants de l'athlétisme français. Il n'est pas attendu. Dans les médias français on ne parle pas beaucoup plus. Durant cette course, il décide de partir de manière prudente.
Ce marathon est vraiment une course tactique et c'est assez inédit dans la manière de courir. Il sait que cela va être une course longue (42 km) et difficile. Il attend son moment au 36ème km et il surgit, relativement frais. Il remporte la médaille d'or devant ses adversaires.
Il vient des colonies et il est peut-être moins célébré que des athlètes métropolitains.
Paul Carcenac, co auteur de la BD "L'or d'El Ouafi".
TV5MONDE : Comment est perçue cette victoire en France ?
Paul Carcenac : C'est la toute première victoire d'un Français dans le marathon. Il y avait eu une première victoire en 1900 dans le marathon. Mais le vainqueur était un Luxembourgeois qui s'était brouillé avec son pays et avait décidé de courir avec le maillot français. Donc El Ouafi est le tout premier.
Comment sa victoire est perçue en France ? Il a son quart d'heure de gloire dans la presse française. Il vient des colonies et il est peut-être moins célébré que des athlètes métropolitains. El Ouafi est considéré comme un Français lors de la course mais il est aussi ce que l'on appelle "un indigène", un sujet français des colonies.
TV5MONDE : Que fait-il après cette victoire historique au marathon ?
Paul Carcenac : Un nouveau monde s'ouvre à lui après cette victoire, un monde très différent de celui qu'il connaissait comme ouvrier chez Renault. Mais c'est pour lui difficile à gérer. Il a beaucoup de sollicitations de l'étranger. Il part aux Etats-Unis pour faire des courses face à de prestigieux adversaires qu'il avait battus aux Jeux. Il gagne de l'argent. Il participe à des courses dans des cirques. Et aux Etats-Unis, le cirque est un monde à part. On montre des bizarreries, des gens différents avec des femmes à barbe, des nains.
El Ouafi est montré dans des spectacles. On le fait courir contre des animaux. Il rentre ensuite en France. Il revient en France dans l'idée de participer aux Jeux de 1932 de Los Angeles pour défendre son titre. Mais il apprend qu'il ne peut pas participer aux Jeux. Il est radié par le mouvement olympique car il a été professionnel. Il a gagné de l'argent avec son sport.
TV5MONDE : Comment vit-il cette exclusion des Jeux de 1932 ?
Paul Carcenac : C'est terrible. On le coupe de son sport. On le coupe dans son élan. C'est le début de sa chute. Il a gagné de l'argent aux Etats-Unis. Il revient donc en France. Il veut acheter un bar. Il se fait arnaquer en France. Il perd tout son argent. Et il revient un peu à la case départ. Il est livré à lui-même. Après être monté très haut, il retombe très bas. Il reprend le chemin de l'usine. Il redevient ouvrier. Il travaillera dans la fabrication de rames de tramways. Il sombre dans l'oubli.
Voir : l'Algérien qui a fait gagner la France
TV5MONDE : C'est Alain Mimoum qui le rappelle au bon souvenir des Français ?
Paul Carcenac : Alain Mimoun remporte le Marathon des Jeux de 1956 à Melbourne. Alain Mimoun est reçu à l'Elysée par le Président de la république et Alain Mimoum, originaire aussi d'Algérie, fait inviter El Ouafi. A la fin des années 1950 et au début des années 1960, des journalistes vont aller voir El Ouafi chez lui et relater à nouveau l'histoire de ses exploits sportifs. Et c'est grâce à Alain Mimoun que Boughéra El Ouafi est sorti de l'oubli.
TV5MONDE : Comment Boughéra El Ouafi est perçu en Algérie ?
Paul Carcenac : Malgré les efforts d'une partie de sa famille pour le faire sortir de l'oubli en organisant des courses à son nom son souvenir à disparu en Algérie. Est-il un athlète algérien ou français. Il est né en Algérie mais c'est bien l'armée française qui l'a formé. Sportif français ? Sportif algérien ? C'est une histoire complexe.
Les circonstances de sa mort.
Sa mort par balles, celles du FLN selon certains, le 18 octobre 1959 à Saint-Denis, en banlieue parisienne s'est déroulée dans des circonstances jamais complètement élucidées. Elle est venue rappeler son statut: traître pour les nationalistes algériens, paria pour les Français.