Burkina Faso : la démocratie à l'épreuve des violences djihadistes

Face à la contestation populaire croissante, le président Kaboré a accepté la démision du premier ministre Dabiré après trois ans à la tête du gouvernement. Une décision attendue face à la détérioration de la situation sécuritaire qui menace l'existence même de l'Etat. Entretien avec Gilles Yabi fondateur du groupe de réflexion citoyen de l'Afrique de l'ouest Wathi.
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Manifestation Ouagadougou
Le 27 novembre, des manifestants à Ouagadougou demandent la démission du président Kabore après l'attaque djihadiste d'Inata qui a causé la mort de 57 personnes dont 53 gendarmes burkinabé. 
AP
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TV5MONDE : Face à l’échec sécuritaire la contestation n’a cessé de s’amplifier au Burkina Faso, dans ce contexte, la démission du PM Christophe Dabiré est-elle logique ?

Gilles Yabi, fondateur du think tank citoyen de l'Afrique de l'ouest Wathi​ : Cette démission était attendue. Le président avait lui-même annoncé son intention de changer de gouvernement après l’attentat d’Inata qui a fait 57 tués dont 53 parmi les gendarmes. Ce drame a provoqué une grande désillusion de la population et un appel pour un geste politique fort.

TV5MONDE : Après trois ans au gouvernement, en quoi le Premier ministre a-t-il échoué principalement ?

Gilles Yabi : Ce n’est pas forcément le gouvernement qui a échoué mais l’équipe au pouvoir dont le président Kaboré  lui-même. Le Premier ministre et le gouvernement lui permettent de se protéger, mais la responsabilité première du point de vue politique est celle du président.

Cela étant dit, là où il y a échec, c’est sur la sécurité qui n’a cessé de se détériorer depuis 2016 avec les premiers attentats, puis la détérioration s’est amplifiée à l’est et au nord.

Burkina Faso : démission du premier ministre et son gouvernement

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TV5MONDE : Quelles sont les revendications populaires des Burkinabés ?

Gilles Yabi : La première revendication des Burkinabés est la restauration d’un minimum de sécurité. Il s'agit au moins de freiner la dégradation de la situation sécuritaire qui se caractérise par le contrôle d’une grande partie du territoire par les djihadistes mais aussi par des milices d’autodéfense. Le pouvoir doit faire davantage pour assurer la protection des populations alors que la menace se rapproche même des grandes villes. Il y a aussi des revendications d'ordre social et économique mais elles sont aujourd'hui passées au second plan: la demande principale est une demande de sécurité liée à la crainte d'une perte de contrôle total du territoire. Même si des progrès ont été réalisés dans des secteurs importants comme celui de la santé, la question sécuritaire prend le dessus sur tout.   

TV5MONDE : Le massacre d’Inata de dizaines de gendarmes a été un catalyseur de la colère, mais la corruption et la faillite de l’Etat ont été particulièrement décriées : quelle leçon faut-il en tirer ?

Gilles Yabi : La tragédie d’Inata a frappé les esprits à cause du lourd bilan avec plus de 50 gendarmes tués mais aussi à cause de la polémique sur les conditions de vie de ces gendarmes sur le terrain. Il y a eu des fuites dans la presse et sur les réseaux sociaux qui ont montré que les gendarmes demandaient un approvisionnement  qui ne leur est jamais parvenu.

Cela constitue un élément d’aggravation de la colère des familles des victimes mais aussi de l'incompréhension de l’opinion publique qui s’interroge sur cette grave défaillance de l'Etat. Cela signifie qu'il faut revenir à des choses simples et basiques, à savoir mettre les soldats dans les conditions adéquates pour se battre contre des groupes armés qui sont eux organisés et motivés. 

Au Burkina Faso, les obsèques sous tension des gendarmes tués à Inata

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Un deuxième élément est que l’on ne peut pas mettre la fragilité du Burkina Faso sur le seul dos du pouvoir actuel. Il faut rappeler qu’il y a eu pendant des décennies le régime de Blaise Compaoré et que la chute de ce dernier a été suivie presque inévitablement d'une période de déstructuration du système de sécurité qui était par ailleurs d'abord destiné à la protection du régime. Il faut tenir compte de cette dimension historique pour comprendre les faiblesses structurelles de l’Etat burkinabé qui ont facilité l'implantation des groupes armés. 

TV5MONDE : La société civile burkinabé est à l’initiative de récentes mobilisations retentissantes, à l’instar de celle de la COPA contre le convoi militaire français, est-ce un signe de vigueur démocratique ?

Gilles Yabi : Il ne faut pas aller trop vite dans l'interprétation de l’action des organisations de la société civile comme celle que vous avez citée. Certains mouvements ont organisé récemment les jeunes pour bloquer le passage d'un convoi militaire français traversant le territoire burkinabè mais il y a d'autres organisations de la société civile plus établies comme le Balai citoyen et qui ont joué un rôle important dans la chute du régime de Compaoré.

(Re)lire : Convoi français bloqué au Burkina Faso : "Il ne faut pas qu'on se trompe d'ennemi", déclare le ministre Alpha Barry

On peut dire qu’il y a une tradition de vigueur de la société civile au Burkina Faso qui puise dans l'héritage de Thomas Sankara et l’on voit un degré de militantisme et d'engagement politique des jeunes plus fort qu’ailleurs dans la région.

Mais ce sur quoi il faut insister, c’est que la situation sécuritaire met en péril au-delà de la démocratie l’existence même de l’Etat. 

TV5MONDE : La majorité du pays se trouve en zone rouge, faut-il s’inquiéter des institutions démocratiques burkinabés face au péril des djihadistes ?

Gilles Yabi : Tant que l’Etat n’aura pas gagné en crédibilité, c’est-à-dire en efficacité en freinant la dégradation sécuritaire, cela mettra en péril les institutions démocratiques et la stabilité politique. Et on a vu qu’ailleurs, par exemple au Mali depuis 2012, la dégradation sécuritaire et l'incapacité à y répondre a fait le lit des coups d’Etat. Il faut absolument éviter ce scénario au Burkina Faso.

Voir aussi :

Le Burkina Faso est-il le maillon faible au Sahel ?

Le Burkina Faso et le Niger pris en tenaille entre échec sécuritaire et soutien à la France