Fil d'Ariane
C’est un détachement complet d’un convoi de l’armée qui a été anéanti. Et c’est l’une des attaques les plus meurtrières infligées aux forces armées du Burkina Faso et ce à quelques jours du scrutin présidentiel et des élections législatives du 22 novembre. Sur cette route de l'axe Tin-Akof-Beldabié dans le nord du pays, ce 11 novembre, un convoi de l'armée patrouille. Ils sont surpris par un groupe armé. Quatorze soldats trouvent la mort dans cette région proche du Mali et du Niger, une des plus touchées par les exactions des groupes djihadistes. Ce revers militaire s'ajoute aux nombreuses déconvenues de l'armée burkinabé. La plus grave attaque s'était produite le 19 août 2019, lorsque des djihadistes avaient frappé une base militaire à Koutougou (nord), tuant 24 soldats. Huit soldats trouvent la mort dans une attaque contre l'État-major des armées et l'ambassade de France le 2 mars 2018 dans la capitale du pays, Ouagadougou.
L’armée n’arrive pas à rétablir la sécurité dans le pays. En cinq ans, dans le pays des hommes intègres, plus de 1200 personnes (en majorité des civils) ont été tuées dans des attaques djihadistes entremêlées à des conflits communautaires. Et plus d'un million de personnes, ces cinq dernières années, ont dû être déplacées.
Des pans entiers du pays sont aujourd'hui inaccessibles en raison de l’insécurité constate Bakary Sambe politologue et directeur du think tank Timbuktu Institute ainsi que professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal. "Au-delà des 120 kilomètres autour de la capitale, l’Etat n’a plus la main. Plus de 8000 écoles ont été fermées. La question de la crédibilité de ces élections est posée", constate Bakary Sambe. En août dernier, l'Assemblée nationale du pays a dû modifier en urgence le code électoral afin que les élections puissent se tenir. Plus de 17% du territoire ne pourra pas voter, à cause de l'insécurité.
Aujourd'hui trois groupes djihadistes puissants opèrent en effet sur le territoire burkinabé : le groupe local Ansarul Islam, et deux groupes apparus au Mali, l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Et Le pays occupe une position stratégique pour ces groupes armés. "Le Burkina Faso est un verrou qui commande l'accès à ce que j'appelle l'Afrique côtière (NDLR: Ghana, Bénin, Togo) et les groupes armés veulent faire tomber ce verrou", estime le chercheur. "Le pays est hélas devenu un symbole de la régionalisation du conflit malien", ajoute l'universitaire Bakary Sambe.
Le pays avait été, jusqu'en 2015, pourtant relativement épargné par les conséquences du conflit au Sahel. Selon Mahamoudou Sawadogo chercheur et spécialiste des questions sécuritaires au Burkina Faso, l'un des tournants fut celui de la chute de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014. Militaire, le président Blaise Compaoré dirigeait le pays depuis son coup d'État en 1987. "Des unités ont été dissoutes et des cadres de l'armée ont quitté le pays. C'est une armée affaiblie qui a affronté les groupes armés à partir de 2015", décrit le chercheur.
L'unité la plus connue du régime de Blaise Compaoré était le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP). Cette 'garde prétorienne' dirigée alors par le général Diendéré est dissoute en 2015 par la toute nouvelle démocratie. «Avec ses 1 300 hommes, cette unité représentait près de 10% des effectifs de l’armée ; elle constituait un corps d’élite et surtout la base d’un service de renseignement extrêmement efficace », pointait dans un rapport de 2019 sur la question sécuritaire au Burkina Faso, l’International Crisis Group.
L'État burkinabé depuis cette dissolution essaie de reconstituer sa force militaire. "Une loi de programmation militaire a été votée pour essayer de mieux équiper les soldats, de mieux les entrainer, mais cela prend du temps. Il faut également reconstituer les capacités de renseignement", explique Mahamoudou Sawadogo, chercheur et spécialiste des questions sécuritaires au Burkina Faso.
La relative tranquillité dont avait profité le pays avant la chute du régime Compaoré peut toutefois surprendre. "On a parlé d’un pacte. Le pouvoir de Blaise Compaoré aurait laissé ces groupes constituer des bases arrières dans le pays dans leur lutte contre les forces maliennes et Barkhane en échange de la 'tranquillité.' Ce terme est trop fort. Il existait, c'est vrai, des liens entre des cadres du pouvoir de Blaise Compaoré et des groupes armés. L’Etat burkinabé a ainsi servi durant cette période d’intermédiaire entre les groupes djihadistes et les forces du Mali ou de Barkhane notamment dans la question des otages occidentaux. Ces groupes armés n’allaient pas attaquer le régime qui leur servait d’intermédiaire", explique William Assanvo, chercheur à l'Institut d'Etudes de Sécurité de Dakar (ISS Africa).
A partir de 2019, les forces françaises de Barkhane ont également renforcé leur présence dans la région du Liptako Gourma, dans la zone des trois frontières. "Les forces djihadistes, pour échapper aux frappes de Barkhane dans le sud du Mali mais également au Niger ont trouvé refuge dans le nord du Burkina Faso", avance Mahamoudou Sawadogo.
Mais la proximité du conflit malien, l'affaiblissement de l'armée ou la chute du régime de Compaoré ne suffisent pas à expliquer l'embrasement de la violence dans une grande partie du territoire. Cette violence dans la province du Soum (région frontalière avec le Mali) est certes liée effectivement à un débordement du conflit malien mais dans d'autres régions du Nord les causes s'inscrivent dans un contexte économique et sociale. ", estime William Assanvo de l'ISS Africa. " Ces zones sont le foyer de la contestation sociale qui a alimenté la contestation locale du pouvoir menée par un groupe djihadiste Ansour Al Islam", ajoute le chercheur. Les groupes djihadistes dans ces zones ont également en effet prospéré en jouant sur les tensions communautaires selon l'universitaire Bakary Sambe. Ces tensions entre différentes communautés sont souvent nourries pas la question de l'accès à la terre, à l'eau, aux ressources de la chasse, aux ressources aurifères ou aux zones de pâturage.
Le chercheur Bakary Sambe décrit cette stratégie des groupes armés. "Abou Walid al-Sahraoui, en 2013, le chef de l'Etat islamique au Grand Sahara a théorisé cela dès l’opération Serval en 2013. Il a expliqué que le temps des grandes opérations était terminé. Ce qu’il fallait, c’était attendre que des conflits intercommunautaires éclatent – entre Peuls et Dogons, par exemple – et leur donner un vernis religieux, en l’occurrence islamique pour ensuite recruter de nombreux combattants. On retrouve cette logique au Burkina Faso. Ibrahim Malam Dicko (NDLR : prédicateur et chef du groupe djihadiste Ansour al Islam, tué en 2017) a commencé son action en se présentant d'abord comme Peul pour attiser les conflits communautaires", explique l'universitaire. "Hélas, l'armée est tombée dans un raccourci assimilant les Peuls aux terroristes", précise le chercheur.
Face à cette mainmise de certains groupes armés sur des communautés et dans l'incapacité de sécuriser l'ensemble de son territoire, le pouvoir central a décidé de constituer des groupes d'autodéfense. Le 7 novembre 2019 le président Roch Marc Kaboré appelait à la mobilisation des "volontaires pour la défense du Faso" pour lutter contre les terroristes.
Armer les civils ? Une arme à double tranchant, juge William Assanvo, auteur d'un rapport sur cette question pour l'ISS Africa. " Des populations se sont senties abandonnées face aux groupes armées et donc elles ont demandé à s'armer elles-mêmes. Mais ces communautés ne sont pas soumises à des régles d'engagement contrairement à une force régulière. Les autres communautés, non armées prennent peur. Elles s'arment également. Et on rentre dans une dynamique d'armement qui génèrent ces affrontements", précise le chercheur. "Certaines communautés cherchent du coup la protection des groupes armés djihadistes", constate pour sa part l'universitaire Bakary Sambe.
Quelles solutions de sortie de crise ? Le président candidat Roch Marc Kaboré entend rester sur une position ferme face aux djihadistes. Le chef de file de l'opposition burkinabé et candidat à la présidentielle du 22 novembre, Zéphirin Diabré, estimait pour sa part, devant ces partisans le 15 novembre dernier, qu'il ne fallait "pas se fermer à l'idée" d'un dialogue avec les groupes djihadistes qui sévissent au Sahel.
Mais négocier avec qui ? "On trouve un paysage très composite dans ce que l'on appelle les combattants djihadistes. Vous trouverez là des gens mues par l'idéologie. Vous faîtes face aussi à des gens qui sont dans la contestation du pouvoir et vous devez compter avec ceux qui cherchent la protection. On trouve aussi des communautés qui se sont fait massacrées par d'autres communautés. Le caractère composite de ces combattants fait que les acteurs locaux et la communauté internationale n'ont pas la même perception de ce que sont les djihadistes. On n'arrive plus à s'accorder sur la terminologie de ce qu'est le djihadisme", décrit le chercheur Bakary Sambe.
La réponse ne peut pas être seulement militaire, estime pour sa part William Assanvo, chercheur à l'ISS Africa. "Il faut réfléchir à la question du vivre ensemble, à la fracture nette entre l'État et les populations. Une partie de l'Est du pays est une région forestière. Les populations sont par exemple interdites de chasse alors que les Occidentaux, les étrangers peuvent chasser. Ce type de frustration attise les conflits entre les communautés et l'État."
Voir : Reportage "élection au Burkina Faso" 1 : les milices d'autodéfense