Fil d'Ariane
Le procès de l'assassinat en 1987 lors d'un coup d'Etat de Thomas Sankara, ex-président, devenu une icône panafricaine, s'ouvre ce lundi 11 octobre devant le tribunal militaire de Ouagadougou. 34 ans après la mort du "père de la révolution" burkinabè, ce procès suscite des espoirs de "vérité" et de "justice".
Il voulait "décoloniser les mentalités" dans son pays et en Afrique où il est devenu une icône, mais Thomas Sankara, jeune président du Burkina Faso, n'a pu réaliser son rêve : en 1987 il est assassiné, quatre ans après le coup d'Etat qui l'avait porté au pouvoir.
Le procès des auteurs présumés de son assassinat, dont son ancien ami Blaise Compaoré qui lui a succédé et est resté au pouvoir pendant 27 ans, s'ouvre ce lundi 11 octobre à Ouagadougou où Thomas Sankara reste une figure populaire et emblématique."Sankara, c'est toute une philosophie, c'est une manière de penser et d'être, un mode de vie. Sankara c'est une fierté africaine", déclare Serge Ouédraogo, professeur de lycée.
Le procès va se tenir en l'absence du principal accusé, l'ancien président Blaise Compaoré, qui avait pris le pouvoir lors du putsch de 1987 et s'y est maintenu pendant 27 ans, avant d'être renversé à la suite d'une insurrection populaire en 2014.
Pour justifier cette absence, ses avocats ont dénoncé jeudi 7 octobre, un "procès politique" devant une "juridiction d'exception".
Quatorze des principaux accusés seront jugés, dont Blaise Compaoré, 70 ans, qui vit en exil en Côte d'Ivoire où il a obtenu la nationalité ivoirienne, et le général Gilbert Diendéré, 61 ans, un des principaux chefs de l'armée lors du putsch de 1987.
Devenu ensuite chef d'état-major particulier du président Compaoré, le général Diendéré purge déjà au Burkina une peine de 20 ans de prison pour une tentative de coup d'Etat en 2015.
Tous deux sont accusés de "complicité d'assassinats", "recel de cadavres" et "d'attentat à la sûreté de l'Etat".
Bras droit de Sankara, Blaise Compaoré a toujours nié avoir commandité l'assassinat de son frère d'armes et ami intime, bien que le putsch de 1987 l'ait porté au pouvoir.
Des soldats de l’ancienne garde présidentielle de Compaoré, notamment l'ancien adjudant-chef Hyacinthe Kafando, accusé d'avoir été le chef du commando et actuellement en fuite, figurent également parmi les prévenus.
La mort de Thomas Sankara, leader révolutionnaire qui voulait "décoloniser les mentalités" et bouleverser l'ordre mondial en prenant la défense des pauvres et des opprimés, a été un sujet tabou pendant les 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré.
L’affaire a été relancée en 2015 par le régime de transition démocratique et un mandat d’arrêt émis contre Blaise Compaoré par la justice burkinabè en mars 2016.
Lors d'un voyage à Ouagadougou en novembre 2017, le président français Emmanuel Macron avait salué la mémoire de Thomas Sankara et annoncé la levée du secret-défense sur des documents relatifs à son assassinat.
"On pourra dire, enfin, le procès va consacrer la fin de tous les mensonges, on aura une forme de vérité. Sauf que le procès ne pourra pas nous restituer notre rêve, le rêve du Burkinabè", a déclaré dans un entretien télévisé Halouna Traoré, ancien compagnon de Sankara et unique rescapé du coup d'Etat de 1987. Selon lui ce sera "à nous de savoir tirer les leçons, les enseignements de ce procès".
Il a affirmé que le "procès nous amène à nous regarder dans le miroir, à voir le tort qu'on s'est fait nous-mêmes avec la complicité de l'extérieur, parce que le côté matériel du coup d'Etat s'est passé au Burkina, mais les commanditaires sont de l’extérieur".
Pour le Comité international mémorial Thomas Sankara (CIMTS), ce procès est "une victoire" qui montre que "le Burkina Faso, patrie des hommes intègres, est un Etat de droit dans lequel l’impunité n’est pas une valeur de référence".
"C’est un privilège de pouvoir assister à l’aboutissement de cette longue attente", s'est réjoui le colonel Pierre Ouédraogo, président du CIMTS, qui commémore les 34 ans de l’assassinat du jeune dirigeant sous le thème "octobre, mois de la justice et d’hommage pour Thomas Sankara et ses compagnons".
"C'est un espoir de justice", estime pour sa part Jean Hubert Bazië, ancien directeur de cabinet au ministère de la Justice sous la révolution sankariste, expliquant que des enfants de victimes "qui avaient 3 mois au moment de l’assassinat de leur père ont grandi dans l’espoir de voir ce procès aboutir".
"C’est une occasion d’accéder à la vérité, de se comprendre et de connaître les acteurs de la révolution tels qu’ils sont et non tels qu’ils prétendaient être", a-t-il ajouté.
Pour Prosper Simporé, militant pro-Sankara, qui reste une figure populaire et enblématique dans son pays et en Afrique, le procès "permettra enfin à la famille Sankara et aux autres de faire leur deuil".
Selon le CIMTS, "sauf contrainte de dernière minute" , la veuve de Thomas Sankara, Mariam, qui vit depuis 1990 à Montpellier dans le sud de la France, devrait assister à l'ouverture du procès.
Né le 21 décembre 1949 à Yako (nord), Thomas Sankara, élevé dans une famille chrétienne et dont le père était un ancien combattant, a douze ans au moment de la décolonisation.
Après l'obtention de son baccalauréat à Ouagadougou, il suit une formation militaire à l'étranger, notamment à Madagascar où il assiste en 1972 à l'insurrection qui renverse le président Philibert Tsiranana, considéré comme inféodé à la France, ex-puissance coloniale.
A son retour en 1973 dans son pays qui s'appelle alors la Haute-Volta, il est affecté à la formation des jeunes recrues et se fait remarquer lors d'un conflit avec le Mali, en 1974-1975.
Après un coup d'Etat en novembre 1980, le nouveau chef de l'Etat, le colonel Saye Zerbo, lui confie le poste de secrétaire d'Etat à l'Information. Ses idées progressistes lui font claquer la porte du gouvernement un an et demi plus tard.
Mais il revient à la faveur d'un autre putsch et est nommé Premier ministre, en janvier 1983. Une sourde lutte pour le pouvoir s'engage alors entre militaires.
D'abord arrêté en mai 1983, il ressurgit en août, cette fois pour de bon, à la suite d'un nouveau coup d'Etat mené par son ami intime, le capitaine Blaise Compaoré.
Agé de 33 ans, Sankara devient président et symbolise l'Afrique de la jeunesse et de l'intégrité. Il rebaptise d'ailleurs son pays Burkina Faso, le "pays des hommes intègres".
La parenthèse sankariste sera de courte durée : le 15 octobre 1987, alors qu'il se rend à un conseil des ministres extraordinaire, il est assassiné lors d'un putsch qui laisse Blaise Compaoré seul au pouvoir. Il n'avait que 37 ans.