Burkina Faso : "Pour les Burkinabés, la Cédéao n’est pas une Cédéao des peuples"

Une délégation ouest-africaine est arrivée samedi au Burkina Faso. Elle a pour objectif d’évaluer la situation sur place, à la suite du coup d’État qui a eu lieu le lundi 24 janvier. La veille, la Cédéao annonçait la suspension du Burkina Faso de ses rangs. La crainte de potentielles sanctions économiques inquiète des populations aux vies déjà précaires. 

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La Cédéao a suspendu le Burkina Faso de ses rangs suite au coup d'État militaire de lundi. Sur place, de possibles sanctions économiques inquiètent les populations, à quelques jours d'un sommet prévu le 3 février à Accra.
AP Photo/Sophie Garcia
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C’était une première sanction attendue par tous, ou presque. Le Burkina Faso a été suspendu de la Cédéao. La décision a été prise à l'issue d'un sommet virtuel de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, vendredi 29 janvier.

Pour Sarka Coulibaly, économiste au Centre ivoirien de recherche économique et sociale d’Abidjan, la décision prise par la Cédéao était évidente. « C’est arrivé et il fallait s’y attendre. En terme de répression, la Cédéao ne dispose pas de beaucoup d’outils», explique-t-il.

La sanction de la Cédéao sans surprise pour personne

Même son de cloche pour le sociologue et chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) Fahiraman Rodrigue Koné. Il qualifie de « classique », la suspension du Burkina Faso après le coup d’État. « Il s’agit de la démarche classique de la Cédéao, celle de systématiquement suspendre les coups de force et notamment les militaires. On le voit dans tous les autres cas, c’est la première sanction qui tombe automatiquement :  le pays est exclu des instances décisionnelles ». 

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Dans une lettre ouverte adressée aux dirigeants de la Cédéao, le Mouvement Sauvons le Burkina Faso, qui réclamait ardemment la démission de M. Kaboré, reconnaît la suspension du pays des bancs de la communauté. Cependant, le groupe issu de la société civile demande la patience des différents chefs d'États des pays ouest africains. 

« La Cédéao est dans son rôle de veille vis-à-vis du respect des textes fondateurs des différents pays qui la composent. C’est pourquoi nous disons qu’il faut adapter les textes en fonction des contextes du moment. (…)Nous exhortons nos excellences Messieurs les présidents membres de la délégation, (…) de donner aux nouveaux dirigeants, le temps de décliner les axes définis avec la nation pour relever les défis prioritaires de la sécurité nationale, condition sine qua non d’une paix durable», peut-on lire dans la lettre ouverte signée Valentin Yambkoudougou, porte-parole du mouvement de la société civile. 


Comparé au Mali, le Burkina Faso souffrirait plus durement encore des sanctions économiques.Fahiraman Rodrigue Koné, sociologue et chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) 

La mission des chefs d'état-major des armées de la Cédéao arrivée samedi sera suivie lundi d'une mission ministérielle. Un sommet de la Cédéao est prévu le 3 février à Accra et étudiera le compte-rendu de ces missions. L'organisation décidera alors d'imposer ou non d'autres sanctions comme elle l'a fait pour le Mali et la Guinée, où des militaires ont récemment pris le pouvoir. 

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De potentielles sanctions économiques pour une économie déjà précaire ? 

Mais dans un pays à l’économie déjà précaire, les possibles sanctions économiques pourraient s’avérer catastrophiques. « Il s’agit d’un pays enclavé, frappé par une sécheresse et un climat qui n’est pas régulier, or l’économie est essentiellement agricole. Leur exposition à l’extrémisme violent a complètement laminé leur économie », explique le sociologue Fahiraman Rodrigue Koné.


Par ailleurs, le Burkina Faso souffrirait d’autant plus de son exclusion de la Cédéao et de possibles sanctions économiques, avec ses frontières, partagées avec des pays membres de la Cédéao. 

« Comparé au Mali, le Burkina Faso souffrirait plus durement encore des sanctions économiques. Le Mali possède des frontières avec la Guinée, la Mauritanie, le Niger et l’Algérie. Le Burkina Faso, lui, est globalement encerclé par des pays de la Cédéao », précise le sociologue Fahiraman Rodrigue Koné. 

Les relations commerciales fortes entre Abidjan et Ouagadougou seraient notamment les premières victimes des sanctions économiques. 

"Nous aurions souhaité avoir une Cédéao plus solidaire avec le peuple burkinabè. Prendre des sanctions serait un acte criminel", a par ailleurs estimé Boubacar Sanou, premier vice-président du CDP, le parti du Congrès pour la démocratie et le progrès. 

Un acte criminel, une vision partagée par de nombreux Burkinabé, habités par un profond sentiment d’injustice. « La situation socio-économique difficile et l’incapacité des leaders à répondre aux problèmes de fond a justifié le coup d’État, dans la réthorique des hommes qui ont pris le pouvoir, mais aussi dans ce que la population pensait », affirme Fahiraman Rodrigue Koné.


La Cédéao est perçue par les populations comme un clan de chefs d’États, pas comme une Cédéao des peuples.Fahiraman Rodrigue Koné, sociologue et chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) 

Interrogé sur le grand marché du centre Ouagadougou, Ousmane Zoungrana, quincaillier, est d’accord : "On ne veut plus de la Cédéao. Ils n’ont même pas envoyé de soldats pour aider le Burkina Faso contre les djihadistes".

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Pour ces populations dans la précarité, la Cédéao n’est là que pour représenter les intérêts des chefs d’États. Un sentiment d’exaspération profonde face à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest s’est installé.

« Pour les populations, la Cédéao intervient comme si elle venait rétablir l’ordre ancien. La sanction décrédibilise davantage l’image de la Cédéao qui est perçue comme un clan de chefs d’États et une institution qui fait du deux poids deux mesures. Pour les Burkinabés, elle n’est pas une Cédéao des peuples », explique Fahiraman Rodrigue Koné.

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Cinq jours après sa prise de pouvoir, le lieutenant-colonel Damiba n'a pris publiquement la parole qu'une seule fois, jeudi soir dans une allocution à la télévision nationale. 

Il a notamment indiqué que son pays avait "plus que jamais besoin de ses partenaires"

Dans le sillage du Mali et du Niger, le Burkina Faso est pris dans une spirale de violences attribuées à des groupes armés djihadistes, affiliés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique. Ils ont fait plus de 2.000 morts et contraint au moins 1,5 million de personnes à fuir leurs foyers.

Plusieurs attaques récentes particulièrement meurtrières avaient suscité l'exaspération de la population qui reprochait à l'ex-président Kaboré de ne pas réussir à endiguer cette crise.