Le Temps: D’où vient cet intérêt pour Thomas Sankara, une figure assez oubliée aujourd’hui?
Christophe Cupelin : De loin. J’ai découvert Thomas Sankara à 19 ans, quand je suis allé pour la première fois en Afrique comme volontaire d’une association d’aide au développement. C’était en 1985 et je ne savais presque rien du pays où j’allais atterrir. A peine arrivé, je vois une grande banderole annonçant «Bienvenue au Burkina Faso, tombeau de l’impérialisme!». Partout, des slogans invitaient la population à prendre son destin en main. Cela pouvait ressembler à une dictature, mais tous les Burkinabés que j’ai connus étaient vraiment poussés par un grand vent d’espoir et de changement: une révolution. Deux ans plus tard, je suis retourné à Ouagadougou pour le Fespaco, le festival de cinéma africain, et c’est là que j’ai vraiment découvert Sankara et sa manière de gouverner. Il était vraiment proche des gens, donnait l’exemple. Il savait être à la fois drôle et très sérieux, charismatique et sympathique. Il voyait des films et des spectacles et venait parler aux artistes après. Avant, le pays n’était encore qu’une petite ex-colonie française, la Haute-Volta, marquée par ce passé. Sankara a placé son pays dans le monde, a donné sa fierté à son peuple en montrant qu’on pouvait être Africain, sans ressources et exister quand même. C’est à ce moment que je suis vraiment tombé amoureux du personnage, loin de me douter qu’il serait assassiné quelques mois plus tard.
Ce film est donc le résultat d’une belle fidélité…
En 1987, on pouvait critiquer les ratés de sa révolution, mais personne ne remettait en cause qu’elle avait été salutaire. Du coup, à sa mort, personne n’a compris. Le futur président, Blaise Compaoré, qui était son bras droit, a alors affirmé que Thomas Sankara avait trahi la révolution et que celle-ci se poursuivrait sans lui. Comme beaucoup, j’ai alors traversé une période de doute, jusqu’en juin 1991. C’est alors que le pays a été doté d’une nouvelle Constitution «démocratique» qui ne faisait même plus référence à la révolution du 4 août 1983. Manifestement, il y avait supercherie. Sans oublier les centaines d’opposants qui, après Sankara, ont été assassinés par le Front populaire dirigé par Compaoré!
C’est à ce moment que vous vous êtes mis à collecter des archives?
Oui, en me rendant compte d’une falsification de l’Histoire et pour que ne se perde pas la mémoire de ce président étonnant. Au Burkina Faso, à la radio-TV nationale, il n’y a pas d’archives accessibles concernant cette période. J’étais au début de mes études de cinéma et je ne savais pas encore si j’en tirerais un jour quelque chose. Pendant tout ce temps, j’ai aussi interrogé des témoins, pour recueillir une mémoire orale.