Ce jeudi 30 octobre, les événements se sont accélérés. Les manifestants ont pris d'assaut la télévision nationale, l'Assemblée nationale est en flammes et le gouvernement "annule le vote " de la loi controversée qui permettrait au président Blaise Compaoré de se maintenir au pouvoir.
« Il y a du monde. Beaucoup de monde à cette manif de l'opposition. Je n'en ai jamais vu autant », a partagé sur son compte Twitter le correspondant de la BBC, Yacouba Ouédraogo. Selon un correspondant de l'AFP, la fréquentation a été largement supérieure à celle d'une précédente marche le 23 août, qui s'étendait sur plusieurs kilomètres.
Pour l’opposition, pas moins d’ « un million » de personnes étaient au rendez-vous. « Notre marche est déjà un succès énorme, phénoménal », a déclaré dès la fin de matinée Zéphirin Diabré, celui qui, à la tête de l’Union pour le progrès et le changement, a revigoré l’opposition politique dans ce pays pauvre du Sahel dont 60% de la population a moins de 25 ans.
« Le dernier avertissement »
Bruyant et coloré, le cortège n'a cessé de crier des slogans hostiles au régime : « Ebola, Blaise Compaoré ! », « Le peuple pour le peuple ». Sur les pancartes, on pouvait aussi lire « Non au référendum, non au pouvoir à vie », « Article 37 intouchable », ou encore le lapidaire mais puissant « dégage » hérité des révolutions arabes de 2011. Les forces de l’ordre ont, de leur côté, répondu en lançant des gaz lacrymogènes. Des heurts ont éclaté et, sur la route de Ouahigouya, le monument de Blaise Compaoré a été détruit (tandis que celui de Mouammar Kadhafi posé sur la même stèle est resté intact !).
« Notre lutte est entrée en phase finale. Maintenant, ça passe ou ça casse, la patrie ou la mort », a lancé Zéphirin Diabré, pour qui « le changement est maintenant ou jamais ». « C'est le dernier avertissement que nous lançons à Blaise Compaoré pour qu'il retire dès aujourd'hui » le projet de révision constitutionnelle, a-t-il affirmé.
98 députés sur 127 pour la révision
Il n'empêche, le controversé projet, qui vise à réformer l'article 37 de la Loi fondamentale pour faire passer de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels, est en passe d’être adopté au parlement. Depuis le ralliement, samedi dernier, des voix de l'ADF/RDA (l'Alliance pour la démocrate et le progrès/Rassemblement démocratique africain) à celle de la majorité présidentielle, 98 députés seraient prêts à soutenir le texte.
La révision constitutionnelle serait alors validée à la majorité qualifiée et immédiatement appliquée sans avoir besoin de référendum (nécessaire seulement en cas de majorité simple). Tout doit se jouer ce jeudi 30 novembre en plénière. L’opposition a déjà appelé à bloquer le Parlement ce jour-là.
Pour le juriste Abdoul karim Sango, un proche de l'opposition interrogée par l'AFP, pas de suspens, l'affaire est déjà « pliée ». L'ADF/RDA a « certainement marchandé » son vote par « des portefeuilles ministériels et des espaces sonnante et trébuchantes », a-t-il accusé.
Pouvoir à vie pour Blaise Compaoré
En modifiant la loi fondamentale, le président Blaise Compaoré pourrait non seulement se présenter en toute légalité aux élections de novembre 2015, mais également faire perdurer sa main mise sur le pouvoir bien au-delà de cinq ans. Comme l’a fait observer Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères devenu opposant, par ce changement constitutionnel, « on garantie trois mandats supplémentaires de 5 ans au chef de l'Etat ». Rien ne dit, en effet, que les deux quinquennats déjà effectué par le président seront « pris en compte », a-t-il souligné. Un tel subterfuge a déjà été utilisé. Quand Blaise Compaoré achevait son deuxième septennat, le Conseil constitutionnel avait enteriné sa candidature pour le scrutin de 2005 au motif que la constitution instaurant le quinquennat n'avait pas d'aspect rétroactif.
Un nouveau paragraphe a par ailleurs été introduit dans le projet de révision constitutionnelle pour interdire toute modification ultérieure de la loi fondamentale sur la question du mandat présidentiel.
Agé aujourd’hui de 63 ans, Blaise Compaoré pourrait alors, s’il le souhaite, monopoliser la présidence bien au-delà de ses 70 ans. C'est le 15 octobre 1987, surnommé le « Jeudi noir », qu'il s'est emparé du pouvoir lors d'un coup d'État sanglant au cours duquel son prédécesseur Thomas Sankara a été tué.
Manifestation monstre à Ouagadougou
28.10.2014Récit de Jean-Luc Eyguesier