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©TV5MONDE / Commentaire : P. Achard - Montage : L. Perron
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Burundi : dans l'attente d'un référendum constitutionnel contesté

Après trois ans d'une crise ayant fait au moins 1 200 morts et plus de 400 000 réfugiés, les Burundais doivent se prononcer jeudi 17 mai 2018 par référendum sur une réforme constitutionnelle très contestée qui permettrait au président Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005, de rester en place jusqu'en 2034.

Quelque 4,8 millions d'électeurs, soit environ 40 % de la population, voteront pour le "oui" ou le "non" ("Ego" et "Oya", en kirundi). Peu de voix devraient manquer à l'appel, car une peine d'"un à trois ans de prison" est prévue pour quiconque appellerait à l'abstention.

Au total, 26 partis, pour beaucoup proches du parti au pouvoir CNDD-FDD, et la coalition d'indépendants Amizero y'Abarundi ("Espoir des Burundais") ont été autorisés à faire campagne. 
 

"Oui", "non" ou boycott ?

Le CNDD-FDD a défendu le "oui" pour soutenir "l'indépendance et la souveraineté du Burundi", et en expliquant que "le projet de Constitution est une émanation de la volonté populaire".

Le Cnared, la principale plateforme de l'opposition en exil, a appelé au boycott. A ses yeux, le texte, qui introduit des modifications d'ampleur, bouleverse l'architecture institutionnelle du pays, en signant "l'arrêt de mort" de l'Accord de paix d'Arusha.

Quant aux partis d'opposition intérieurs et la coalition d'indépendants Amizero y'Abarundi ("Espoir des Burundais"), conduite par le leader des ex-rebelles hutu des FNL, Agathon Rwasa, et représentée par cinq membres au gouvernement, ils sont aussi opposés à cette réforme. Mais ils appellent à voter "non" plutôt qu'au boycott, par crainte de possibles représailles. Tous ont regretté de n'avoir reçu que très tardivement le texte définitif, officiellement publié le 8 mai seulement.

Populaire, Agathon Rwasa a réussi à mobiliser du monde, malgré l'arrestation de 30 de ses militants pendant la campagne. Lundi, "une véritable marée humaine" selon des journalistes sur place, a déferlé dans les rues de Gitega, la deuxième ville du pays, pour son dernier meeting.
 

Une scrutin plié d'avance? 

Et pourtant cela ne sera sans doute pas suffisant. Avec des opposants impuissants, en exil pour la plupart, ou sous la coupe d'un régime brutal pour les autres, il ne fait guère de doute que le "oui" l'emportera. Pierre Nkurunziza, 54 ans et au pouvoir depuis 2005, aura ainsi les mains libre pour briguer deux mandats de sept ans à partir de 2020, donc de prolonger sa mainmaise sur le pouvoir burundais jusqu'en 2034.         

Qui est Pierre Nkurunziza ?
 
Pierre Nkurunziza
Le président burundais Pierre Nkurunziza se rendant aux urnes pour l'élection présidentielle à Ngozi, sa ville natale, en juillet 2015
©AP Photo/Berthier Mugiraneza

Opposition et militants des droits humains exigent des sanctions

A deux jours du scrutin, des membres de la société civile burundaise en exil ont enjoint mardi la communauté internationale de "prendre des sanctions" à l'encontre du régime de Bujumbura pour l'amener à négocier une issue à la violente crise politique qui fracture le pays. Réfugié depuis 2015 en Belgique, après une tentative d'assassinat, M. Mbonimpa s'est exprimé lors d'une conférence de presse organisée à Paris par la Fédération internationale des droits de l'Homme (FDH) à deux jours d'un scrutin-clé pour le Burundi.
 
Prenez des sanctions, un embargo. Passez à l'acte et ne faites pas seulement des déclarations.Pierre Claver Mbonimpa, défenseur des droits de l'Homme, en exil en Belgique

"Il faut qu'il y ait des sanctions pour amener Pierre Nkurunziza à négocier", a renchéri à ses côtés Elyse Ngabire, ancienne journaliste du groupe Iwacu réfugiée depuis 2015 en France après avoir été victime de menaces. "J'en veux aux Nations unies, ils ont laissé un boulevard à Pierre Nkurunziza, il a brigué (en 2015) un troisième mandat contre l'accord d'Arusha, contre la Constitution, contre toutes les lois du Burundi et ils l'ont laissé faire. Il a cru que tout lui était permis et maintenant voilà où on en est".
 

Arrestations, passages à tabac, et massacre 

La candidature controversée en avril 2015 de M. Nkurunziza à un troisième mandat, qui a plongé le pays dans une crise politique ayant fait au moins 1 200 morts et plus de 400000 réfugiés. Et la campagne pour le référendum n'a pas été en reste en termes de violences, d'intimidations et de répression.

La FIDH a dénoncé dans un rapport mardi "une campagne de terreur pour contraindre les Burundais(es) à voter oui" à ce référendum, avec des meurtres, passages à tabac ou arrestations arbitraires d'opposants présumés. Le pouvoir "mène depuis fin 2017 une campagne de terreur pour contraindre les Burundais(es) à voter oui", constate, dans son rapport la FIDH.

Les opposants ont été décrits, au plus haut sommet même de l'État, comme des ennemis de la Nation. Cela a amené les évêques de l'influente Église catholique à dénoncer un climat de "peur" et à juger que "le moment n'est pas opportun" pour une telle modification de la Constitution. Pour accentuer son contrôle, le régime a aussi multiplié les mesures de rétorsion à l'égard des médias. Les radios britannique BBC et américaine VOA ont ainsi été interdites de diffusion pendant six mois.

Le pouvoir a en outre prévu un fort déploiement sécuritaire, par crainte que des groupes rebelles n'essaient de perturber la consultation. Dans la nuit de vendredi à samedi, à moins d'une semaine du référendum, une attaque d'hommes armées dans la commune de Buganda, dans la région de Cibitoke, a fait au moins 26 morts et 7 blessés.
 

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La fin de l'accord d'Arusha? 

Signé en 2000, l'accord d'Arusha avait ouvert la voie à la fin de la guerre civile (plus de 300.000 morts entre 1993 et 2006), en instaurant un système de partage du pouvoir entre les deux principales ethnies, Hutu et Tutsi. Il spécifie qu'aucun président ne peut diriger le Burundi plus de 10 ans.

"Ce référendum va enterrer l'accord d'Arusha qui avait ramené la paix et la réconciliation des Burundais", a déploré M. Mbonimpa. Signé en 2000, l'accord visait à assurer l'équilibre le pouvoir entre les deux principales ethnies, Hutu et Tutsi, et stipulait notamment qu'un président ne pouvait pas se maintenir plus de 10 ans au pouvoir.

"Si on déclare que le oui a gagné, cela pourrait déclencher des soulèvements", a mis en garde M. Mbonimpa. "Nous pourrions revenir aux années où nous avons connu des guerres civiles", qui ont fait plus de 300.000 morts entre 1993 et 2006. "Pour l'avenir, on tend vers une situation de grande violence", a ajouté Mme Ngabire.

Pour nombre d'observateurs, cette réforme risque surtout de radicaliser les positions des uns et des autres et de rendre encore plus difficile un retour au dialogue que la Communauté des États d'Afrique de l'Est (EAC) tente péniblement de favoriser depuis des mois. Le projet de révision a été critiqué par la communauté internationale, notamment l'Union africaine qui n'a pas envoyé d'observateurs. Les organisations de défense des droits de l'Homme ont également dénoncé la répression qui accompagne ce référendum et l'absence de réel débat démocratique.