Fil d'Ariane
Quelque 4,8 millions d'électeurs, soit environ 40 % de la population, voteront pour le "oui" ou le "non" ("Ego" et "Oya", en kirundi). Peu de voix devraient manquer à l'appel, car une peine d'"un à trois ans de prison" est prévue pour quiconque appellerait à l'abstention.
Au total, 26 partis, pour beaucoup proches du parti au pouvoir CNDD-FDD, et la coalition d'indépendants Amizero y'Abarundi ("Espoir des Burundais") ont été autorisés à faire campagne.
Le CNDD-FDD a défendu le "oui" pour soutenir "l'indépendance et la souveraineté du Burundi", et en expliquant que "le projet de Constitution est une émanation de la volonté populaire".
Le Cnared, la principale plateforme de l'opposition en exil, a appelé au boycott. A ses yeux, le texte, qui introduit des modifications d'ampleur, bouleverse l'architecture institutionnelle du pays, en signant "l'arrêt de mort" de l'Accord de paix d'Arusha.
Quant aux partis d'opposition intérieurs et la coalition d'indépendants Amizero y'Abarundi ("Espoir des Burundais"), conduite par le leader des ex-rebelles hutu des FNL, Agathon Rwasa, et représentée par cinq membres au gouvernement, ils sont aussi opposés à cette réforme. Mais ils appellent à voter "non" plutôt qu'au boycott, par crainte de possibles représailles. Tous ont regretté de n'avoir reçu que très tardivement le texte définitif, officiellement publié le 8 mai seulement.
Populaire, Agathon Rwasa a réussi à mobiliser du monde, malgré l'arrestation de 30 de ses militants pendant la campagne. Lundi, "une véritable marée humaine" selon des journalistes sur place, a déferlé dans les rues de Gitega, la deuxième ville du pays, pour son dernier meeting.
Et pourtant cela ne sera sans doute pas suffisant. Avec des opposants impuissants, en exil pour la plupart, ou sous la coupe d'un régime brutal pour les autres, il ne fait guère de doute que le "oui" l'emportera. Pierre Nkurunziza, 54 ans et au pouvoir depuis 2005, aura ainsi les mains libre pour briguer deux mandats de sept ans à partir de 2020, donc de prolonger sa mainmaise sur le pouvoir burundais jusqu'en 2034.
"Il faut qu'il y ait des sanctions pour amener Pierre Nkurunziza à négocier", a renchéri à ses côtés Elyse Ngabire, ancienne journaliste du groupe Iwacu réfugiée depuis 2015 en France après avoir été victime de menaces. "J'en veux aux Nations unies, ils ont laissé un boulevard à Pierre Nkurunziza, il a brigué (en 2015) un troisième mandat contre l'accord d'Arusha, contre la Constitution, contre toutes les lois du Burundi et ils l'ont laissé faire. Il a cru que tout lui était permis et maintenant voilà où on en est".
La candidature controversée en avril 2015 de M. Nkurunziza à un troisième mandat, qui a plongé le pays dans une crise politique ayant fait au moins 1 200 morts et plus de 400000 réfugiés. Et la campagne pour le référendum n'a pas été en reste en termes de violences, d'intimidations et de répression.
La FIDH a dénoncé dans un rapport mardi "une campagne de terreur pour contraindre les Burundais(es) à voter oui" à ce référendum, avec des meurtres, passages à tabac ou arrestations arbitraires d'opposants présumés. Le pouvoir "mène depuis fin 2017 une campagne de terreur pour contraindre les Burundais(es) à voter oui", constate, dans son rapport la FIDH.
Les opposants ont été décrits, au plus haut sommet même de l'État, comme des ennemis de la Nation. Cela a amené les évêques de l'influente Église catholique à dénoncer un climat de "peur" et à juger que "le moment n'est pas opportun" pour une telle modification de la Constitution. Pour accentuer son contrôle, le régime a aussi multiplié les mesures de rétorsion à l'égard des médias. Les radios britannique BBC et américaine VOA ont ainsi été interdites de diffusion pendant six mois.
Le pouvoir a en outre prévu un fort déploiement sécuritaire, par crainte que des groupes rebelles n'essaient de perturber la consultation. Dans la nuit de vendredi à samedi, à moins d'une semaine du référendum, une attaque d'hommes armées dans la commune de Buganda, dans la région de Cibitoke, a fait au moins 26 morts et 7 blessés.