Burundi : Pierre Nkurunziza, président par "volonté divine"

Le président burundais, Pierre Nkurunziza, décédé lundi 8 juin des suites d'un "arrêt cardiaque", était un chrétien évangélique convaincu que son autorité est d'essence divine. Il avait décidé de ne pas se représenter à la présidentielle du 20 mai 2020.
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Pierre Nkurunziza
Le président burundais Pierre Nkurunziza prête serment pour un troisième mandat lors d'une cérémonie au Parlement à Bujumbura, au Burundi, le 20 août 2015.  
©AP Photo/Gildas Ngingo
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L'ancien chef rebelle, 55 ans, au pouvoir depuis 2005, avait choisi de passer la main et avait soutenu son "héritier", le général Évariste Ndayishimiye, dont la Cour constitutionnelle a confirmé la victoire à la présidentielle du 20 mai.

Voir : Burundi : Pierre Nkurunziza, entre foi exaltée et répressions

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Le mandat de Pierre Nkurunziza devait initialement s'achever en août. Elevé au rang de "guide suprême du patriotisme" en février par l'Assemblée nationale, M. Nkurunziza, qui concentrait jusque-là tous les pouvoirs dans ses mains, devait rester le président du très influent Conseil des sages du parti.

Pendant la guerre civile burundaise, qui fit 300.000 morts entre 1993 et 2006, Pierre Nkurunziza avait survécu pendant quatre mois, gravement blessé, dans des marécages. C'est là qu'il avait eu, selon ses dires, la révélation divine qu'il dirigerait un jour le Burundi.

Depuis, ce Hutu - l'ethnie majoritaire - au crâne rasé, grand sportif et chrétien évangélique "born again" prosélyte, avait fait de son rapport à la religion l'un des piliers de son pouvoir. Son parti, le CNDD-FDD, l'avait élevé au rang d'"Imboneza yamaho" ("visionnaire" en français).

"Nkurunziza croit (...) qu'il est président de la République de par la volonté divine" et "organise donc toute sa vie et sa gouvernance" en conséquence, confirmait le responsable de la communication présidentielle, Willy Nyamitwe.

Répression brutale 

Les opposants étaient beaucoup plus circonspects et dénonçaient la dérive mystico-religieuse du régime. Chaque année, au cours de grandes "croisades de prières", le président et son épouse prêchaient devant citoyens et hauts responsables.

Cette conviction religieuse avait notamment conduit M. Nkurunziza à maintenir l'élection présidentielle en pleine épidémie de Covid-19, les autorités estimant que le pays était protégé par la "grâce divine".

"Le CNDD-FDD est devenu une véritable secte dont Pierre Nkurunziza est le gourou. Mais c'est pour pallier son absence de programme et son bilan catastrophique, et pour tenter de légitimer son maintien au pouvoir", regrettait en 2018, sous couvert d'anonymat, un analyste burundais.

M. Nkurunziza était aussi volontiers décrit par ceux qui le connaissaient comme "impitoyable". Sa candidature en avril 2015 à un troisième mandat et sa réélection en juillet de la même année avaient déclenché une crise qui avait fait au moins 1.200 morts et plus de 400.000 réfugiés.

Une répression brutale de la contestation, une purge implacable au sein de son parti : il était accusé d'avoir instauré un régime de terreur, dont les bras armés sont le Service national de renseignement (SNR), et les Imbonerakure, la ligue de jeunesse du CNDD-FDD.

"Sous ses dehors de gentil, c'est un homme impitoyable. Gare à ceux qui se mettront en travers de sa route", résumait un ancien proche. Pour renforcer son pouvoir, il n'avait pas hésité à diviser profondément le Burundi et à l'isoler sur la scène internationale.

Pierre Nkurunziza était né le 18 décembre 1964 dans une famille aisée. En 1972, son père avait été tué dans des massacres qui avaient décimé l'élite hutu. Il "est un orphelin de 1972", expliquait un haut fonctionnaire.

"Instinct de survie" 

A la sortie du lycée, il avait voulu devenir officier ou économiste, mais les restrictions contre les Hutu instaurées par le pouvoir tutsi d'alors l'en avaient empêché. En 1991, il était devenu professeur d'éducation physique et il avait rejoint en 1995 la rébellion hutu.

Formé par des années de maquis, Nkurunziza était "quelqu'un qui a un instinct de survie et de maintien au pouvoir très élevé", assurait Innocent Muhozi, président de l'Observatoire de la presse au Burundi (OPB). "Ce sont ses détracteurs qui tiennent ce genre de discours", balayait Willy Nyamitwe.

Mais l'emploi du temps du président, avec des heures quotidiennes consacrées au football ou au basket, faisait tiquer ses adversaires. Il se déplaçait rarement sans sa propre équipe de football et sa chorale, jouant avec des équipes locales et organisant des prières là où il passait.

Pour ses nombreux partisans, cela ne l'empêchait pas d'avoir réalisé une œuvre "titanesque", notamment la construction de plus de 5.000 écoles et dix stades omnisports, dont un, dans sa localité natale, à Buye (nord), lui était exclusivement réservé.

C'est après un match de volley dans la ville de Ngozi que M. Nkurunziza s'est senti mal et a décidé de se faire hospitaliser, avant de succomber à un arrêt cardiaque, selon la présidence.

Alexis Sinduhije, opposant en exil, dressait lui un bilan sévère: "La pauvreté s'est accrue, les violations des droits de l'homme sont la règle et la corruption s'est généralisée depuis que Nkurunziza est au pouvoir".