Fil d'Ariane
« Je n’ai pas confiance à 100%, mais ça ne peut qu’être mieux que ce qu’on avait ». L’espoir de changement, mêlé au doute, dominait ce lundi 25 juillet dans les bureaux de vote tunisiens. Les citoyens étaient appelés aux urnes pour se prononcer sur le projet de réforme constitutionnel du président Kaïs Saïed. Il est accusé d'ultra-présidentialisme par ses détracteurs, tandis que ses soutiens saluent une manière de dépasser les blocages politiques de la Constitution de 2014.
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La participation n'a pas dépassé 27,54%. En comparaison, elle atteignait 45,02% au premier tour de la présidentielle de 2019. Les bureaux de vote ont fermé pour la plupart à 22 heures, mais beaucoup de citoyens avaient annoncé leur boycott avant même le début de la campagne référendaire.
Selon les sondages, 21% des électeurs ont choisi cet option, tandis que 54% ne se sont pas rendus aux urnes pour d'autres raisons.
Rawdha est venu voter dans un bureau du centre-ville de Tunis et approuve le projet constitutionnel du président. « Pour moi, c’est une deuxième étape par rapport à ce qui a été commencé le 25 juillet (lorsque Kaïs Saïed a suspendu le Parlement et dissous le gouvernement, NDLR). On va dans le bon sens, il faut aller jusqu’au bout ».
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Pour expliquer cette situation, la Tunisoise de 44 ans blâme surtout l’absence d’entente entre les différents pouvoirs. « Ils n’arrivent pas à se réconcilier ou à avancer. On n’arrive même pas à faire passer une loi au Parlement. J’appuie profondément le retour au présidentiel ».
Alors que plusieurs groupes politiques ou militants appelaient au boycott du scrutin par opposition à l’autoritarisme de Kaïs Saïed, Rawdha fait quant à elle confiance à la population tunisienne pour éviter de tomber dans la dictature. « S’il y a des problèmes par la suite, il y’aura d’autres 14 janvier (date de la fuite du dictateur Zine El Abidine Ben Ali, après de larges manifestations populaires, NDLR) et d’autres 25 juillet. Le peuple ne supportera plus un pouvoir imposé », assure-t-elle.
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Dans le même bureau, Marwen partage son avis, et attend que le président puisse passer à autre chose après le référendum. « J’espère que la Constitution s’appliquera, et que l’aspect politique se stabilisera. Ensuite, on pourra s’attaquer à l’étape suivante, la plus difficile et importante pour le pays : la situation socio-économique ».
Il ne croit pas non plus au risque de dictature, se fiant à la garantie des deux mandats maximum qu’inclut le projet. « Il y a des gens qui parlent, qui s’opposent, et le président n’est pas en train de les détenir ou de les juger. Ça me semble très compliqué qu’on revienne en arrière, au système de Ben Ali ou de Bourguiba ; maintenant les gens sont éveillés ».
Dans les bureaux de vote ou dans la rue, plusieurs citoyens reconnaissent ne pas bien connaître le projet constitutionnel - la campagne a été plutôt succincte - et simplement espérer un changement. « Même si ça se passe mal avec Kaïs Saïed, ça ne pourra pas être pire que les dix dernières années, qui ont été la pire période que la Tunisie a vécu. C’est une opportunité pour changer ça », résume Badî, 42 ans.
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« Je pense qu’il faut changer la Constitution et pas garder celle de 2014. Peut-être que celle-là n’est pas la bonne copie, mais il pourra ensuite y avoir des changements, des amendements, des améliorations. Petit à petit, on va construire une nouvelle démocratie », abonde Tarek, commercial au Maroc, venu voter à El Menzah, dans la banlieue nord de Tunis.
Et pour beaucoup, ils ne sont plus aussi convaincus par le président qu’ils ont pu l’être au début. Quelques-uns parlent d’une « dernière chance » accordé au chef de l’État pour changer les choses.
Neirouz, 32 ans, croisée au bureau de vote de El Menzah, admet ne pas être convaincue par le texte. « Je n’ai pas vraiment confiance en lui, mais je crois qu’il veut l’intérêt du pays, même si je ne partage pas sa manière de voir les choses », affirme-t-elle. « Ce texte accorde beaucoup de pouvoir à la même personne, mais je reste partisane du régime présidentiel. Un régime parlementaire tel que celui qu’on avait ne pourra jamais marcher ici », poursuit l’avocate.
Plus de la moitié de la population ne se sera sans doute pas rendue aux urnes à l’heure de leur fermeture. Par exemple, Cyrine, 22 ans, est étudiante à Ariana et n’a pas été voté. « Je suis contre le projet, et je ne veux pas perdre mon temps, c’est déjà écrit d’avance ». Elle est convaincue que le président ira au bout de son projet de réforme, avec ou sans l’accord du peuple, comme il a pris les pleins pouvoirs l’été dernier.
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Et l’étudiante se méfie des conséquences que pourrait avoir l’adoption de son texte. « Même si lui n’a pas en tête de faire quelque chose de mal à la tête de l’État, il donne cette opportunité à d’autres personnes après lui, qui pourront en tirer profit » et instaurer une dictature.
Khalil, 30 ans, partage l'analyse de l'étudiante, mais pas sa stratégie. Il a pour sa part été voter "non" à Ariana (banlieue de Tunis). « Je ne suis pas convaincu par cette Constitution, qui va concentrer tous les pouvoirs civils et religieux entre les mains d’une seule personne », souligne ce professeur universitaire. « Mais je ne pense pas que le boycott puisse mener à quelque chose. Je trouve que c’est une erreur politique qui va écarter les partis traditionnels. Ça n’a servi à rien sous Ben Ali de boycotter les élections. C'est pareil maintenant, alors qu'une dictature risque de s'installer ».
En effet, au sein des bureaux de vote, beaucoup ne comprennent pas ou rejettent ce choix du boycott. Ces citoyens parlent du droit de vote comme une obligation pour les Tunisiennes et Tunisiens, obtenu de haute lutte après des décennies de dictature où il n’avait aucune valeur.
« On préfère que les gens viennent voter, qu’ils soient d’accord ou pas, parce que si on ne s’exprime pas, on ne pourra pas construire une société équilibrée, incluant tout le monde, qui respecte nos droits », avance une jeune femme qui préfère rester anonyme. À ses côtés, Achraf, 30 ans, approuve. « Ces dernières années, la jeunesse n’avait pas l’air intéressée par les élections. Moi-même, je n’ai pas voté depuis 2014, mais cette année j’ai décidé de venir, au moins pour avoir mon mot à dire ».