Fil d'Ariane
Ces dernières semaines, les violences se multiplient en zone anglophone au Cameroun. Ce mardi 12 avril, un attentat terroriste survenu entre les localités de Kumbo et de Nkambe, dans la région du Nord-Ouest, a coûté la vie à quatre personnes, parmi lesquelles Theodore Khiga, délégué régional de l’administration pénitentiaire du Nord-Ouest, et trois de ses collaborateurs.
Des informations confirmées par le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune, qui précise que Paul Biya, « le président de la République a adressé ses condoléances aux familles des victimes, tout en prescrivant une enquête en vue de faire toute la lumière sur ce drame. »
La délégation qui n’avait pas d’escorte militaire est tombée dans une embuscade ce mardi en fin de matinée, alors qu’elle rejoignait par la route Bamenda, chef-lieu de la région du Nord-Ouest. Les quatre membres de cette délégation revenaient de Nkambe, chef-lieu du département du Donga-Mantung, toujours dans la région du Nord-Ouest, où ils avaient participé à la cérémonie d’installation du régisseur de la prison locale.
Selon nos confrères de Radio France International, cette attaque a été revendiquée le même jour par les séparatistes qui ont diffusé une vidéo sur les réseaux sociaux. Dans ce film d’un peu plus de trois minutes, l’on retrouve notamment la date du 12 avril, mais aussi un texte qui précise que l’embuscade a été menée par les hommes des Forces de restauration de l’Ambazonie.
Le week-end dernier déjà, ce sont 33 étudiants du Grand séminaire de Bachuo Ntai, dans la région du Sud-Ouest cette fois-ci, qui ont été kidnappés puis relâchés un peu moins de vingt-quatre heures plus tard. Une affaire qui intervient un mois environ après que des hommes armés ont mis le feu à l’école des filles d’Okoyong, toujours dans la région du Sud-Ouest.
Comme le rappellent nos confrères d’ONU Info, les 8 et 11 février 2022, les séparatistes ont incendié l’école primaire publique de Molyko, à Buea, chef-lieu de la région du Sud-Ouest, ainsi que le collège catholique « Queen of Rosary » à Mamfe, toujours dans le Sud-Ouest.
L’ONU estime justement que ces incidents sont les derniers d’une série d’attaque qui prive plus de 700 000 élèves et étudiants « de leur droit à une éducation correcte et sûre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. »
Les causes principales de la crise anglophone tiennent à l’insatisfaction d’une partie des populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest quant à la gouvernance de l’Etat central, depuis l’union entre le Cameroun anciennement sous mandat britannique et le Cameroun anciennement sous mandat français. Cette union est entrée en vigueur en 1961, soit un an après l’indépendance, quand l’ancien Cameroun britannique a choisi d’être rattachée à la jeune République du Cameroun, plutôt qu’à la République fédérale du Nigeria.
Depuis lors, une partie des anglophones se sent en effet marginalisée dans tous les domaines. Ce mécontentement s’est transformé en crise politique en 2016. A l’époque, avocats et enseignants manifestent contre ce qu’ils considèrent comme une érosion des systèmes éducatif et judiciaire anglophones. Face à la réponse autoritaire du gouvernement, des groupes armés d’autodéfense ont émergé localement, et sont devenus les Forces de restauration de l’Ambazonie, qui réclament aujourd’hui l’indépendance ou la séparation avec la République du Cameroun.
À l’autre bout du pays, dans le département du Mayo Tsanaga, dans la région de l’Extrême-Nord, une nouvelle attaque attribuée à Boko Haram a provoqué la mort de deux membres d’un comité de vigilance de la localité de Sandawadjiri, un village situé près de la frontière avec le Nigeria.
Créés en 2014 par un décret présidentiel, les comités de vigilance ont pour mission principale d’aider les forces de défense et de sécurité camerounaises dans leur lutte contre Boko Haram. Constitués dé bénévoles issus des communautés locales, ces comités sont dirigés par des civils et sont plutôt des groupes structurés de manière informelle. La plupart des attaques de Boko Haram visent les membres de ces comités, le but étant de dissuader les populations d’y adhérer.
Dans une note de synthèse publiée en ce début d’année par Human Rights Watch, l’on apprend que Boko Haram a intensifié ses attaques au cours du premier semestre 2021 dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. D’après HRW, à fin août de l’année dernière, ces attaques ont provoqué la mort d’au moins 80 civils et déplacé en interne plus de 340 000 individus. Dans cette même note de synthèse, HRW précise que : « La mort présumée, en mai [2021], d’Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, lors d’un affrontement au Nigeria avec une faction dissidente dénommée Province de l’État islamique d’Afrique de l’Ouest (ISWAP), a contribué à consolider le pouvoir de l’ISWAP et accru le niveau d’insécurité dans la région camerounaise de l’Extrême-Nord. »
Boko Haram a su exploiter ces vulnérabilités pour faire de l’Extrême-Nord une base logistique, une zone de repli et un vivier de recrutements.
Rapport International crisis group.
Né dans le nord-est du Nigeria en 2009, c’est en mars 2014 que le groupe Boko Haram lance ses premières attaques au Cameroun. En revanche, comme le rappelle un rapport daté de novembre 2016 de l’International Crisis Group (ICG), la présence du groupe djihadiste dans l’Extrême-Nord remonte au moins à 2011. Afin de s’implanter durablement dans le pays, Boko Haram s’appuie notamment sur un réseau de complicités locales. Il exploite par ailleurs les facteurs de vulnérabilité que partage la région avec celle du nord-est du Nigeria voisin.
L’Extrême-Nord est en effet l’une des régions les plus pauvres du Cameroun, mais aussi l’une des régions où le taux de scolarisation est le plus bas dans le pays. Et comme le souligne le rapport de l’ICG : « Boko Haram a su exploiter ces vulnérabilités pour faire de l’Extrême-Nord une base logistique, une zone de repli et un vivier de recrutements. Le groupe a principalement mobilisé dans les départements frontaliers, parmi les jeunes défavorisés, en alliant endoctrinement idéologique, incitations socioéconomiques et coercition. »