Fil d'Ariane
Désormais, Jacky Kingue se fait appeler The voice, et son ambition est claire : devenir l’un des plus grands chanteurs camerounais de makossa au monde. Au Cameroun, le makossa est à la fois une danse urbaine et l’un des quatre principaux rythmes musicaux, avec le bikutsi, le mangambeu et l’assiko. Défini très souvent comme une synthèse fondée sur des rythmes tels que le high-life, le merengue, le disco, le funk ou encore la rumba congolaise, le makossa s’appuie en principe sur les musiques traditionnelles sawa – populations de la côte littorale camerounaise, dont font partie les Douala.
Popularisé par des musiciens de renommée mondiale tels que feu Manu Dibango, le makossa domine la scène musicale camerounaise et africaine entre le début des années 70 et la fin des années 80. Un âge d'or que symbolise notamment le titre Soul makossa, composé par Manu Dibango à l'occasion de l'édition 1972 de la Coupe d'Afrique des nations de football, et dont le succès aux Etats-Unis sera considérable. Un succès qui devient planétaire une décennie plus tard lorsque Michael Jackson reprend, sans l'autorisation de l'auteur, le refrain de Soul makossa dans la chanson Wanna Be Startin’ Somethin’ de l'album Thriller.
Notre reportage en 2019 à Jazz in Marciac :
A 33 ans, Jacky Kingue entend s’inscrire dans la lignée de toutes celles et ceux qui ont donné au makossa ses lettres de noblesse. Né le 27 septembre 1987, à Yaoundé, la capitale camerounaise, Georges Jacky Eyadi Kingue, fils de feu Robert Kingue et Mouto Ntonè Jacqueline Cécile, grandit à Douala, au sein de sa famille maternelle. « Mes parents se sont séparés très tôt après ma naissance, précise-t-il. Je devais avoir quatre ans. A partir de là, ma mère nous a emmenés, ma grande sœur et moi, dans sa famille, à Douala. » Après une scolarité quelque peu chaotique, faute de moyens financiers suffisants, il arrête ses études en classe de cinquième, il a alors quatorze ans.
« Ce n’était pas évident, souligne Jacky Kingue. Ma mère était très jeune et sans ressources stables. Du coup, il y avait des années au cours desquelles ma sœur et moi n’allions pas à l’école. » De cette période difficile, il a gardé le souvenir ému de feu son oncle paternel, Ngando Nicolas, celui grâce à qui sa grande sœur et lui seront scolarisés, jusqu’à l’obtention du certificat d’études primaires. Avec l’arrêt de ses études, Georges Jacky Eyadi Kingue enchaîne les petits boulots, tandis que sa mère se démène pour faire vivre la famille. Une vie d’adolescent faite de privations et de débrouille. « Tout ce que les enfants de mon âge ont connu à cette époque-là se souvient-il, moi je ne l’ai pas connu. Je n’ai pas connu les fêtes d’anniversaire avec les petits copains, par exemple. Mais je me disais que je ne mérite peut-être pas tout cela, puisque ma mère n’avait pas les moyens de m’offrir ces cadeaux. »
Durant ces années, le jeune Jacky se forge une âme de guerrier, avec pour toute arme, sa passion pour la musique. « A l’époque, je voyais la plupart des chanteurs locaux de makossa qui passaient dans notre quartier. Je pense que ça m’a beaucoup influencé. Et du coup, dès l’âge de huit ans, je faisais les harmonies des chansons qu’écoutait mon oncle maternel. » Et pour faire comme les grands, malgré les réticences familiales, il bricole ses propres instruments auxquels il s’initie en autodidacte. Passionné de batterie, comme son ami, Francis Ngombe Matanda, il en fabrique de façon artisanale avec de vieilles boîtes de lait et le caoutchouc des chambres à air usagées. Tous deux rêvent alors de devenir batteurs professionnels – depuis, Francis est l’un des batteurs les plus appréciés de sa génération.
Finalement, en 1999, Jacky abandonne la batterie pour se consacrer au chant. Dans la foulée, il fait ses premiers pas de chanteur dans l’un des cabarets de son quartier, à Douala. Malgré l’absence de cachet, il y joue tous les soirs après sa journée de travail, sous la protection d’un des responsables du groupe, l’artiste Dany Mouandjo. Seuls les pourboires font alors office de salaire. « En journée, je faisais mes petits boulots. Le soir, je prenais ma douche, j’allais m’asseoir dans ce cabaret et j’interprétais les succès du répertoire makossa de l’époque. » Mais son apprentissage véritable se fait quelques mois plus tard, lors d’une tournée de cet orchestre dans le sud-ouest du pays. Il apprend notamment à se servir de sa voix comme d’un instrument.
De retour à Douala après douze semaines de tournée, Jacky décide de quitter le groupe pour devenir chanteur itinérant. En 2001, à la demande du chanteur Kaïssa Pakito, il intègre le cabaret La belle époque. Il y reste quelques mois, avant de rejoindre l’orchestre des Brasseries du Cameroun. Mais parallèlement à ses activités musicales, il décide d’ouvrir un salon de coiffure afin de s’assurer un revenu fixe. Ce métier alimentaire, il l’avait appris quelques années plus tôt aux côtés d’un de ses amis.
Un soir, au cours de cette même année 2001, ses talents de chanteurs sont remarqués par Prince Ndédi Eyango, l’une des stars de la musique camerounaise. Ce dernier décide de produire son premier album solo intitulé « Patou ». Le succès est au rendez-vous et Jacky Kingue se fait connaître du grand public. Il cumule alors les distinctions, dont celle de révélation masculine de l’année 2002. Porté par cette réussite, il quitte le Cameroun cette année-là pour s’installer en France. « J’ai respecté les règles de mon contrat avec Ndédi Eyango, précise-t-il. Nous nous sommes séparés d’un commun accord et en bons termes. J’avais l’ambition de faire de la musique qui puisse toucher le public au-delà des frontières camerounaises. »
(Re)voir : Mundengue, le premier succès de Jacky Kingue
Deux ans plus tard, Jacky Kingue enregistre son deuxième album et se sépare de son producteur d’un commun accord. A l’époque, il souhaite élargir ses horizons et voler de ses propres ailes. Mais surtout, il veut reprendre ses études. Il s’initie à l’informatique, afin de pouvoir notamment faire de la musique assistée par ordinateur. Soucieux d’améliorer ses connaissances musicales, il fréquente également le conservatoire. A force de travail, il devient non seulement auteur-compositeur, mais aussi arrangeur.
(Re)voir : Louise Ebenye, la gagnante du challenge Chérie coco
Au fil des ans, il crée un petit label de production, écrit des chansons et réalise des albums pour d’autres artistes. En 2011, il sort un single intitulé En charge, qui ne rencontre malheureusement pas le succès escompté. Six ans plus tard, son l’album Open reçoit un joli succès d’estime. L’année dernière, il reprend Chérie coco, une chanson écrite quelques années plus tôt, et qu’il décide de simplifier au maximum. Dès la publication du teaser de ce titre, les réseaux sociaux s’enflamment.
Dès la sortie du single en mars dernier, le succès ne se dément pas, bien au contraire. Un succès qui s’explique en partie par le fait que Jacky Kingue renoue ici avec les bases du makossa, c’est-à-dire les rythmes traditionnels sawa que sont notamment l’assiko, le bolobo et l’essewe. Ecrite en douala et en français, le texte de cette chanson d’amour est au service d’une histoire contée sous la forme d’une complainte. On retrouve là l’un des ingrédients essentiels des chants traditionnels les plus populaires.
(Re)voir : Chérie coco, le dernier single de Jacky Kingue
Si son titre, Chérie coco, n’est pas très original et relève davantage du langage courant, la chanson quant à elle est plutôt une réussite. Pour accompagner sa promotion, Jacky Kingue et ses équipes lancent très vite le challenge Chérie coco. Une idée que lui a suggéré son ami Yves Soppo. Puis le challenge s’est transformé en un concours pour artistes amateurs et fans, remporté par la jeune chanteuse camerounaise Louise Ebenye. Les réseaux sociaux fourmillent de vidéos d’interprètes de Chérie coco . Une chanson qui marque sans conteste un tournant dans la carrière de son auteur.
Depuis, Jacky Kingue enchaîne autant que possible les dates de concert en France et surtout au Cameroun, malgré l’épidémie de coronavirus. Une façon pour lui de retrouver quelque peu le succès qu’il a connu au début de sa carrière.