Cameroun : l’ONG « Espoir Santé Afrique » lance une campagne de soins dans l’est du pays

Dans un contexte de crise économique et de pauvreté sans cesse croissante, l’association « Espoir Santé Afrique » lance une campagne de santé itinérante du 11 au 15 décembre prochain dans l’Est du Cameroun. Une façon de contribuer à la lutte contre les déserts médicaux et une offre de soins structurellement insuffisante. 

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Campagne ESA

Campagne de santé organisée en 2020 par l'association "Espoir Santé Afrique", dans la ville de Guider, au Nord du Cameroun. 

© ESA
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À l’initiative des organisateurs du festival du peuple Koh Zimé, l’un des grands groupes de populations de l’Est du Cameroun, l’association « Espoir Santé Afrique » (ESA), lance une campagne de santé itinérante du 11 au 15 décembre prochain, dans trois villes de la région – Dimako, Batouri et Mbang.

Des soins de santé gratuits pour les populations

Cette campagne itinérante entièrement gratuite pour les populations, est essentiellement consacrées au dépistage et au traitement des pathologies cardiovasculaires et métaboliques (diabète et obésité).

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« C’est une campagne inclusive qui se passera dans les centres de santé existants, à la fois pour des questions de cohérence médicale et pour respecter le suivi post-campagne des populations. Inclusive également parce qu’elle intègre tous les professionnels de santé locaux, souvent plus au fait des réalités sociologiques et épidémiologiques locales. », nous a confié Guy Weladji, cardiologue franco-camerounais et président de l’Association ESA.

Créée en 2018, l’association « Espoir Santé Afrique » regroupe des médecins, des pharmaciens, des experts en santé publique, des universitaires et des membres de la société civile, soucieux d’améliorer la prise en charge et l’accès aux soins des populations africaines de façon bénévole.  

Equipes ESA

Les équipes de l'association "Espoir Santé Afrique" sur le terrain, au Cameroun, lors des dernières campagnes de santé. 

© ESA

Les maladies chroniques telles que l’hypertension artérielle et le diabète étant en augmentation croissante sur le continent et à l’origine de graves complications chez les patients, l’association ESA a décidé de se focaliser sur ces problématiques.

En étroite collaboration avec les confrères locaux, ESA effectue régulièrement des campagnes de prévention et de dépistage en milieu rural et semi-urbain. 

Après la création d’une maison médicalisée pluridisciplinaire dans la banlieue de Douala, la capitale économique camerounaise, l’association vient de se doter d’un camion mobile qui lui permet de déployer ses missions dans les zones reculées.

Dispensaire mobile

Le dispensaire mobile connecté de l'association "Espoir Santé Afrique", peu après son arrivée il y a quelques mois, à Douala, au Cameroun. 

© ESA

La campagne prévue en ce mois de décembre dans l’Est du Cameroun, région enclavée dont certaines zones restent difficiles d’accès, sera l’occasion pour le camion mobile d’effectuer sa première sortie sur le territoire.

Depuis plusieurs semaines, en collaboration avec les médecins locaux, les équipes d’ESA identifient les besoins logistiques et thérapeutiques dans la région, ainsi que les pathologies cibles.

« Une fois ce travail réalisé, nous établissons un budget pour le déplacement des professionnels de santé, et l’achat de médicaments pour les pathologies cibles. », précise Guy Weladji.  

Campagne ESA

Campagne de santé de l'Association "Espoir Santé Afrique" réalisée dans la ville de Baham, à l'Ouest du Cameroun, du 25 au 26 février 2022.

© ESA

Et comme lors des précédentes campagnes à Bipindi, toujours dans l’Est, en 2019, ou encore à Guider, dans la région du Nord, l’année suivante, les équipes sur place seront constituées d’infirmiers, techniciens de laboratoire et de spécialistes en cardiologie, endocrinologie, ophtalmologie et pédiatrie.

Une région pauvre où l’offre de soins est insuffisante 

Avec une population estimée à un peu moins d’un million et demi d’habitants, selon les statistiques de la délégation régionale de santé publique de l’Est, l’offre de santé dans la région reste très insuffisante, malgré la création récente de 52 nouvelles zones de santé.

Dans un article publié en mars dernier par nos confrères de datacameroon.com, un site d’information basé à Douala et spécialisé en data-journalisme, fact-cheking et journalisme d’investigation, l'on apprend que cette situation est due à l’instabilité du personnel médical, l’insécurité et les mauvaises conditions de vie.

Violences en RCA

Sur cette image prise le mercredi 28 août 2013, des personnes fuyant les violences inondent le tarmac de l'aéroport de Bangui, en République centrafricaine.

© Photo AP

 

« Les malades sont transportés sur des civières de fortune ou dans des brouettes, faute de trouver une moto ou un véhicule. », témoignait ainsi auprès de « Data Cameroon » un chef traditionnel du département de la Kadey, situé à la frontière avec la République centrafricaine. 

Et il ajoute : « Parfois, le mauvais état des routes aggrave le cas de certains patients qui décèdent avant d'arriver à l'hôpital. D'autres meurent sans avoir été consultés par du personnel médical qualifié, car toujours absents. » 

En plus de l’insécurité le long de la frontière centrafricaine, certaines zones de la région manquent de tout ou presque, et en particulier d’infrastructures minimales (logement décent, eau potable et électricité), nécessaires au personnel médical affecté sur place par l’Etat. Quant à l’accès à internet, il n’existe tout simplement pas dans de nombreux endroits.

« Ce problème de ressources humaines nous amène parfois à tout faire. Consultations prénatales, vaccinations, consultations gynécologiques, accouchements et autres examens de dépistage du Sida », a confié à nos confrères de « Data Cameroon » sous couvert d’anonymat, un médecin-chef d'un district sanitaire de la ville de Yokadouma.

Nous voulons bâtir un système avec la participation de tout le monde, un dispositif sanitaire qui soit robuste, résilient.

Manaouda Malachie, le ministre camerounais de la Santé

Pourtant, la région compte actuellement 167 aires de santé, 15 districts sanitaires et autant d’hôpitaux, 191 hôpitaux publics et privés (dont un hôpital régional), 29 centres médicaux de district et 146 centres de santé intégrés. 

Comme le souligne l’OMS dans son rapport 2018/2019, le système de santé camerounais est largement sous-financé et il n’existe pas de stratégie nationale de financement du secteur. Les ménages privés en sont la principale source de financement. 

Un système de santé inefficace et corrompu

En décembre 2022, à l’issue d’une conférence médicale destinée à faire un état des lieux du système de santé publique camerounais, Manaouda Malachie, le ministre camerounais de la Santé avait pourtant déclaré : « Nous voulons bâtir un système avec la participation de tout le monde, un dispositif sanitaire qui soit robuste, résilient. » 

Campagne ESA

Campagne de santé lancée à Guider, dans le Nord du Cameroun, le 12 décembre 2020, avec près de 650 personnes consultées et prises en charge pour des pathologies cardiovasculaires. 

© ESA

Force est de constater qu’aujourd’hui la situation n’a guère évolué. Les questions liées à l’accessibilité financière ou géographique, avec comme objectif de permettre à tout citoyen d’être à environ 5 kilomètres de sa formation sanitaire, peinent toujours à être résolues.

Dans un rapport de l’OSAR, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, daté de 2019, l’on apprend que le Cameroun dispose « d’un système de santé inefficace et corrompu, qui ne satisfait pas les besoins de santé d’une grande partie de la population. » 

Or, dès 2001, les pays membres de l’Union africaine, dont le Cameroun, ont signé la Déclaration d’Abuja à travers laquelle ils s’engagent, en principe, à consacrer au moins 15% de leur budget annuel à l’amélioration du secteur de la santé.

Selon l’OSAR, le système de santé camerounais est sous-financé et sous pression. Les dépenses de santé représentent à peine un pourcent du PIB. 

45,3% de Camerounais en situation de pauvreté multidimensionnelle

Par ailleurs, les auteurs du rapport de l'ONG suisse précisent que des chiffres de l’Institut national de la statistique du Cameroun (2011), indiquent que « 51% des dépenses de santé étaient constituées par des paiements directs des ménages, le reste étant couvert par les administrations publiques (33,1%), les partenaires (12%), ainsi que des ONG, des entreprises privées et l’assurance maladie volontaire (3,3%). »

Dans un pays de plus de 27 millions d’habitants où la pauvreté reste très prégnante, un tel poids des dépenses de santé n’est pas supportable pour les populations.

Du reste, d’après le PNUD (2020), 45,3% de la population camerounaise vit en situation de pauvreté multidimensionnelle. Depuis 2010, cet indice permet de faire ressortir plusieurs privations superposées : la santé, l’éducation et le niveau de vie. 

Evoquée depuis de nombreuses années et réaffirmée publiquement en 2017 par le président Paul Biya, la couverture santé universelle n’a toujours pas vue le jour au Cameroun.

« Seuls sept à dix pourcents de la population est couverte par le système public de sécurité sociale qui n’offre qu’une couverture limité. » souligne ainsi les auteurs du rapport de l’OSAR.

Et ils ajoutent : « Aucune aide de l’Etat pour couvrir les frais de santé des plus démuni-e-s. Seuls deux à trois pourcents de la population bénéficient d’une couverture assurance-maladie. »