Michel Atangana est incarcéré au Cameroun depuis 1997 pour des malversations qu'il conteste. En violation des règles du droit international, ce Français d’origine camerounaise a été condamné à nouveau en 2012 à vingt ans de prison pour les mêmes faits. Lassé des promesses, il a déposé plainte à Paris contre trois ministres camerounais pour "détention arbitraire". Son comité de soutien parle d'acharnement judiciaire et multiplie les manifestations pour sensibiliser l'opinion.
Acquitator
"C'est quelqu'un qui a une vraie force intellectuelle, qui est déterminé et combatif. Sur le plan physique, après dix-sept ans de prison, où il n'a pas toujours été bien soigné, il a désormais une jambe partiellement paralysée. Mais ce qui le fait tenir, c'est de constater que les médias s'intéressent à lui, qu'il n'est pas oublié," témoigne Dominique Sopo, à la tête du comité de soutien à Michel Thierry Atangana. Il organise le 29 janvier (1) une soirée-débat "Chez Françoise", ce restaurant situé à quelques mètres de l'Assemblée Nationale, bien connu des parlementaires français. Il promet la venue "de gens d'influence pour expliquer et interpeller" sur le cas de Michel Atangana. Maître Dupont-Moretti, surnommé "Acquitator" en raison de ses succès dans le prétoire, sera présent. La star du barreau a, en effet, rejoint l'avocat Dominique Tricaud qui gère le dossier Atangana. L'arrivée de Me Dupont-Moretti dans le collectif d'avocats offre une visibilité médiatique bienvenue dans ce dossier très complexe. Quand il évoque son client, l'avocat pénaliste tonne : "Il n'est pas question que cet homme tombe dans l'oubli ! C'est un ressortissant français qui a été condamné à quinze ans de réclusion criminelle dans un dossier vide, et qui, au terme d'innombrables manipulations judiciaires, a été recondamné après avoir purgé sa première peine, à vingt ans de prison. Le voici libérable en 2032".
Une grâce amnistiante
Le comité de soutien à Michel Atangana a déposé auprès du procureur de la République de Paris une plainte contre trois ministres camerounais pour détention arbitraire. Cette plainte, dont l'Agence France Presse a consulté une copie, vise le ministre de la Défense Edgar Alain Mebe Ngo'o, et deux de ses prédécesseurs, Amadou Ali, désormais ministre des relations avec le Parlement, et Laurent Esso, ministre de la Justice.
A Yaoundé, le "dossier Atangana" est aussi vieux que sensible. Il empoisonne les relations entre la France et le Cameroun depuis la révélation de cette étonnante affaire par le “Canard Enchainé”, en juillet 2009. Le président Paul Biya, qui dispose d’un droit de grâce, a pourtant été interpellé sur cette affaire en marge du sommet africain en décembre dernier, mais il a renvoyé aux décisions de justice prises dans son pays et à l'examen du dossier par la Cour suprême, laquelle a confirmé la condamnation d'Atangana. "Ce que demande Atangana, précise Dominique Sopo, c'est une amnistie et la révision de son procès. S'il demandait une grâce simple, ce serait une reconnaissance implicite de sa culpabilité. Dans le code pénal camerounais, il existe la "grâce amnistiante"", qui efface les condamnations. C'est ce que Michel demande".
Un procès sans avocat
En attendant, à Yaoundé, Michel Atangana, 48 ans, passe ses nuits dans une "cellule" de 7 mètres carrés. En réalité, il s'agit d'un réduit aveugle niché dans un sous-sol d'un bâtiment appartenant au ministère de la Défense. Et ses journées ? "Il les passe sur une terrasse couverte dans ce camp militaire".
Arrivé dans le pays en 1994, il y a vingt ans, ce spécialiste financier avait pourtant bien commencé. Envoyé au Cameroun en 1994 par son employeur, le groupe Jean Lefebvre, pour des projets routiers, il semble satisfaire tout le monde. Il est nommé à la tête du Comité de Pilotage et de Suivi des axes routiers Yaoundé-Kribi et Ayos-Bertoua (COPISUR) par arrêté du 8 juillet 1994 du président de la République.
A cette époque, Michel Atangana a le sentiment de réussir sa vie. Ce fils d'un préfet et d'une greffière côtoie à présent l'élite du pays. Et ce retour sur sa terre natale n'a qu'un but : réaliser des affaires en étant au service du plus grand nombre. Né au Cameroun, de nationalité française depuis le 1er décembre 1988, ce père de deux garçons est arrêté le 12 mai 1997, puis jugé dans la nuit du 3 octobre 1997. Sans avocat. Il est accusé, sans preuve aucune, de "détournement de deniers publics, tentative de détournement et trafic d’influence". Le verdict tombe dans la foulée : quinze ans de prison.
Titus Edzoa
Lui fait on ainsi payer sa proximité avec Titus Edzoa, ancien médecin de Paul Biya, ancien ministre de la Santé et ancien secrétaire général de la présidence camerounaise ? A ce moment là, à la fin des années 1980, il est l'un des personnages les plus puissants du régime. Et quand Titus Edzoa démissionne brusquement en avril 1997, c'est pour annoncer sa candidature à la magistrature suprême. Impardonnable pour le chef de l'Etat. Paul Biya ne prise guère les rivaux politiques, et surtout pas ceux qui émanent de son propre entourage. Cette candidature est vécue comme une trahison. Titus Edzoa est arrêté lui aussi. Il écope à son tour de quinze ans de prison. La rumeur qui veut que Michel Atangana ait été pressenti pour être le futur directeur de campagne de Titus Edzoa, n’a jamais été confirmée par l’intéressé.
La France reste sourde aux sollicitations d'aide à ce concitoyen désormais bien encombrant. Difficulté supplémentaire : le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité. Pour le régime de Paul Biya, Atangana n'est pas Français. Il est citoyen camerounais. Pourtant, à son arrivée, les autorités lui ont délivré une carte de résident valable jusqu'en 2014, reconnaissant de facto sa nationalité française.
Aux oubliettes
En 2008, coup de théâtre : un juge d'instruction camerounais rend une ordonnance de non-lieu total en faveur du condamné. Le voici enfin reconnu innocent des détournements qui lui étaient reprochés. Mais le pouvoir exécutif fait appel du non-lieu. La machine judiciaire est relancée et Michel Antagana reste à l’ombre. Nouveau procès. Plusieurs témoins à charge se rétractent, expliquant les pressions qu'ils ont subies en 1997 pour faire de faux témoignages. Il s'avère que le Procureur s'appuie sur de faux documents (faux relevé de banque..) pour asseoir son accusation. Il apparaît aussi que de nombreuses pièces comptables du dossier qui prouveraient l'innocence de Michel Atangana ont disparu. Scandale. L'affaire prend une tournure embarrassante pour les deux pays. Mais Michel Atangana n'est pas libre pour autant. Le dossier traîne. Pour le Cameroun et la France, il est urgent d'attendre. A se demander si les deux pays ne souhaitent pas que cette affaire rejoigne Michel Antagana... aux oubliettes. Il faudra une certaine pugnacité, pour ne pas dire un courage certain, à Bruno Gain, ex-ambassadeur de France au Cameroun, pour permettre le rétablissement de l’assistance et des visites consulaires à Michel Thierry Atangana après dix ans de silence de la France.
450 millions d'euros
"Le cas Atangana, pour de nombreuses raisons, avance Dominique Sopo, est problématique pour l’État camerounais. S'il est libéré, le ministre de la Justice devra s'expliquer sur les raisons de cette détention. Il y a des gens qui ont sans doute peur d'avoir à rendre des comptes pour expliquer ce fiasco. Et puis, si on libère Atangana, comment retenir Edzoa en prison ?" Au-delà de l'aspect financier, non négligeable, dans cette affaire. Pour ses défenseurs, Michel Atangana est un créancier de 300 milliards de francs CFA (450 millions d'euros), intérêts compris, suite à des travaux non payés. Cette dette expliquerait, à leurs yeux, "l'acharnement" du pouvoir camerounais. Pour son avocat, Maître Dupont-Moretti, "on peut toujours envisager de transiger, mais le plus important", c'est que son client puisse sortir de prison.
Inadmissible
L'avocat a aussi proposé de rencontrer le président Paul Biya, à la tête du Cameroun depuis 1982, "pour lui faire part des éléments qui sont au dossier". Car c'est bien lui qui a le pouvoir de permettre un heureux et juste dénouement à cette affaire. Paul Biya a un certain savoir-faire dans les dossiers complexes. Ainsi, le chef d’État camerounais a-t-il été un acteur-clé dans la libération des sept otages français de la famille Moulin-Fournier enlevés par le groupe islamiste armé nigérian Boko Haram. Et plus récemment, ses services ont facilité la libération du prêtre français Georges Vandenbeusch. De son côté, François Hollande n'est pas insensible au sort de Michel Atangana. Le 31 mai 2013, il déclarait explicitement dans un entretien accordé à RFI, France 24 et TV5MONDE : "Au Cameroun, j’ai dit au président Biya que, bien sûr, dans le respect de l’indépendance de la justice camerounaise, tout devait être fait pour apporter une solution. Ça fait trop longtemps, vingt ans, que ça dure et c’est inadmissible ".
Les deux enfants de Michel Atangana, qui n'ont jamais connu leur père, pensent certainement la même chose.
(1) Le comité de Soutien à Michel Atangana et S.O.S Racisme organisent une soirée-débat sur "l'Affaire Atangana" Mercredi 29 janvier 2014 à partir de 19h30, au restaurant "Chez Françoise", dans le 7ème arrondissement de Paris. Y sont conviés : les représentants des associations et organisations de la sociétés civile ; les élus politiques ; les journalistes et personnalités des médias. Y Interviendront : son avocat français Maître Dupont-Moretti, son conseil et ancien bâtonnier au barreau du Cameroun Me Tchougang, le Président de son comité de soutien en France Dominique Sopo, son fils Eric Atangana.