Fil d'Ariane
La prison centrale de Yaoundé, au Cameroun, a été le théâtre, ce lundi 22 juillet, d’une importante mutinerie. Des dizaines de détenus, opposants politiques et séparatistes anglophones, ont dénoncé leurs conditions carcérales exécrables, mais aussi le bien-fondé de leur incarcération. Tous appellent à leur libération et à celle de leurs chefs.
L’information fait la une de nombreux titres de la presse camerounaise. La prison centrale de Yaoundé, communément appelée Kondengui, est à nouveau le théâtre d’une importante mutinerie. Notre confrère Le Messager, évoque des tirs de sommation des forces de sécurité déployées autour de la prison, qui auraient créé la panique dans la zone.
En effet, ce lundi, des dizaines de détenus, opposants politiques et séparatistes anglophones, se sont insurgés contre leurs conditions carcérales, mais aussi contre le bien-fondé de leur incarcération.
La prison prévue pour 1 500 personnes, en accueillerait environ 5 000, selon les estimations.
Selon nos confrères de l’AFP, dans une vidéo dont l’authenticité leur a été confirmée par les responsables du MRC, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, principal parti d’opposition au régime de Yaoundé, l’on voit Mamadou Mota, premier vice-président de ce parti, interpellé et écroué en juin dernier, déclarer que : « Nous ne voulons plus manger de maïs en bouillie. »
Certaines des vidéos tournées à l’intérieur de la prison, et qui circulent sur les réseaux sociaux, montrent des détenus qui arborent des pancartes en anglais, appelant à leur libération ou encore implorant l’aide du président américain Donald Trump.
Dans une autre vidéo relayée sur Facebook, plusieurs séparatistes chantent l’hymne de l’Ambazonie, l’Etat indépendant qu’ils appellent de leurs vœux, et qu’ils souhaitent créer dans les deux régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest.
Ces manifestants appellent à la libération de tous les détenus de la crise anglophone, et notamment de l’un de leurs principaux chefs, Sisiku Julius Ayuk Tabe, président autoproclamé de l’Ambazonie, détenu lui aussi à Yaoundé.
D’autres images, beaucoup moins nettes, montrent le saccage de certains bâtiments et des débuts d’incendie. L’on entend également très distinctement, des voix de séparatistes appelant à la libération de l’Ambazonie, tout en dénonçant les tirs de sommation des forces de l’ordre.
Au cours de cette mutinerie, plusieurs détenus ont été blessés, selon des sources proches de l'administration pénitentiaire contactées par l'AFP. Parmi les blessés : l'ancien Premier ministre, Inoni Ephraïm, et un ancien ministre, Urbain Olenguena Awono, pris pour cible par d'autres détenus.
Le problème anglophone est consubstantiel de la fondation de l’Etat du Cameroun. D’où des éruptions récurrentes, comme celle de 2016, fondées à l’origine sur des revendications sociales, voire corporatistes, qui se sont transformées en une crise politique aigüe, avant de basculer dans la violence armée que connaît le pays aujourd'hui. Depuis, les affrontements sont réguliers entre séparatistes et forces de défense et de sécurité, avec comme conséquences un chaos généralisé, des milliers de morts et de déplacés civils.
Selon les estimations de l’International Crisis Group, ces violences ont entraîné la mort de 1 850 personnes, et contraint plus d’un demi-million d’autres à abandonner leur domicile.
La mutinerie de ce lundi 22 juillet à la prison centrale de Yaoundé, intervient au moment où beaucoup s’interrogent sur le projet de dialogue initié par le chef de l’Etat Paul Biya en mai dernier.
Dans la foulée de cette annonce, le nouveau Premier ministre, Joseph Dion Nguté, lui-même anglophone, avait pourtant fait une tournée dans les régions anglophones, déclarant avec force qu’il était porteur d’un message de réconciliation.
Ce processus tarde cependant à prendre forme, et certains observateurs s’interrogent sur la volonté du pouvoir de mener à bien une telle initiative. Le récent projet de médiation de la confédération helvétique, semble avoir accouché d’une souris. D’ailleurs, nombre de Camerounais estiment que la résolution de ce conflit revient aux populations locales, sous l’égide éventuelle de l’Union africaine. Quant aux séparatistes, ils en appellent surtout à l’ONU et aux Etats-Unis.
Dans ce conflit, la société civile peine à se faire entendre. Depuis de longs mois, l’Anglophone General Conference, présidée par le cardinal Christian Tumi, archevêque émérité de Douala, se heurte au refus des autorités de lui permettre d’organiser la « All Anglophone Conference », étape nécessaire à ses yeux pour un dialogue national de sortie de crise.
Ce conclave devrait réunir autour d’une même table et sans tabous, les anglophones de toutes tendances. « Nous devons discuter entre Camerounais, souligne Elie Smith, journaliste et coordonateur de l’Anglophone General Conference. Car, ajoute-t-il, la seule solution c’est le dialogue et non la violence. Nous soutenons d’ailleurs toute initiative intra-camerounaise destinée à nous conduire vers la paix. Et ce dialogue doit être inclusif et sans tabous. »
Mais quel est vraiment le problème anglophone, pourrait-on s’interroger légitimement. En janvier 2017, dans une tribune libre, David Abouem a Tchoyi, ancien gouverneur du nord-ouest, puis du sud-ouest, et l’un des meilleurs connaisseurs de la question, en a brillamment tracé les contours.
Au vu de la situation actuelle, l’on ne peut pas dire que David Abouem a Tchoyi ait été entendu. Rappelons qu’en dehors des régions anglophones, le Cameroun fait également face au terrorisme de Boko Haram dans le nord du pays, mais aussi à des tensions politiques issues de l’élection présidentielles d’octobre 2018.
Si ce scrutin a été officiellement remporté par Paul Biya, aujourd’hui âgé de 86 ans, et au pouvoir depuis 1982, les résultats sont contestés par Maurice Kamto, le leader du MRC, interpellé et écroué en janvier dernier, en même temps que des dizaines de ses partisans, suite à des marches de protestation. Il purge d'ailleurs sa peine dans la prison voisine de celle où s'est déroulée la mutinerie hier.