Fil d'Ariane
Ni John Fru Ndi, l’un des opposants historiques au président Paul Biya est mort. Il était le cofondateur du SDF, le Social Democratic Front. Son parti aura marqué l’histoire politique camerounaise de ces trois dernières décennies. Sa disparition intervient au moment où deux des trois principaux partis d’opposition sont aujourd’hui confrontés à des crises internes. État des lieux de l'opposition camerounaise dans un pays gouverné par le même chef d'État depuis plus de 40 ans.
A gauche, feu le leader du Social Democratic Front (SDF), Ni John Fru Ndi, et à droite, le président de la République du Cameroun, Paul Biya, au pouvoir depuis 1982.
C’est par un communiqué de presse publié le mardi 13 juin 2023, que le premier vice-président du Social Democratic Front (SDF), Joshua Osih, a annoncé le décès du président national du parti, Ni John Fru Ndi, « des suites d’une longue maladie ». A 81 ans, dont plus d’une trentaine à la tête du SDF, Ni John Fru Ndi tire donc sa sa révérence.
Né le 7 juillet 1941, à Baba II, près de Bamenda, dans le Nord-Ouest, l’une des deux régions anglophones du Cameroun (avec le Sud-Ouest), toutes en proie depuis plus de six ans à une guerre entre les séparatistes anglophones et l'armée,
Ni John Fru Ndi a longtemps été le principal opposant du président de la République Paul Biya, au pouvoir sans discontinuer depuis 1982. Au Cameroun, une partie de la minorité anglophone s’estime ostracisée par la majorité francophone.
C’est le 26 mai 1990 que le SDF est porté sur les fonts baptismaux, avec pour slogan « Power to the People and Equal chance for all » [Le pouvoir au peuple et des chances égales pour tous, NDLR]. Dès lors, celui qu’on surnomme « le chairman », prend les rênes du parti jusqu’à sa mort. Il prévoyait de quitter la direction du SDF lors du congrès initialement prévu du 27 au 29 juillet.
Ni John Fru Ndi s'était présenté à la première présidentielle inclusive du pays en octobre 1992, face au président sortant Paul Biya, le leader du RDPC, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais.
À la tête de l’Union pour le changement, une coalition de mouvements politiques opposés au régime en place, le chairman suscite un élan d’espoir au sein des populations avec son slogan « Biya must go » [Biya doit partir, NDLR]. À l’issue du scrutin, la Cour suprême déclare Paul Biya vainqueur avec 39,97% des voix, contre 35,9% à Ni John Fru Ndi. Fort de ce résultat, le SDF devient le premier parti d’opposition du Cameroun, avec comme leader son chef de file Ni John Fru Ndi.
Un homme vote lors de l'élection présidentielle à Yaoundé, au Cameroun, le dimanche 9 octobre 2011.
Le chairman décide malgré tout de boycotter l’élection présidentielle de 1997, comme le reste de l’opposition camerounaise, engagée dans un bras de fer avec le pouvoir sous le slogan « No good laws, no election » [Pas d’élection sans bonnes lois, NDLR]. Lors des deux scrutins suivants, en 2004 et en 2011, Ni John Fru Ndi est à nouveau battu par le président Paul Biya. Mais le 10 décembre 2010, à Bamenda, dans le Nord-Ouest, en marge des festivités du cinquantenaire de l’armée camerounaise, les deux hommes se parlent en tête à tête pour la première fois.
Ce dialogue est destiné alors à apaiser le climat politique local. Cependant, comme nous le rappelle le politologue camerounais Théophile Mirabeau Nchare Nom, dans un ouvrage collectif intitulé «Socialismes africains », paru en 2021, aux éditions de la Maison des sciences de l’homme, ce qui est surtout notable à l’époque c’est l’érosion continuelle de l’auditoire et de l’électorat du SDF. « Il est passé de 35,9% aux élections présidentielles du 11 octobre 1992 à 11% aux présidentielles du 9 octobre 2011 ; de 43 sièges aux législatives des 17 mai et 3 août 1997 à 16 sièges aux élections du 30 septembre 2013. »
Le chairman était l’une des plus grandes figures de la politique camerounaise.
Joshua Osih, premier vice-président du SDF
En 2018, Ni John Fru Ndi renonce à se présenter à la présidentielle au profit de son premier vice-président, Joshua Osih. Ce dernier réalise cependant le plus mauvais score du SDF à cette élection depuis sa création. Avec 3,35% des suffrages, Joshua Osih arrive en effet en 4e position seulement, loin derrière le président sortant Paul Biya, le leader du MRC Maurice Kamto (14,23%) et le jeune Cabral Libii, investi par le parti Univers (6,28%) [Depuis 2019, Cabral Libii dirige le PCRN, Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale, créé en 2003, NDLR].
En février 2021, Ni John Fru Ndi annonce son intention de se retirer de la vie politique.
Dès l’annonce de la mort de Ni John Fru Ndi, pouvoir, opposition et société civile ont rendu hommage à « l’opposant historique ».
Joint par téléphone, Joshua Osih, premier vice-président du SDF nous affirme que « le chairman était l’une des plus grandes figures de la politique camerounaise […] Il était un homme qui avait beaucoup de charisme, mais qui était ouvert. Il construisait des ponts là où d’autres construisent des murs. Et grâce à cela, il a pu mettre en place une solide organisation qui, aujourd’hui, va batailler dur pour faire valoir son legs. »
Un discours qui contraste fortement avec le constat partagé par de nombreux observateurs sur la perte d’influence du SDF en particulier, et l’effondrement de l’opposition camerounaise en général. Malgré près de trois cents partis politiques dûment enregistrés par les autorités camerounaises, seuls quelques-uns d’entre eux sont véritablement actifs.
« J’ai du mal à parler de l’opposition camerounaise, nous confie ainsi le journaliste et essayiste camerounais Jean-Bruno Tagne, parce qu’il y a des oppositions. Il y a des opposants qui sont vraiment sérieux, qui sont organisés pour essayer de conquérir le pouvoir. Et il y en a qui ne sont plus de l’opposition que par le nom, parce qu’ils sont beaucoup plus proches du pouvoir, pactisent avec le pouvoir, plutôt que de travailler à renverser vraiment le pouvoir, pour proposer autre chose aux Camerounais. Ce qui fait qu’aujourd’hui les rangs de l’opposition véritable sont en train de s’effriter ; et il ne reste plus en réalité que le président du MRC, Maurice Kamto, et dans une moindre mesure Cabral Libii du PCRN. »
Le SDF est régulièrement confronté à des crises internes. Une partie des cadres du mouvement, presque tous exclus aujourd'hui, remet en cause l'héritage de Ni John Fru Ndi. Les autres, emmenés par le premier vice-président Joshua Osih, entendent respecter la ligne politique du fondateur. Les exclus du parti sont réunis au sein d’un groupe baptisé « G27 ».
Ce qui nous oppose à la hiérarchie actuelle du SDF, c’est le non-respect des dispositions statutaires de notre parti.
Jean Robert Wafo, cadre du SDF exclu du parti et membre du G27
Bien avant le décès de Ni John Fru Ndi, le G27 l’accusait lui et ses protégés regroupés autour du premier vice-président Joshua Osih, de trop grande proximité avec le régime de Paul Biya. Les membres du G27 contestent la conformité aux textes du parti de la procédure d’exclusion, et ils ont saisi la justice afin d’être rétablis dans leurs droits.
« Ce qui nous oppose à la hiérarchie actuelle du SDF, nous précise Jean Robert Wafo, membre du G27 et proche de leur leader, le député Jean-Michel Nintcheu, c’est le non-respect des dispositions statutaires de notre parti. Je tiens d’ailleurs à préciser qu’il est tout à fait normal qu’un parti politique dispose en son sein de courants différents. C’est inhérent à une formation politique qui se veut démocratique. » Des revendications balayées d’un revers de la main par le premier vice-président Joshua Osih qui nous a confié : « Nous avons traversé quelques remous qui ont été réglés par ceux qui causaient ces remous eux-mêmes, qui se sont auto-exclus ; il se sont mis à côté du parti. Et donc au sein du parti tout va très bien. On a eu depuis lors des réunions de haut niveau qui se sont très bien déroulées. D’ailleurs, on s’est rendu compte que ce sont les mêmes qui se sont auto-exclus qui nous faisaient traîner la patte de temps à autre. »
Et celui qui apparaît aujourd’hui comme le principal leader de l’opposition n’est autre que Maurice Kamto, le chef de file du MRC, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun. Professeur de droit et avocat, ancien directeur de campagne de Ni John Fru Ndi pour la présidentielle de 1992, et ancien ministre délégué auprès du ministre de la Justice du régime de Paul Biya (2004 – 2011), Maurice Kamto est aujourd’hui la principale figure de l’opposition, celle qui montre le plus d’entrain à la conquête du pouvoir. Cofondé notamment par Maurice Kamto en août 2012, le MRC résulte de la transformation du Mouvement républicain populaire en une nouvelle formation regroupant plusieurs autres, ainsi que des personnalités locales et des organisations de la société civile.
Sur cette photo prise le lundi 22 octobre 2018, les partisans du président de la République sortant Paul Biya, célèbrent sa victoire électorale à Yaoundé, au Cameroun.
Dès le départ, le MRC se donne pour ambition de réanimer le débat politique dans le pays. Lors des élections législatives de 2013, remportées très largement par le RDPC du président Paul Biya, qui décroche 148 des 180 sièges, le MRC fait son entrée à l’Assemblée nationale avec un député. A l’issue de l’élection présidentielle de 2018, gagnée une fois de plus par le président sortant avec 71,28% des voix, Maurice Kamto qui est crédité de 14,23% des voix (et 6,28% pour Cabral Libii du parti Univers, l’Union nationale pour l’intégration vers la solidarité) conteste les résultats et revendique la victoire. Dès lors, le MRC organise une série de manifestations non-autorisées contre ce qu’il qualifie alors de « hold-up électoral ».
Les conséquences de ce bras de fer avec le pouvoir en place sont l’arrestation et l’incarcération de Maurice Kamto, de quelques-uns des cadres du MRC et des centaines de militants. Neuf mois plus tard, en octobre 2019, Maurice Kamto est libéré en compagnie d’un peu plus d’une centaine d’autres opposants. Initialement prévues en 2018 et reportées à deux reprises, les législatives et les municipales suivantes se tiennent finalement en février 2020, dans un contexte marqué par la guerre en zone anglophone entre séparatistes et forces gouvernementales. Le MRC refuse de prendre part à ce double scrutin en raison du conflit dans les régions anglophones, mais aussi à cause de l’absence de réforme du code électoral. Ce boycott décidé par les instances dirigeantes du parti le prive notamment de relais à l’Assemblée nationale, autant qu’il consacre le recul institutionnel de l’opposition. Une stratégie qui n’est plus de mise depuis décembre dernier et l’annonce par Maurice Kamto que le MRC participera à tous les scrutins à venir.
Ces derniers mois cependant, le MRC est lui aussi secoué par des tensions internes sans cesse croissantes. Cette crise se caractérise non seulement par des démissions en cascade, mais aussi par des divisions au sein du directoire du parti. L’une des conséquences les plus notables de ces divisions concerne l’annonce il y a un an, par l’avocate Michèle Ndoki, première vice-présidente de la branche féminine du mouvement, de sa candidature à la présidence du parti lors du congrès prévu en novembre prochain.
Depuis, Me Ndoki multiplie les prises de paroles critiques, dont les dernières ont conduit le MRC à annoncer en ce mois de juin des poursuites disciplinaires à son encontre. Dernier épisode en date, toujours en ce mois de juin, l’avocat Richard Tamfu, membre du directoire du parti, qui estime que Maurice Kamto, qui aura 71 ans en 2025, sera comme Paul Biya trop vieux pour porter les chances du MRC à la future présidentielle. Me Tamfu a depuis été suspendu du directoire.
Pour le politologue camerounais Stéphane Akoa, les critiques internes à l’encontre de Maurice Kamto sont symptomatiques de l’absence de succès électoraux pour le MRC. « Il est plus facile d’accepter le maintien d’un homme ou d’une femme à la tête du parti quand il y a des succès électoraux », affirme Stéphane Akoa.
Face aux difficultés internes des deux grands partis que sont le MRC et le SDF, seul le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), parvient pour le moment à tirer son épingle du jeu. Après sa troisième place lors de la présidentielle de 2018, le PCRN a fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale en 2020 avec cinq sièges. Depuis, ce parti créé en 2019 a désormais un rayonnement et une dynamique nationales.
Le jeune député et président du PCRN, Cabral Libii, est pour beaucoup dans le succès de ce mouvement. « Cabral Libii est en phase avec les codes de la communication politique de notre époque, souligne le politologue camerounais Stéphane Akoa. Vous vous souvenez de sa photo sur la tombe de feu le premier président Ahmadou Ahidjo [Une tombe qui se trouve à Dakar, au Sénégal, NDLR]. Il est assez présent dans les différentes régions du Cameroun. Il se déplace le plus souvent possible à l’étranger. Et il médiatise énormément ses postures et ses déclarations. »