Fil d'Ariane
Le chef d’État français entame sa première tournée africaine depuis qu’il a été réélu en avril dernier. Première étape : le Cameroun. Emmanuel Macron doit rencontrer Paul Biya, inamovible président depuis 1982. L'heure est-elle au retour à l'Élysée d'une politique africaine centrée prioritairement sur la défense des intérêts de la France sur le continent ? Entretien avec Antoine Glaser, spécialiste des rapports entre la France et les pays d'Afrique francophone.
Emmanuel Macron va se rendre au Cameroun puis au Bénin et en Guinée Bissau, du 25 au 28 juillet. Cette tournée africaine a plusieurs enjeux et devrait notamment permettre au chef d'État français d'appliquer une nouvelle politique sur le continent. Quelle est la place de la France face aux nouvelles puissances en Afrique ? Éléments de réponses avec Antoine Glaser, ancien journaliste, auteur en 2021 du Piège africain de Macron (éditions Fayard).
TV5MONDE : Dans quel contexte cette visite d'Emmanuel Macron au Cameroun s’inscrit-elle ?
Antoine Glaser : Lorsqu’Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir en 2017, il pensait peut-être qu’il pouvait tirer un trait sur toute cette période post-coloniale, et sur la Françafrique. Durant son premier mandat, on avait l’impression que Macron n’avait plus aucun intérêt pour le Cameroun. Il avait même tenu des propos plutôt désagréables vis-à-vis du président Paul Biya (au sujet de l’incarcération de l’opposant Maurice Kamto, NDLR). Les relations entre Paris et Yaoundé étaient quasiment inexistantes ces cinq dernières années. Il en est à son deuxième mandat. Maintenant, on est totalement dans une nouvelle stratégie politique de la France vis-à-vis de l’Afrique.
TV5MONDE : Comment peut-on résumer la politique africaine d’Emmanuel Macron au cours de son précédent mandat ?
A.G : Jusqu’à sa réélection, la stratégie et la politique africaine d’Emmanuel Macron consistait à éviter les pays de l'ancien pré-carré français (anciens pays colonisés par la France et sous influence de la France après les indépendances de 1960) en Afrique de l’Ouest. Il est allé en Côte d’Ivoire, bien sûr, il s’est aussi rendu dans des pays comme le Mali ou la Mauritanie. Mais c’était toujours dans le cadre de la lutte antiterroriste. En ce qui concerne les pays d’Afrique centrale comme le Gabon, le Congo Brazzaville et le Cameroun, ils ont été totalement négligés.
Emmanuel Macron a dû réaliser que la France était en train de perdre ses intérêts traditionnels dans son ancien pré carré africain au profit d’autres États.Antoine Glaser, spécialiste des rapports entre la France et les pays d'Afrique francophone.
TV5MONDE : Comment peut-on expliquer cette nouvelle position de la France ?
A.G : Emmanuel Macron a dû réaliser que la France était en train de perdre ses intérêts traditionnels dans son ancien pré carré africain au profit d’autres États. On peut citer la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie. Mais parfois au profit même d’autres États européens comme l’Allemagne, qui est aujourd’hui le premier exportateur européen vers l’Afrique.
Paul Biya inamovible président depuis 40 ans.
Paul Biya depuis 1982 fait la pluie et le beau temps politique au Cameroun, construisant et brisant des carrières au gré de ses humeurs et de ses aspirations personnelles. Il a été élu une première fois en 1984. Il a gagné les élections de 1988, 1992, 1997, 2004, 2011 et 2018 sans coup férir. Amnesty International souligne que plus de 100 membres et sympathisant·e·s du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), mouvement d'opposition restaient détenus arbitrairement en 2021.
TV5MONDE : Quelles sont les relations actuelles entre le Cameroun et la France ? Sont-elles bonnes ? Comment pourrait-on les qualifier ?
A.G : La France a clairement perdu sa position de partenaire privilégié du Cameroun à plusieurs niveaux. D’abord dans le domaine de la sécurité. Maintenant, ce sont les Israéliens qui s’occupent de la sécurité privée du président. Ils contrôlent notamment le BIR, le bataillon d’intervention rapide. Il y a aussi une large présence des Britanniques qui sont très actifs dans la région puisque le Cameroun est une région anglophone. La France est en train de voir que les chefs d'État africains et en particulier Paul Biya ont le monde entier dans leur salle d’attente.
TV5MONDE : Quel est le poids du Cameroun en Afrique aujourd’hui ?
A.G : C’est la première puissance de la CEMAC, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale. C’est aussi un pays géostratégique pour la France. Il est à côté de la Centrafrique où la France a perdu toutes ses positions avec la présence de Wagner et avec les relations totalement glacées entre le président français et le chef d’État Faustin-Archange Touadéra. Il y a aussi le Tchad. C’est un pays totalement enclavé et l'armée française a absolument besoin des ports camerounais pour l’ensemble de la logistique de sa présence militaire au Tchad.
TV5MONDE : Le président français Emmanuel Macron sera accueilli par son homologue camerounais Paul Biya. Il est au pouvoir depuis 1982, il a modifié la Constitution en 2008 à son profit. La France en tient-elle compte ?
A.G : Bien évidemment, pour Emmanuel Macron, Paul Biya c’est ce qu’on fait de pire. Pour lui, c’est un autocrate infréquentable mais il est bien obligé de le fréquenter. La France ne peut pas ignorer le Cameroun. Cette visite doit aussi profiter à Paul Biya à son aura, à sa réputation auprès de ses pairs et des autres chefs d'État africains. L’idée c’est de dire “Macron ne va pas au Gabon , il ne va pas au Congo Brazzaville, mais il vient au Cameroun".
TV5MONDE : À 89 ans, le président Paul Biya est notamment accusé par nombre de ses détracteurs de contrevenir aux droits humains de ses opposants. Est-ce que Paris peut intervenir à ce sujet ? Cette question sera-t-elle évoquée lors du déplacement d’Emmanuel Macron ?
A.G : Emmanuel Macron va faire un geste. Il va sans doute rencontrer des opposants politiques à Paul Biya. Je pense qu’il doit faire ce voyage avec Achille Mbembe, un historien devenu grand ami d’Emmanuel Macron. C’est lui qui l’a aidé à organiser le sommet Afrique-France de Montpellier. C’est un opposant notoire de Paul Biya.
A.G : Paris doit faire profil bas en Afrique. C’est ce que la France a martelé lors de ce sommet. Emmanuel Macron a pris lui-même toute la mesure de la mondialisation de l’Afrique. Alors qu’avant, on le voyait depuis l’Elysée en grand chef du Sahel, notamment au moment de l'opération Barkhane. Tout en disant à la France de ne pas être en première ligne pour régler les confltis en Afrique. Aujourd'hui il y a une nouvelle stratégie qui se dessine. Elle n’est pas encore totalement arrêtée. Emmanuel Macron a notamment demandé à ses ministres des Affaires étrangères et de la Défense de lui préparer un rapport sur la réorganisation et la réarticulation de la présence militaire française en Afrique.
A.G : Le président camerounais Paul Biya a envoyé, en plein conflit en Ukraine, son ministre de la Défense à Moscou signer un accord militaire de défense avec la Russie. Je pense que ça a dû faire énormément réagir à Paris. D’ailleurs, je crois qu’à l’époque le responsable Afrique du Quai d’Orsay Christophe Bigot s’était rendu à Yaoundé pour savoir ce qu’il se passait.
TV5MONDE : Comment expliquer la présence russe au Cameroun ? Est-ce que cela signifie que la zone d’influence de la France continue de se réduire sur le continent ?
A.G : Depuis la chute du mur de Berlin, la France a continué de faire comme si elle était chez elle en Afrique. Elle n’a pas vu monter la mondialisation de l’Afrique. La France s’est aveuglée. Elle n’a pas compris qu’elle n’était plus chez elle sur le continent africain. Cependant, il reste un dernier bastion de la France dans cette zone, c’est le Tchad.
Il faut savoir qu’il y a plus de 150 officiers camerounais qui sont en formation en Russie. Ils ne sont que 80 en France.
Antoine Glaser, écrivain et spécialiste de la politique de la France sur le continent.
TV5MONDE : Les violences continuent de sévir au Cameroun dans la partie anglophone. Assassinats, enlèvements… L'État camerounais et la France comptent-ils travailler sur la situation sécuritaire dans le pays ?
A.G : Macron parlera forcément sécurité. Mais en ce moment, il faut savoir qu’il y a plus de 150 officiers camerounais qui sont en formation en Russie. Ils ne sont que 80 en France...
TV5MONDE : Le groupe djihadiste Boko Haram est présent au Cameroun, notamment dans l’extrême Nord du pays. D’autres groupes terroristes sont-ils actifs dans la région ? Quels sont les moyens pour la lutte anti djihadiste dans la région ?
A.G : Les groupes djihadistes sont nombreux. Ils sont actifs en fonction des anciens royaumes présents au Cameroun. C'est comme cela qu'il faut les identifier. On est vraiment à une période où les djihadistes de Boko Haram ont réussi à faire partir tous les occidentaux de la zone allant de la Mauritanie jusqu’au Soudan. Aujourd’hui, plus personne ne peut circuler dans cette région.
C'est sous ce titre que plusieurs personnalités signent, à la veille du déplacement du président français au Cameroun, une tribune dans le quotidien français Le Monde.
Les auteurs du texte estiment que "Emmanuel Macron a rendez-vous avec l’histoire à Yaoundé". Ils évoquent les "fantômes d’une guerre coloniale puis néocoloniale que la France a menée, censurée puis niée avec constance depuis soixante ans". Fantômes auxquels le président français sera "confronté".
Universitaires, écrivains, ils demandent à Emmanuel Macron de reconnaître cette guerre menée par la France dès la fin des années 40 et après l'indépendance camerounaise, à l'encontre de l'UPC, l’Union des populations du Cameroun.
Une guerre qui, soulignent les signataires de la tribune, appliqua "les mêmes méthodes qu’en Algérie : regroupement des populations par la terreur, feu sans sommation dans les « zones interdites », torture des suspects, exécution des partisans adverses, bombardements incendiaires de régions entières, encadrement des populations et « guerre psychologique » de chaque instant".
A l'image de la guerre d'Algérie, un couvercle a ensuite été posé sur cet épisode de l'histoire et les chercheurs peinent aujourd'hui encore à accéder aux archives officielles sur le sujet.