Fil d'Ariane
Les partisans du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), attendant leur leader, Maurice Kamto, au siège régional du parti, à Douala, au Cameroun, le 8 juin 2025.
Candidat désigné pour la présidentielle d’octobre prochain au Cameroun par l’Alliance politique pour le changement (APC), l’opposant Maurice Kamto, de retour au Cameroun après une tournée politique à l’étranger, a été empêché par les autorités locales de rencontrer ses partisans à Douala, ce dimanche 8 juin. Il a finalement été accueilli en héros le lendemain, à Yaoundé, la capitale camerounaise. Analyse.
A cinq mois de l’élection présidentielle d’octobre prochain, le MRC, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun et son leader, Maurice Kamto, cristallisent de plus en plus les tensions entre opposition et autorités camerounaises.
Candidat probable à la magistrature suprême, Maurice Kamto avait prévu de rencontrer militants et sympathisants de son mouvement ce dimanche 8 juin, à Douala, la capitale économique camerounaise. Dans le même temps, sa résidence était encerclée par plusieurs dizaines d’éléments des forces de sécurité, l’empêchant de fait de pouvoir en sortir.
Annoncé au siège de son parti, situé au quartier Deïdo, à l’Ouest de Douala, le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun est donc resté confiné dans ses appartements, au grand dam de ses milliers de partisans mobilisés pour certains dès l’aube. Gendarmes et policiers présents en nombre sur place, se sont employés à contenir la foule tout en essayant de la disperser.
Les partisans du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), face au forces de l'ordre, à proximité du siège régional du parti, à Douala, au Cameroun, le 8 juin 2025.
Un face à face qui est resté globalement bon enfant – les militants du MRC offrant même des bouteilles d’eau aux forces de l’ordre –, mais qui cache mal la fébrilité des autorités camerounaises vis-à-vis de Maurice Kamto et son parti.
Depuis le succès de son meeting Place de la République à Paris, le 31 mai dernier, au cours duquel plusieurs milliers de manifestants ont fait un triomphe au MRC et à son leader Maurice Kamto, les attaques des membres du gouvernement ou du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir, se font plus violentes.
Dès le lendemain de cette grande rencontre parisienne, Grégoire Owona, ministre camerounais du Travail et de la sécurité sociale a écrit sur sa page Facebook : « Qu’est-ce que c’était minable ce meeting si médiatisé depuis des mois, où les organisateurs annonçaient retrouver par millions la diaspora camerounaise du monde entier ! La prestigieuse place de la République n’a pas vu les dizaines de millions de Camerounais annoncés […] »
Dans la foulée et sur le même réseau social, Jean de Dieu Momo, ministre délégué auprès du ministre de la Justice, publiait un post intitulé « Promesses fallacieuses dans un meeting à Paris » et dans lequel il affirmait : « Franchement, j’ai ri en apprenant qu’il s’engage à protéger le président Paul Biya et sa famille ! […] Par ailleurs, voilà un type qui n’est pas encore au pouvoir mais dont la garde rapprochée est constituée de Nkassa (Blanc), un véritable complexe d’infériorité du Noir qui continue de croire que le Blanc lui est supérieur ! »
La tension est montée d’un cran supplémentaire après la publication le 5 juin dernier, d’un arrêté préfectoral interdisant la circulation des motos-taxis sur certains axes routiers de la ville de Douala durant le weekend du retour prévu de Maurice Kamto au Cameroun. L’arrêté évoque en effet « les nécessités de maintien de l’ordre public, de préservation de la paix sociale, de la sécurité des personnes et des biens. »
Aux yeux des autorités, la présence de Maurice Kamto et ses partisans au siège du MRC, à Douala, constituait un risque de trouble à l’ordre public. Pour preuve, certains axes concernés par l’interdiction mènent directement vers le siège régional du Mouvement pour la renaissance du Cameroun.
Pour le politologue camerounais Aristide Mono, directeur de la Société camerounaise d’intelligence et de recherches, basée à Yaoundé, « il s’agit d’une énième tentative de musèlement politique d’un leader de l’opposition, dont l’épanouissement constitue un réel danger pour un ordre politique dominant qui est resté très réfractaire à la concurrence politique. Il s’agit d’une obstruction flagrante à l’expression effective des libertés politiques. »
Dans le même ordre d’idée, Stéphane Akoa, analyste politique pour la Fondation camerounaise Paul Ango Ela, estime que « le président du MRC agace, fortement. Et les responsables du système gouvernant veulent désormais faire valoir leur « droit » au recours à la force quand Maurice Kamto agit. Car ils ont peu d’autres moyens à leur disposition d’une part, et d’autre part, parce qu’ils pensent certainement qu’en agissant de manière brutale, ils pourront dissuader ceux et celles qui veulent soutenir ce parti politique. »
Le professeur Maurice Kamto a d’ailleurs déclaré dans une vidéo très largement diffusée sur les réseaux sociaux qu’il était séquestré à son domicile, à Douala. Tout en réaffirmant son attachement au respect de l’ordre républicain, il a également rappelé que les dirigeants du MRC avaient informé les responsables du maintien de l’ordre du calendrier et de la nature de leurs activités. Par conséquent, sa rencontre avec ses partisans ne présentait aucun risque de trouble à l’ordre public.
Face à cette assignation à résidence de fait, le temps d’un week-end, le professeur Kamto a été contraint de demander aux milliers de personnes qui s’étaient déplacées de bien vouloir regagner leurs domiciles dans le calme.
(Re)voir Cameroun : Maurice Kamto, parole d'opposant
A l’évidence, en réunissant plusieurs milliers de partisans place de la République, à Paris, Maurice Kamto n’a pas seulement réussi son pari, il a aussi accru davantage la défiance des autorités camerounaises à son égard. Alors que la campagne électorale n’est pas encore officiellement lancée, le bras de fer s’annonce déjà très rude entre le pouvoir en place et le chef de file de l’opposition.
Mais comme l’affirme l’analyste politique camerounais Stéphane Akoa : « Il est toujours nécessaire de compter ses soutiens en politique; et de montrer au camp d’en face que l’on est capable de mobiliser des citoyens, des électeurs. » S’agissant du meeting de Paris, son confrère Aristide Mono estime pour sa part qu’il s’agissait d’abord « d’une démonstration de force, afin de peser dans la bataille entre le MRC et ceux qui veulent le disqualifier pour la présidentielle d’octobre prochain. »
En dépit de ces tensions durant son court séjour à Douala, Maurice Kamto a finalement été accueilli en héros par ses partisans lors de son retour ce lundi 9 juin, à Yaoundé, la capitale politique camerounaise où il réside.