Cameroun : vers un traitement de la crise anglophone, sans les protagonistes clés ?

Sous la pression de la communauté internationale, le président camerounais Paul Biya, a concrètement lancé un appel au dialogue avec les anglophones, dans un discours adressé à la nation, le mardi 10 septembre 2019. Un "dialogue national", certes, mais avec qui, précisement autour de la table ?
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Dans sa dernière allocution télévisée, Paul Biya annonce un "grand dialogue" concernant la crise anglophone 
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Ce grand "dialogue national" décrété par Yaoundé est attendu pour la fin septembre.  Il concerne le conflit meurtrier entre des groupes séparatistes de la minorité anglophone et les forces de sécurité dans l’Ouest. Une main tendue a priori, d'un régime qui, dans un même temps, fait juger pour "insurrection" des leaders de l’opposition.

Une annonce saluée par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, mais ce signe d'ouverture a peu de chances d'aboutir si les leaders séparatistes en prison ou en exil en restent exclus.

Concrètement, pour l'heure, ce rendez-vous diplomatique devrait rassembler des membres des mouvements politiques, de la société civile, des groupes religieux mais aussi des représentants des forces de sécurité et des groupes armés rebelles.

Une situation humanitaire très préoccupante

La crise débutée en 2016 par des mouvements de protestations est devenue meurtrière fin 2017, quand des groupes sécessionnistes ont pris les armes et radicalisé les positions.

Dans ces régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, peuplées majoritairement par la minorité anglophone, l'armée affronte depuis des groupes armés militant pour la création d'un État indépendant. Selon les chiffres du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), les exactions de part et d'autre et les combats ont fait plus de 2.000 morts depuis fin 2017. Les Nations-Unies ajoutent que cette crise a poussé 530.000 personnes à fuir leur domicile.

Devant l’inquiétante dégradation de la situation humanitaire, une partie de la communauté internationale a fait pression sur Yaoundé et en mai le pouvoir s'était dit prêt au dialogue.

"L'appel pour un dialogue inclusif est très apprécié", explique à l'AFP le célèbre avocat anglophone et défenseur des droits humains, Felix Agbor Nkongho. "Le gouvernement doit maintenant autoriser les anglophones des différents bords à prendre part à ce dialogue sans craindre d'être arrêtés ou inquiétés pour leurs idées."

De nombreux séparatistes condamnés et emprisonnés

L'annonce télévisée du président Biya intervient trois semaines après la condamnation à la prison à vie de Julius Ayuk Tabe, l'un des principaux chefs séparatistes. M. Tabe n'est pourtant pas perçu comme un fervent partisan de la lutte armée. 

A Buea, le chef-lieu de la région du Sud-ouest, l'organisation d'un dialogue "que les gens demandent depuis longtemps" est perçu comme un signe d'apaisement, estime Blaise Chamango, acteur local de la société civile. Mais "les séparatistes sont devenus radicaux et tout ce qui est proposé par Yaoundé est perçu comme un cadeau empoisonné", ajoute-t-il estimant également que le retour à la paix sera impossible sans leur participation aux pourparlers.

Le "grand dialogue national" annoncé dans son allocution (en français mais doublée en anglais) a été rejeté par plusieurs organisations séparatistes regroupées au sein d'un Mouvement de libération du Sud-Cameroun. "Nous ne lui permettrons pas d’utiliser un tel cirque pour attirer la communauté internationale", a réagi ce mouvement, demandant, notamment à M. Biya de retirer son armée et son administration des régions anglophones.

Mercredi, (NDLR : 11 septembre 2019) les journaux réputés proches de l'opposition s’interrogeaient sur le sens à donner à cette démarche. "Biya annonce un dialogue avec des fantômes !", "Un dialogue national biaisé d'office", "Dialogue sous fond de menace", pouvait-on lire sur leurs Unes.

Si les pays étrangers se soucient réellement de la situation des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qu’ils agissent contre ces criminels !

Paul Biya, président camerounais

Point de non-retour

"La période du dialogue est finie depuis bien longtemps, nous voulons des négociations sur les termes d'une séparation", martèle l'un des chefs de groupe armé, Ebenezer Akwanga, dans un entretien par téléphone avec l'AFP depuis son exil aux États-Unis.

Les séparatistes ont généralement posé comme préalables à l'ouverture de toute discussion avec le pouvoir central la libération de tous les détenus de la crise anglophone et le retrait de l'armée.

Même rhétorique, côté francophone. "Tel que je connais nos frères anglophones, le dialogue risque de ne pas aboutir si les leaders ne sont pas libérés", réagit auprès de l'AFP Etienne Bouya, frigoriste à Douala, la capitale économique où de nombreux anglophones se sont réfugiés. "Si les acteurs sont en prison, il va dialoguer avec qui ?", s'interroge Séraphin Temgwa, un commerçant.

Dans son discours, Paul Biya avait réitéré son offre de "pardon" aux séparatistes qui "déposent volontairement les armes", mais il a promis à ceux qui s'y refuseraient de subir "toute la rigueur de la loi".