Le Conseil constitutionnel ivoirien a validé seulement quatre des 44 candidatures déposées à la présidentielle. Outre celle du président Ouattara, ont été acceptées celles de l'ancien président Henri Konan Bédié, de Pascal Affi Nguessan, ancien Premier ministre et du député Kouadio Konan Bertin. Retour sur le parcours des quatre candidats et la décision du Conseil constitutionnel avec le politologue Sylvain N’Guessan.
La liste est donc définitive. Quatre candidats se disputeront le siège présidentiel le 31 octobre prochain. Les candidatures de Guillaume Soro et de Laurent Gbagbo ont été en effet rejetées.
Au total 40 personnalités politiques ont vu leur volonté de briguer la présidence brisée. Cette sévérité de la Cour constitutionnelle ne surprend par le politologue ivoirien Sylvain N’Guessan.
« Le code électoral a été modifié à la mi-avril 2020 avec deux innovations majeures. La caution pour toute candidature est ainsi passée de 20 à 50 millions de francs CFA. Le parrainage a été modifié. Il faut rassembler désormais un pour cent du corps électoral réparti sur 17 régions. Ces deux critères ont fait tomber la plupart de candidats », estime le politologue qui dirige l'Institut de stratégie d'Abidjan.
Les quatre candidats retenus ne sont pas des inconnus pour les électeurs. Ils incarnent une forme de maintien de la classe politique.
Le premier d’entre eux est
Alassane Ouattara. Il a été en 2010, puis réélu en 2015. Le président Alassane Ouattara, 78 ans, avait promis de passer la main. Mais il se représente pour un troisième mandat après la mort brusque de son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Comme la précédente, la Constitution adopté en 2016 limite à deux les mandats présidentiels. Mais le Conseil constitutionnel estime que ce changement de Constitution a remis le compteur des mandats à zéro, même si ses adversaires jugeaient anticonstitutionnelle cette troisième candidature. Cet argument du compteur remis à zéro reste ainsi discutable selon le politologue ivoirien, Sylvain N’Guessan.
« L’article 183 de la constitution stipule bien que le président ne peut effectuer plus de deux mandats. Le Conseil constitutionnel a pris une décision. Il faut la respecter. Et les demandes actuelles de report d'une partie des opposants ne sont pas recevables. Tout a été fait pour que les élections se produisent dans de bonnes conditions », ajoute l'analyste politique.
L'annonce de la candidature du président sortant en tous cas a été suivie de violences qui ont fait une quinzaine de morts en août. Alassane Ouattara fera sans doute campagne sur son bilan à la tête du pays qu'il a remis sur les rails économiques et fait retrouver son statut de locomotive régionale politique. Le président sortant veut réaliser un
« coup K.O » électoral et l’emporter dès le premier tour.
Il aura face à lui de vieux routiers de la vie politique ivoirienne comme un ancien président avec
Henri Konan Bédié. L'ancien chef d’Etat (1993-1999), 86 ans, se présente pour le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, principale formation d'opposition) après avoir quitté la coalition de Ouattara en 2018.
Auteur de "l'Ivoirité", un concept nationaliste autour de l'identité, Henri Konan Bédié avait succédé à Félix Houphouët-Boigny à la mort de celui-ci en 1993 puis était élu en 1995. Il a été chassé du pouvoir par un putsch le 24 décembre 1999. Il est arrivé troisième de la présidentielle de 2010 derrière Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Puis il a soutenu le président Ouattara pendant la crise post-électorale puis pendant ses 6 premières années au pouvoir. Celui que l’on surnomme le "Sphinx" veut sa revanche sur le putsch et sur Alassane Ouattara.
Pascal Afi Nguéssan, agé de 67 ans, a également occupé une des plus hautes fonctions du pouvoir. Il a été un ancien Premier ministre de l'ex-président Laurent Gbagbo et il a fait parti des quatre candidats retenus. Il était arrivé deuxième, avec 9,29% des voix, de la présidentielle de 2015. Il est candidat de la faction du Front populaire ivoirien (FPI, fondé par Laurent Gbagbo) qu'il dirige, mais celle-ci est opposée à celle des fidèles de Gbagbo, les "Gor" (Gbagbo ou rien).
Kouadio Konan Bertin est le quatrième candidat. Réputé pour sa gouaille, "KKB", 51 ans, est en rupture avec le PDCI, le parti qui soutient Henri Konan Bédié et qui a refusé sa candidature. Indépendant comme en 2015, cet ancien député avait alors terminé 3e avec 3,88% des voix.
Pas de renouvèlement
Trois candidats occupent le paysage politique ivoirien depuis plus de 20 ans, voir près de trente ans. Le politologue Sylvain N’Guessan constate également une absence de renouvellement de la classe politique. « Ceux que nous connaissons depuis ces trente dernières années n’ont pas voulu transmettre le relais, en dehors du président Alassane Ouattara qui avait choisi Amadou Gon Coulibaly qui n’est plus de ce monde. Les gens du PDCI de monsieur Konnan Bédié ou le FPI de monsieur Gbagbo n’ont pas voulu passer la main à la nouvelle génération. Et puis cette nouvelle génération à mon sens ne s’est pas suffisamment battue pour être au-devant de la scène. Ils ont pensé qu’en attendant patiemment leur tour, ils allaient trouver leur place », estime l'analyste politique.
Ces candidats ont-ils une chance face au président sortant ? Les pro Laurent Gbagbo vont-ils reporter leurs voix sur l’ancien premier ministre de Laurent Gbagbo, Pascal Afi Nguéssan ? Rien n’est moins sûr selon Sylvain N’Guessan. « La tendance du FPI de Laurent Gbagbo est de se rapprocher d’Henri Konan Bédié. Un accord avait été signé. Il engageait les deux hommes à soutenir celui qui arrivait au second tour. Dans la mesure où la candidature de monsieur Laurent Gbagbo a été rejetée, je pense que les partisans du FPI vont se rapprocher de la candidature de Konan Bédié. Ils n'iront pas vers Pascal Affi Nguéssan ». Selon l'analyste politique, Henri Konan Bédié a "une petite chance" face au président sortant Alassane Ouattara.
La liste est donc tombée. Comment réagit le corps électoral ivoirien ? "Il y a une réelle déception parmi la société ivoirienne de voir les mêmes personnes présentes depuis les années 1990. Les dernières manifestations du mois d'août qui ont fait quinze morts, ont fait ressurgir chez de nombreux Ivoiriens les souvenir des violences de 2010-2011."