Fil d'Ariane
Ils se sont notamment illustrés lors d’une bataille décisive à Reims en 1918. La ville a ainsi été choisie dès 1924 pour accueillir un monument leur rendant hommage. Une copie en a été faite en 2013 et inaugurée officiellement lors de cette cérémonie du mardi 6 novembre.
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Cette cérémonie organisée dans la cité rémoise est la seule à rendre hommage à ces troupes africaines, ces « héros de l’Armée noire » au cours du tour commémoratif effectué en France par Emmanuel Macron la semaine précédant le centenaire de l’armistice.
Est-ce suffisant pour faire (re)connaître le rôle de ces troupes africaines dans la Première Guerre mondiale ? « C’est un début, un commencement d’exécution, nous assure l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou qui s’est exprimé à la tribune. De grands intellectuels sont en train de s’exprimer. Des livres sont en train d’être publiés. Il y a des choses qui se passent qu’on ne voit pas. La commémoration n’est pas un bouquet final. C’est un moment de conscience pour beaucoup de Français. »
Qu’en est-il aujourd’hui, cent ans après cette guerre ? Il est nécessaire pour l’écrivain de partager cette histoire pas seulement pour s’inscrire dans l’Histoire de France mais pour que les Africains se l’approprient après avoir voulu s’en détacher dans les années 1960.
Pendant la période de décolonisation, l’Afrique veut oublier ce passé devenu douloureux qui rappelle beaucoup trop la période coloniale. « Après les indépendances, il y a eu dans certains pays africains une volonté de, non pas rejeter ce passé colonial, mais de passer à autre chose, nous explique Julien Fargettas, directeur départemental de l’office national des anciens combattants et victimes de guerre. Ce passé colonial, c'était les tirailleurs sénégalais, leur combat, leurs expériences. Cette question mémorielle, d’histoire est devenue secondaire au profit du développement de ces pays, de leur accès à l’indépendance, du développement de la vie politique locale. On a vraiment assisté à une réappropriation mémorielle de certains pays africains 40 ou 50 ans après les indépendances. »
Parce que finalement « dans mon continent, cette histoire a aussi laissé des traces. Nous n’avons rien oublié », a rappelé à la tribune mardi soir, l’écrivain franco-congolais. « Cette histoire est française et africaine. Ces combattants ne sont pas seulement les victimes de cette histoire. Ils ne sont pas exclusivement les héros exemplaires de la colonisation. Ils ont écrit l’Histoire de France avec leur sang et ils méritent leur place dans la mémoire collective qui patiente depuis longtemps. C’est cette histoire qu’il nous faudra dorénavant raconter. »
Il faut maintenant une réécriture de cette colonisation par les Africains.
Alain Mabanckou
Raconter l'histoire de cette guerre, c’est aussi s’emparer de l’histoire coloniale qui a poussé ces soldats sur les champs de bataille français. « Cette colonisation a été écrite par l’Europe, souligne Alain Mabanckou. Il faut maintenant une réécriture de cette colonisation par les Africains. Et cette réécriture commence par la reconnaissance de nos pères, frères, cousins qui sont tombés pour la France. Une France qui ne reçoit pas toujours les Africains aujourd’hui, donc il y a un paradoxe. »
Si la France a pourtant fait des efforts pour lever les tabous mémoriels liés à son passé colonial (Emmanuel Macron avec la reconnaissance récente des harkis ou François Hollande avec la naturalisation des tirailleurs sénégalais de la Seconde Guerre mondiale), le pays continue aujourd'hui de se débattre avec les conséquences de son histoire commune avec l'Afrique.