Dans Le journal de Bangui un journaliste écrit : « La Centrafrique est officiellement une déchetterie, une ruine de guerre… » Il y a vraiment un tel chaos ?
Déchetterie ? Le mot est un peu violent pour les gens qui y habitent. Sur place, on a le sentiment que c’est le chaos mais il y a aussi des gens qui trouvent leur place, leur intérêt… En revanche, les populations civiles sont dans une précarité totale…
L’ONU estime que près de 10% de la population est actuellement déplacée. Et cette population, fragile, est victime de pillards, de bandes armées, de violeurs...
La grosse difficulté de la Centrafrique, et notamment pour les organisations humanitaires, c’est d’atteindre ces population de déplacées. Il y a 35000 personnes qui sont réfugiées à Bossangoa, au pied de l’évêché et près de 300 000 qui sont complètement dispersées dans le pays et cachées dans la brousse, dans des espaces proches de leur village. Ils ont fui et vivent comme des bêtes traquées. Pendant notre tournage, l’un des pneus de notre voiture a crevé sur la route de Bossangoa. Nous avons vu quelqu’un, tout à coup, sortir de la brousse avec une machette. On pensait qu’il s’agissait d’un anti-Balaka, ces miliciens d’autodéfense. En fait, c’était juste un paysan qui faisait le guetteur. Il avait entendu des véhicules passer. Pour ces gens-là, dès qu’ils entendent un véhicule, il ne peut s’agir que d’un milicien de la Séléka qui va les tirer comme des lapins. Nous lui avons parlé, nous l’avons rassuré, et nous l’avons suivi dans la brousse. Et petit à petit, au fur mesure de ses rencontres en chemin, il rassurait les gens : « Ce ne sont pas des ennemis, ce sont des journalistes ! » et alors nous avons vu apparaitre une quarantaine de personnes, la moitié était des enfants. Tous terrorisés, apeurés, affaiblis. Au delà des conditions sanitaires, c’est la peur qui les consume.
Attendent-ils quelque chose de la communauté internationale ?
Tous attendent que la Séléka soit désarmée. Officiellement, cette rébellion a été dissoute, et cela est vrai à Bangui mais pas pour celles et ceux qui vivent en dehors de la capitale. Cela reste une horde de pillards qui ne répond à aucun commandement, à part, sur place, leur commandant de zone. La majorité de ces pillards ne sont pas centrafricains. A 80%, ils sont soudanais et tchadiens. Ils vivent de rapines, sur le dos de la bête. Ils ne s’attaquent pas aux femmes et aux enfants en premier lieu. La Séléka s’attaque d’abord aux hommes parce que ce sont eux qui grossiront les rangs des anti-Balakas. Les femmes peuvent circuler, même si elles sont harcelées. Il y a beaucoup de cas de viols, mais elles peuvent aller aux champs. Les hommes, eux, ne peuvent pas sortir de leur cachette. Ils sont immédiatement abattus. Parce que ceux qui sortent de la brousse sont considérés comme des anti-Balakas et donc ennemis de la Séléka.
S’agit-il de musulmans contre chrétiens comme on le dit souvent ?
Nous, journalistes, avons une responsabilité, qui est de ne pas rentrer dans cette espèce de dichotomie parce que notre travail peut influencer les choses. Reste que quand la Séléka est arrivée à Bangui, c’étaient les missions catholiques et les quartiers chrétiens qui étaient pillés. Mais ils l’étaient, je crois, pour des raisons économiques. La Séléka est en grande majorité composée de musulmans. Ils ne vont pas forcement piller leur coreligionnaires. Dans les mosquées, il y a des tapis et le Coran. Dans les missions catholiques, il y a plus de biens, de matériel. C’est une vraie réalité. S’il n’y avait eu que des musulmans en Centrafrique, les rebelles de la Séléka s’en seraient pris aux musulmans aussi. Ce sont des gens qui ont combattu au Darfour, ils sont musulmans et ils ne se sont pas fait de cadeaux…
Musulmans et chrétiens en Centrafrique ont toujours vécu en bonne intelligence mais une fracture s’est faite. Désormais, tous les musulmans sont apparentés à des collabos, à des soutiens de la Séléka, qui est considérée comme une force d’occupation et de l’autre coté, ces anti-Balakas se sont constitués en milice d’autodéfense, aujourd’hui ce sont des maquisards. Nous sommes dans cette rhétorique là : des résistants, des forces d’occupation. Ils s’en prennent aux musulmans qu’ils considèrent comme des collabos. Les Sélékas s’en prennent aux chrétiens. Et on en arrive à une guerre confessionnelle mais non pour des motifs religieux, des raisons de foi mais plutôt pour des motifs politiques.
400 soldats français sont présents en Centrafrique. Que font-ils concrètement sur place ?
Les forces françaises sécurisent l’aéroport de Bangui et elles sécurisent les expatriés français et bi-nationnaux. C’est tout.
Au delà des ballets diplomatiques, on a le sentiment que les actions pour venir en aide à ces populations tardent à se manifester. Il y a encore de l’espoir parmi les personnes qui sont victimes de ces raids, de ces viols, de toute cette violence ?
C’est terrible à dire : il n’y en a plus aucun. Avec d’autres confrères de RFI et du Monde qui sont sur place, nous avons fait le même constat : aucune once d’espoir ne se dégage de cette situation. D’autant plus que si les casques bleus interviennent, ce ne sera pas avant décembre et alors il sera trop tard. Les gens seront morts de maladie ou de s’être entretués… On ne peut pas attendre décembre, c’est beaucoup trop tard ! On a l’impression que la Centrafrique est la grande oubliée.
A Bossangoa, dans cette ville dont tout le monde parle, où tous les rescapés se réfugient au pied de l’église, dans la vermine, dans la fange, dans la peur et la haine, il y a MSF (Médecins dans frontières, ndlr), l’Unicef. Je me suis entretenue avec la coordinatrice de l’Unicef qui est allée en Somalie, au Darfour, aux Balkans, au Kosovo… Elle m’a dit qu’elle n’avait jamais vu une telle situation.
Les reportages d'Ilhame Taoufiqi et de Clément Alline seront diffusés sur le Journal Afrique de TV5Monde à partir du dimanche 27 octobre (Signal Europe à 23h27, France Belgique Suisse à 1h00, Afrique à 21h30, Orient à 23h, Pacifique à 22h30, Amérique latine à 22h)