Quel est l'intérêt pour la France d’intervenir aujourd’hui en Centrafrique ? Même s’il y a des massacres en cours, la cause humanitaire n’est pas le but de cette intervention. En réalité, l’humanitaire sert de prétexte à l’intervention militaire. Et d’ailleurs, les humanitaires de terrain eux-mêmes se démarquent de ces
prétextes. Il faut, par ailleurs, écarter l’intérêt économique. La Centrafrique est le 4e pays le plus pauvre au monde. Il dispose, certes, de ressources en diamants mais ce n’est pas non plus une cause d’intervention. Non, en réalité, l’intérêt est uniquement géopolitique. Pouvez-vous préciser ? Il y a tout d’abord une explication large, à replacer dans toute la zone d’influence française et dans les 50 interventions françaises en
Afrique Subsaharienne depuis les indépendances. Du point de vue diplomatique, cela donne à la France, qui est une puissance moyenne, une quarantaine de votes quasi automatiques de nos « clients » africains aux Nations unies, une zone d’influence monétaire, via le franc CFA, et économique à travers les matières premières, dans certains pays – même si, encore une fois, ce n’est pas le cas de la Centrafrique. En fait, la crainte est que ce pays se transforme, non pas en une zone terroriste – ce n’est pas parce que des djendjaouis soudanais sont présents que l’on peut parler de nouveau Djihad, il s’agit avant tout de mercenaires- mais en une zone de non-droit qui, petit à petit, entraînerait tous les États alentours dans ce conflit. Par exemple, le Cameroun, mais surtout le Tchad, dont la dictature est une alliée militaire (on l’a vu au Mali), le Soudan, l’immense RDC… Bref, une propagation de l’instabilité par delà les frontières qui concernerait toute la région, une sorte de "nouvelle" première guerre continentale africaine des années 90 autour de la RDC. C’est cela, le danger militaro-politique à long terme si l’on n’intervient pas. Il y a ensuite une explication liée à la Centrafrique elle-même. C’est le pays du couronnement de Bokassa, sous l’égide des Français puis, ensuite, de la déposition du même empereur lors de l’opération « Barracuda » menée par l’armée française. Avec ou sans mandat de l’ONU, la France a toujours fait à peu près ce qu’elle voulait en Centrafrique. Ce qui explique qu’il n’y ait ni armée, ni pouvoir politique « présentables » reconnus et légitimés par des élections transparentes. C’est un pays d’interventionnismes à répétition. Et, même, en admettant que le pouvoir actuel soit plein de bonnes intentions, son intervention contribue à miner la légitimité de l’État centrafricain que l’on veut protéger.