Centrafrique : "Il faut arriver à un compromis avec l'opposition", selon Roland Marchal

Les tensions entre les rebelles et les forces gouvernementales centrafricaines ne faiblissent pas. Les rebelles contrôlent les deux tiers du pays. Le président Faustin-Archange Touadéra, lui, compte sur la présence de des forces alliées étrangères. Est-il possible d'arriver à un apaisement des tensions ? Entretien avec Roland Marchal, spécialiste de la Centrafrique au CERI de Sciences-Po Paris et chargé de recherche au CNRS.
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Faustin Archange Touadéra
Faustin-Archange Touadéra parle à la presse après avoir voté à Bangui le 27 décembre 2020.
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Les forces centrafricaines ont attaqué les rebelles qui tentent d'imposer un blocus de la capitale Bangui et de renverser le régime du président Faustin Archange Touadéra. Selon le gouvernement 44 d'entre eux  ont été tués.

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TV5MONDE : Quel est le rapport de force entre les deux camps ? 

Roland Marchal : La stratégie militaire des rebelles depuis le début du mois de décembre consiste à couper les axes routiers, notamment celui avec le Cameroun, qui permettent un approvisionnement de Bangui. Depuis une dizaine de jours, ils sont aussi présents dans une périphérie de la capitale avec la possibilité d'une attaque sur des objectifs militaires qu'on ignore, car ils ne communiquent pas tellement et ne sont probablement pas très organisés. 

Les Russes, les Rwandais et la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique) fournissent, eux, un soutien irremplaçable aux FACA (Forces armées de Centrafrique) qui ne sont pas très efficaces, ainsi qu'à une police et une gendarmerie qui ne combattent pratiquement pas.

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Fondamentalement, les rebelles sont les plus faibles mais à l'inverse des forces étrangères, ils connaissent bien le terrain et ils sont chez eux. Ils peuvent se débander très rapidement puis se regrouper après. Ce c'est qui fait qu'il n'y aura pas de victoire militaire absolue dans cette guerre. Comme le gouvernement le dit, on peut tuer 40-50 ou 100-200 rebelles, mais ça ne tuera pas la rébellion. Ces rebelles seront capables de recruter à nouveau et d'exister. 

TV5MONDE : Faustin-Archange Touadéra fait appel aux forces étrangères, le soutien populaire ne suffit pas? 

Roland Marchal : C'est un peu plus compliqué que cela. On pense que le soutien populaire à Touadéra est limité car il n'a rien fait pour la population pour le dire crûment. De l'autre côté, les FACA n'ont pas une expérience militaire très forte. Les formations reçues se révèlent faibles et les soldats s'enfuient assez rapidement. 

Ce qui sauve le régime de Faustin-Archange Touadéra, ce sont les forces étrangères

Roland Marchal, chercheur

Toutefois, la prise militaire de Bangui par les rebelles est hautement improbable en raison de cette présence militaire étrangère. Mais ça ne veut pas dire que le présidnt Touadéra a gagné. Politiquement, il révèle même sa faiblesse car ce qui sauve son régime, ce sont des forces étrangères. Ce qui est inquiétant aujourd'hui, c'est que le gouvernement n'est pas intéressé à constituer une unité nationale. Il est cependant incapable d'exister seulement à Bangui. Il va falloir donc qu'il rediscute avec les mouvements armés. Il faudra arriver à un autre type d'arrangement que les accords de Khartoum (NDLR : accord de paix signé le 6 février 2019)entre le gouvernement centrafricain et quatorze groupes armés centrafricains ), car Touadéra les a lui-même dénoncés. On sait ce que veulent les forces rebelles, mais que veut le gouvernement à part gagner les élections?

TV5MONDE : Selon vous, est-il possible de faire cesser cette escalade de violence ? 

Roland Marchal :  Tout d'abord, il faut faire la distinction entre l'opposition civile et l'opposition armée. Mais dans tous les cas, il faut développer un compromis avec ces gens-là. Par ailleurs, même si la Cour Constitutionnelle a décidé que les élections avaient été gagnées par Touadéra, il est clair que les élections législatives ne doivent pas se passer de la même façon que la présidentielle. Il pourrait y avoir un forum avec l'opposition civile, dont les inquiétudes doivent être reconnues par le gouvernement et la communauté internationale. Il y a aussi la possibilité d'une médiation régionale pour retisser des liens, créer un dialogue politique avec les mouvements armés et regarder si on peut faire baisser la tension.