A moins de quatre mois des élections présidentielle et législatives, l’incertitude place en Centrafrique. La guerre civile entamée en 2013, même de basse intensité, sévit toujours, les tensions politiques s'avivent et l'organisation du scrutin présidentiel prévu le 27 décembre a pris du retard.
Les élections se profilent mais le doute sur la bonne tenue de celles-ci persiste en Centrafrique. Le président Faustin Archange Touadera devrait, en toute logique, briguer un second mandat mais doit composer avec le retour en force de François Bozizé, le chef de l'Etat renversé en 2013 à l'issue d'un putsch de milices à majorité musulmane coalisées au sein de la Séléka. M. Bozizé a, en outre, annoncé sa candidature.
Se pose aussi la question de savoir si peuvent être tenues des élections crédibles dans un pays dont les deux tiers sont encore aux mains de groupes armés rebelles. Ceux-ci risquent de monnayer au prix fort leurs soutiens aux candidats ou d'empêcher le vote sur de larges portions du territoire.
(Re)voir : Élections législatives et présidentielle en Centrafrique : retour sur les équilibres fragiles du pays
« Un délai technique » demandé
L'enrôlement des quelque deux millions d'électeurs, sur environ 4,7 millions de Centrafricains, doit s'achever le 27 septembre selon la Constitution. Mais il a fallu attendre juillet pour que le Parlement vote enfin la mise en place de l'Autorité nationale des élections (ANE) pourtant prévue début 2019.
Le travail des agents de l'ANE pour enregistrer les électeurs a été aussitôt perturbé par les violences sporadiques et des difficultés logistiques. «
On est restés coincés une semaine en province, et il a fallu payer avec notre salaire pour rentrer à Bangui », témoigne l'un d'eux sous couvert de l'anonymat.
L'ANE a finalement reconnu l'impossibilité de tenir le calendrier prévu par la Constitution et demandé récemment un «
délai technique » pour repousser la date butoir du 27 septembre au 8 octobre pour l'enrôlement. Ce délai qui cristallise aujourd'hui les tensions.
Le 27 septembre, «
c'est le délai maximal possible sans être obligé de repousser les élections », rappelle Hans de Marie Heungoup, expert de la Centrafrique à l'International crisis group (ICG).
Si le «
délai technique » est accordé, le premier tour peut en théorie avoir lieu le 27 décembre, ce que souhaite le camp Touadéra. S'il est rejeté, il faudra envisager un report des scrutins. Il revient à l'Assemblée nationale de statuer sur le sujet mais elle n'a été convoquée que vendredi 18 septembre. Elle dispose de cinq jours, jusqu'au 23 septembre, pour se prononcer.
Un report des scrutins est-il possible ?
En juin, la Cour constitutionnelle a exclu toute prolongation du mandat du chef de l'Etat, qui prendra fin le 30 mars 2021. Si le scrutin ne peut avoir lieu dans les temps, la Cour a évoqué la nécessité d'une «
concertation nationale » incluant notamment l'opposition pour décider de la suite. En somme, un pouvoir de transition négocié entre M. Touadéra et ses adversaires, interprètent les juristes.
«
Il sera très difficile de trouver un consensus », juge Hans de Marie Heungoup.
Le dépôt officiel des candidatures n'est pas encore ouvert mais une dizaine de personnes ont déjà annoncé leur intention de se présenter à la présidentielle.
La Coalition de l'opposition démocratique (cod2020), qui réunit les principaux partis opposés à M. Touadéra, a accusé, jeudi 17 septembre, le pouvoir de vouloir «
bâcler les élections » et estimé que l'ANE «
ne peut organiser de scrutins crédibles dans les délais constitutionnels ».
«
Nous ne comprenons pas cet acharnement à vouloir tenir un calendrier à tout prix. Nous voterons contre ce projet de loi », avertit Christian Guenebem, directeur de campagne de François Bozizé.
Or, la majorité présidentielle est fragilisée, notamment en raison du revers essuyé récemment lors d'un vote concernant l'ANE. Ce qui laisse présager une âpre bataille parlementaire sur le «
délai technique » avec le report des élections en toile de fond.
Des élections sous la coupe des groupes rebelles ?
Agents recenseurs kidnappés, communes interdites d'accès… Les opérations électorales restent soumises au bon vouloir des milices, qui tiennent les deux tiers du territoire.
Malgré la signature d'un accord de paix entre le gouvernement et quatorze groupes armés en février 2019, les civils sont toujours en proie aux exactions et crimes des miliciens.
Le gouvernement a activé, lundi 14 septembre, le «
plan de sécurisation du processus électoral » avec l'aide des Casques bleus de la Minusca. Cependant, cette mission des Nations unies en Centrafrique n'a jamais pu empêcher les milices de sévir sur la majorité du territoire.
L'opposition fustige, par ailleurs, la proximité de groupes armés avec le pouvoir de M. Touadéra qui, selon elle, fait preuve de beaucoup de mansuétude à l'égard de certains chefs de guerre.
L'opposition n'est pas non plus épargnée par ces accusations : le parti Kwa Na Kwa (KNK) de M. Bozizé est réputé proche des milices chrétiennes anti-balaka, formées en 2013 pour combattre la Séléka et, comme cette dernière, accusées de crimes de guerre en 2015 par l'ONU.
M. Bozizé cristallise les inquiétudes du camp Touadéra, qui redoute un éventuel coup de force en cas de contestation électorale.
(Re)voir : Présidentielle en Centrafrique : "La plupart des hommes armés veulent revenir à la vie civile"