Centrafrique : la chute annoncée de François Bozizé
Il aura fallu à peine trois jours aux rebelles de la Séléka pour s’emparer de la capitale centrafricaine. Sans résistance apparente, quasiment sans effusion de sang, Bangui est tombée, et le président François Bozizé s’est enfui. Pourquoi la chute a-t-elle été si rapide ? Eléments de réponse avec Antoine Glaser, journaliste, écrivain et spécialiste de l'Afrique.
"La chute de François Bozizé était déjà quasiment inscrite dans les accords de paix signés le 11 janvier 2013 à Libreville, explique Antoine Glaser. Le compromis faisait du président une sorte de ‘reine d’Angleterre’, en accordant tout le pouvoir au gouvernement d’union nationale de Nicolas Tiangaye, le Premier ministre issu de l’opposition nommé le 17 janvier." Or personne, de part et d’autre, n’a respecté les engagements pris lors du cessez-le-feu. Parmi ces promesses figuraient le retrait des troupes sud-africaines, l'intégration des combattants de la Séléka dans l'armée et la libération de prisonniers politiques. La seule qu'ait tenue François Bozizé, c’est la libération des détenus politiques, mais à la dernière minute, par un décret annoncé le 20 mars 2013, le jour même de la fin de l’ultimatum lancé par Séléka. "Isolé, abandonné depuis plusieurs semaines, Bozizé était perdu d’avance," constate Antoine Glaser. Les rebelles, eux, n’ont pas entamé le début d’un désarmement. La Séléka, même si ce mot signifie ‘alliance’ en sango, reste une coalition très hétéroclite et dissonante, une mosaïque de factions dissidentes issues de plusieurs mouvements connus et de groupes plus récents, assemblée pour une seule raison : obtenir la chute du président centrafricain.
Antoine Glaser, spécialiste de l'Afrique, fondateur et ancien rédacteur en chef de “La Lettre du continent“
François Bozizé lâché par les Centrafricains Le président de Centrafrique n’a pas su construire une base populaire dans un pays miné par la misère, ni même dans la classe politique, rebutée par son autoritarisme et son népotisme. Antoine Glaser se souvient que "nombre de personnalités politiques, relativement jeunes, entre 40 et 50 ans, qui l’avaient soutenu contre Ange-Félix Patassé à son arrivée au pouvoir, voilà dix ans presque jour pour jour, ont fini par jeter l’éponge et quitter le pays." Il cédait trop souvent aux dérives que l’on ne connaît que trop bien dans d’autres pays d'Afrique. "Il a mis bien trop longtemps à se séparer de son neveu Sylvain Ndoutingaï, son ministre des Mines, qui faisait la pluie et le beau temps, précise Antoine Glaser. Il avait aussi doublonné la plupart de ses ministres pour assurer ses positions." Quant à l'armée centrafricaine, Antoine Glaser affirme que François Bozizé "en a toujours eu peur et ne s’en est jamais vraiment occupé." Il la connaît d’autant mieux qu’il en a été chef d’état-major et qu'il avait même mis son fils aux commandes. Aller chercher des troupes sud-africaines, et différer leur retrait décidé lors du cessez-le-feu, révèle sa défiance vis-à-vis de sa propre armée. "Dans ces conditions, qui allait le soutenir ?" s'interroge Antoine Glaser. Le fait est que François Bozizé tenait moins par un soutien à l’intérieur du pays que par celui de ses parrains régionaux : le Tchad et le Congo Brazzaville.
François Bozizé lâché par ses alliés en Afrique Auprès de ses "parrains régionaux" que sont le président tchadien Idriss Déby sur le plan militaire, et le président congolais Denis Sassou-Ngesso sur le plan politique - qui fournissent le gros des 760 hommes de la FOMAC (Force multinationale d'Afrique centrale) - le président Bozizé s’était engagé au départ des troupes sud-africaines. "Il ne l'a pas fait, et cela a certainement été sa principale erreur stratégique." Ce n’était certes pas une preuve de confiance à l'égard de ces "mentors" d’appeler à la rescousse 400 soldats sud-africains dans le cadre d’un accord bilatéral. "Et cela a certainement pesé dans leur décision de laisser tomber Bozizé." Ce n’est pas un hasard si quelques semaines après le remplacement de la garde présidentielle tchadienne mise à la disposition de François Bozizé par des Sud-Africains, début février, les rebelles sont passé à l’assaut. De fait ses alliés africains n'allaient pas intervenir.
François Bozizé lâché par la France Le changement politique à Paris a lui aussi pesé dans la balance. "En mars 2007, c’est une décision de Jacques Chirac qui avait sauvé la mise à François Bozizé à Birao, dans le Nord du pays," se souvient Antoine Glaser. La France en pleine campagne électorale en avait peu parlé, à l’époque, "mais cette opération aéroportée, avec des parachutistes, était une intervention française pour sauver un régime menacé de l'intérieur." Or François Hollande, lui, a déjà refusé son soutien au régime Bozizé en décembre 2012.
François Bozizé est parti, et maintenant ? Deux scénarii sont possibles, selon Antoine Glaser. "Le plus optimiste serait que le président de la Séléka (les rebelles), Michel Djotodia (de l’Union des Forces Démocratiques pour le Rassemblement, UFDR), annonce qu’il se contentera d’essayer de s’entendre avec le gouvernement de transition déjà en exercice depuis le cessez-le-feu – même s’il a déjà dévoilé qu’il sera candidat à la présidence." Il devra alors composer avec l’un des rares hommes politiques centrafricains qui réunit un consensus, l’actuel Premier ministre, Nicolas Tiangaye, "un homme très apprécié, un avocat estimé par toute la classe politique, qui a été bâtonnier du Barreau." Tous deux pourraient s’entendre pour poursuivre le gouvernement d’action national, évitant d’anéantir ce qui a été fait jusqu’à présent et sans devoir repartir à zéro. "L’autre scénario, plus sombre, serait que Djotodia devienne un autre Bozizé, s’installe comme le nouvel autocrate au pouvoir à Bangui… " conclut Antoine Glaser.