Centrafrique : "La tenue des élections va être très difficile"

À quelques jours des élections législatives et présidentielle, les tensions se renforcent en Centrafrique. Sera-t-il possible de voter dimanche dans le contexte actuel ? Louisa Lombard, professeure d’anthropologie à l’université de Yale, aux Etats-Unis, travaille sur la Centrafrique depuis 2003. Entretien.

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Des civils portent du matériel pour les élections législatives et présidentielle prévues le dimanche 27 décembre. Yongofongo, République centrafricaine, le 17 décembre 2020.
REUTERS/Antonie Rolland
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Le week-end du 19 décembre, des attaques de groupes armés qui se sont alliés ont déstabilisé le pays. Si les Nations unies assurent que la situation est « sous contrôle », l’opposition et une partie de la population demandent un report des élections. Une alternative que ne semble pour l’instant pas envisager le président sortant et favori, Faustin-Archange Touadéra. Il l'a rappelé lors d'une conférence de presse lundi.
 

TV5MONDE : Après l'offensive rebelle, les groupes ont affiché leur détermination pour continuer leurs actions. Que souhaitent-ils ? 

Louisa Lombard : Avec les évènements du week-end dernier, il est évident que ces groupes armés ont mené une offensive dans le but de déstabiliser le pays. Par exemple, on a vu des groupes armés cibler directement des forces de maintien de la paix des Nations unies. C’est une tactique militaire mais aussi une stratégie politique parce que c’est une manière de rendre la tenue des élections de dimanche impossible. [NDLR : la quatrième ville de Centrafrique, Bambari, à quelque 380 km au nord-est de Bangui, est tombée ce mardi aux mains de rebelles, ont affirmé son maire et des hauts responsables du gouvernement et de l'ONU].

De son côté, le gouvernement a annoncé l’arrivée de troupes rwandaises et russes [NDLR : La Russie a annoncé ce mardi avoir envoyé 300 instructeurs militaires supplémentaires] dans le pays : l’idée est de montrer que des forces internationales seront sur place pour assurer le maintien des élections. Pas sûr que cela suffise.

Pensez-vous que dans ce contexte, les élections puissent avoir lieu ? 

La tenue des élections va être très difficile. Cela dit, c’est une situation à laquelle on pouvait s’attendre. De nombreuses questions auraient pu être posées il y a plusieurs mois, parce que si la situation s’est aggravée ces dernières semaines, les problèmes ne datent pas d’hier.

Depuis la dernière élection présidentielle en 2015, la situation est préoccupante dans le pays. Le président Faustin-Archange Touadéra a été élu, démocratiquement, mais depuis il ne contrôle qu’une toute petite partie du pays, seulement la zone de la capitale et les environs. Le reste du pays est contrôlé par des groupes armés. Comment voulez-vous que le climat soit propice à la mise en place d’élections ?

Même si elles avaient lieu, il est très probable que de nombreux acteurs en rejettent les résultats. La situation restera, quoi qu'il arrive, très compliquée dans le pays. Il y a un immense travail à faire pour recréer plus de liens entre les dirigeants et le peuple.

L’un des enjeux pour l’avenir de la Centrafrique va aussi être la réaction des chefs d’Etat voisins. Souvent, le rôle de ces pays a été important pour la Centrafrique : Tchad, Cameroun, RDC... Ils surveillent de près la situation dans le pays, et j'attends de voir leurs réactions.

Dans quelle mesure la situation actuelle est-elle la conséquence de la guerre civile de 2013 ? 

La situation d’aujourd’hui découle directement de la guerre de 2013. Les tensions restent et les problèmes de fond n’ont jamais été réglés. Aujourd’hui, un quart de la population centrafricaine est déplacée. Cela fait sept ans que le pays est théoriquement sorti de la guerre civile. Les groupes armés sont parvenus à contrôler une zone assez grande et beaucoup d’entre eux ont intérêt à ce que cette situation continue comme cela. Ils s’en sortent notamment grâce aux taxes sur les ressources naturelles. Par ailleurs, des membres de groupes armés souhaiteraient intégrer l’armée ou entrer dans l’appareil étatique pour avoir un statut social plus élevé. Les dynamiques sont extrêmement différentes selon les groupes armés. 

La question de la réinsertion des forces rebelles est posée depuis des années. Il y a eu de nombreux projets, des programmes, des efforts qui avaient pour objectif de trouver une voie de sortie pour les membres des groupes armés. Pour des raisons diverses, ces programmes n’ont pas donné de résultat. Cela va rester un problème pour les années à venir.

Beaucoup de membres de ces groupes ont le sentiment d’avoir été exclus de la citoyenneté centrafricaine. Une réalité qui est finalement le cas de tous les Centrafricains étant donné que les richesses sont réservées à une élite et ne sont pas redistribuées.

Il y a deux ans, l'accord de Karthoum entre le gouvernement et les groupes armés a été signé. Quels effets a-t-il eu ?

L’objectif était d'entériner la division du pays entre les territoires tenus par les groupes armés et le gouvernement afin de mettre fin aux violences incessantes. Même si l’accord a été signé, la situation n’a pas fondamentalement changé et l'Etat centrafricain n'a jamais pu assoir son autorité. Au moindre désaccord, les violences reviennent, et c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant.

Juste après la signature de l'accord, il y avait des dizaines d’actes par jour perpétrés par les milices contre des civils. Finalement, l’esprit de l’accord n’a jamais été mis en oeuvre. La reponsabilité ne revient pas uniquement aux groupes armés, elle est partagée avec le gouvernement. D'une part, ces groupes n'ont aucune confiance en les autorités, et d’autre part les élites n'ont absolument pas conscience de la souffrance endurée par le peuple centrafricain. 


Vous dites que les groupes armés veulent déstabiliser le pays pour reporter voire annuler les élections, alors que le président sortant est donné favori. Derrière ces offensives, l’ancien président Bozizé est soupçonné. Les groupes armés sont-ils des « hommes » de Bozizé ? 

Il existe plus de quatorze groupes armés avec des objectifs et des intérêts différents. Parmi eux, des fervents soutiens de Bozizé, mais pas seulement. Il y a aussi ceux qui changent d’alliance en fonction de leurs intérêts. Il est certain que Bozizé joue un rôle dans la déstabilisation. Cela aurait pu être anticipé depuis son retour dans le pays il y a un an. Il est rentré alors qu’il était visé par une condamnation internationale. Le cas de Bozizé montre qu’il y a une impunité totale pour la classe politique, et cela favorise la défiance envers l’élite du pays.