Fil d'Ariane
Quand François Bozizé rentre en Centrafrique à la mi-décembre 2019, tout le monde s'interroge. Sur les conditions de son retour d'abord. L'Ouganda où il vivait était-il au courant de son départ pour Bangui ? Quant aux autorités centrafricaines, dans quelle mesure étaient-elles informées ? "L’énigmatique retour de François Bozizé en Centrafrique", écrit à l'époque l'hebdomadaire Courrier International dans une revue de la presse africaine plus riche en questions qu'en réponses. Seul constat partagé par tous à l'époque : ce retour va changer la donne en République centrafricaine.
François Bozizé est parti presque sept ans plus tôt. En mars 2013, après dix années au pouvoir, il vient d'être lâché par ses homologues tchadien et congolais, Idriss Déby Itno et Denis Sassou Nguesso. Une rébellion, la Séléka, prend le pouvoir à Bangui. Son chef, Michel Djotodia, est le nouveau président centrafricain.
Avec le départ de Bozizé une page se tourne. Longtemps proche de l'ancien président Ange-Félix Patassé, il lui a ravi le poste de président en 2003. La présidentielle très contestée de 2005 va l'installer officiellement au pouvoir, mais va aussi contenir les germes de ce qui sera l'épisode le plus sanglant de l'histoire du pays.
Au début des années 2010, la Centrafrique bascule dans la guerre civile. Une coalition à majorité musulmane, la Séléka, se forme pour faire tomber Bozizé. Elle y parvient assez rapidement, en mars 2013, mais à quel prix ? Les combats contre l'armée soutenue par l'Afrique du Sud, mais aussi contre les rebelles animistes et chrétiens Anti-balakas, soutiens de Bozizé, feront entre 3000 et 6000 morts et forceront près du quart des 4,7 millions d'habitants du pays à fuir leur foyer.
La France intervient via la force Sangaris à la fin de l'année 2013. En 2014, l'ONU s'installe dans le pays à travers la MINUSCA. Mais sept ans plus tard, le pays reste divisé. Un président, Faustin Archange Touadéra, a certes été élu en 2016, mais les deux tiers de la République centrafricaine échappent toujours au pouvoir central.
Lorsqu'il rentre à Bangui fin 2019, François Bozizé regarde vers la présidentielle prévue un an plus tard. En janvier 2020, il reçoit la presse pour dévoiler ses projets et évoquer les conditions dans lesquelles il a quitté son pays sept ans plus tôt.
Début décembre, pourtant, le couperet tombe : "Considérant que le candidat fait l'objet d'un mandat d'arrêt international" de la justice centrafricaine depuis mars 2013, après sa fuite du pays, "pour assassinats, arrestations, séquestrations, détentions arbitraires et tortures", la Cour constitutionnelle invalide sa candidature. Quelques jours plus tard, il dit accepter cette invalidation et appelle l'opposition à s'unir pour faire battre Faustin Archange Touadéra le 27 décembre.
La présidentielle se passe sur fond d'insécurité. Moins d'un électeur sur deux va voter. Faustin Archange Touadéra est élu. François Bozizé disparaît alors des radars. D'après RFI, il se trouverait probablement dans sa région natale de Bossangoa mais "ne dort quasiment jamais deux nuits d’affilée au même endroit. Il redoute d’être tracé avec un téléphone. Il craint également d’être repéré par des drones russes". Une certitude, il est l'homme le plus recherché de République centrafricaine et, dans une interview à Radio France Internationale, l'ambassadeur de Russie à Bangui considère que "François Bozizé est un criminel qui doit être arrêté".
Du côté de la rébellion, l'heure est à l'union. Six des principaux groupes rebelles qui contrôlaient déjà les deux tiers du pays sont désormais unis sous une seule bannière : la Coalition des patriotes pour les changement (CPC) naît le 15 décembre 2020.
C'est peu dire qu'il s'agit d'une alliance hétéroclite. Certains de ces groupes se sont faits la guerre. Certains ont même été à l'origine de la chute de Bozizé en 2013. Mais tout le monde se retrouve sur un point : Touadéra doit partir.
A la demande de la CPC, l'ancien président devrait donc devenir son coordonnateur. D'après RFI et Jeune Afrique, il s'apprête pour ce faire à quitter son poste de dirigeant du Kwa Na Kwa (KNK), le parti qu'il a fondé en 2003. François Bozizé semble confirmer les soupçons qui pèsent sur lui depuis son retour d'exil, à savoir une ferme intention de revenir au pouvoir, huit ans après sa chute.
Mais, si elle parvient pour l'heure à surmonter ses divisions, la CPC a-t-elle les moyens de cette ambition ? Selon des experts militaires questionnés par l'Agence France-Presse, personne ne peut estimer les effectifs de la coalition. En outre, elle ne disposerait que d'armes légères. Face à elle, les 12.000 Casques bleus de la Mission des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA) mais aussi des combattants rwandais et russes, même si Moscou dément la présence en RCA de paramilitaires de la compagnie russe privée Wagner. Le déséquilibre est criant mais cela ne semble décourager ni la coalition ni son nouveau coordonnateur. "C'est une guerre qui risque de durer, les rebelles ont un objectif à long terme", confiait récemment à l'AFP une experte américaine.