Ces étrangers qui refusent de partir de Côte d'Ivoire, pour l'instant
Sur les 14 000 Français et Franco-Ivoiriens enregistrés en Côte d'Ivoire, 1500 ressortissants, selon le ministère français des Affaires étrangères, n'ont pas attendu que Paris leur recommande de quitter "provisoirement" le pays pour partir. Le Jeudi 23 décembre dernier, une cinquantaine de Français et binationaux sont rentrés de Côte d'Ivoire. Ils disaient n’être pas vraiment inquiets pour leur sécurité. Même son de cloche pour ceux qui sont restés à Abidjan. Encore plus nombreux et plus déterminés à y rester… pour l’instant.
La plage de Grand Bassam est amèrement vide ce vendredi 24 décembre. « Les blancs ne viennent plus depuis les événements qui sont intervenus après les élections », se plaint Ange Akon. Ce jeune de 24 ans aménage des espaces de repos pour les visiteurs de la plage. Les « Blancs », c’est ainsi que sont désignés tous les Européens qui venaient prendre du bon temps à Grand Bassam, petite cité balnéaire à une trentaine de kilomètres d’Abidjan. Les hôtels et restaurants paient le prix de la crise. «Habituellement, nos 42 chambres sont envahies dès le début des vacances de Noël. Mais cette année nous n’avons à peine que sept réservations et qui doivent être confirmées », se plaint Patrick G. Lui ne fait pas partie des nombreux employés de l’Hôtel « Etoile du Sud » mis en chômage technique. Leurs principaux clients sont les Européens (les Français surtout) qui vivent à Abidjan et viennent de temps en temps passer du bon temps avec leurs familles. «Avec les consignes de sécurité, on préfère rester dans nos maisons à Abidjan », affirme Jean-François rencontré à la sortie de l’Hôtel. Ce Français de 43 ans a quand même fait le trajet d’Abidjan à Bassam avec ses deux filles. «Je pensais trouver d’autres personnes à la piscine de l’hôtel. Hélas, nous étions les seuls. On préfère donc repartir », lance-t-il avec déception.
Le marché artisanal de Grand Bassam
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Au marché artisanal de l’ancienne capitale, c’est le désert. Salif, vendeur sénégalais d’objets d’art n’en revient pas. Il n’a jamais vu un tel spectacle en 20 ans de métier. «Il y a toujours au moins un Blanc qui vient acheter quelque chose. Une statuette, un pagne, un jeu. Mais depuis près d’une semaine, je ne vois rien. Ça ne nous arrange pas », dit-il assis sur un siège à l’ombre de son magasin inhabituellement silencieux. «Les Blancs sont tous partis », lance avec regret Fousseni, cuisinier au Yalass Beach, un restaurant français en bordure de mer. «Les bons jours, on arrive à installer 300 couverts. Mais après les élections on a commencé à perdre nos clients. Aujourd’hui, c’est à peine si on atteint les 20 couverts. C’est triste qu’ils soient tous partis », se lamente-t-il. En réalité, les nombreux Européens qui envahissaient les sites touristiques de Bassam, préfèrent rester terrés dans leur maison d’Abidjan par mesure de sécurité.
Quelques Européens trouvent encore le temps de se relaxer
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À ABIDJAN, ON VIT MALGRÉ LA CRAINTE Isabelle et ses copines ont rendez-vous ce dimanche 27 décembre à la piscine « Le marlin Bleu » à Bietry, un quartier huppé situé non loin de l’aéroport. «On se retrouve ici tous les dimanches depuis un certain temps. C’est proche de la maison et ça nous évite d’aller jusqu’à Bassam pour nous divertir », explique Isabelle. Dans l’eau, elles ne sont pas seules. D’autres étrangers sont venus profiter du soleil et des cocotiers. «Il y a des Indiens, des Français, des Libanais, etc… mais ils sont de moins en moins nombreux chaque dimanche », ajoute Isabelle. Cette Française mariée à un Ivoirien, travaille en Côte d’Ivoire depuis six ans. Mais elle connait bien le pays depuis plus longtemps. Pour elle comme pour ses copines pas questions de partir. «J’ai fait un choix et je ne bougerai pas. De toutes les façons, je ne me sens pas en danger pour l’instant », se rassure ‘‘Isa’’ même si elle avoue que la tension est perceptible. «J’ai le sommeil difficile parce qu’on ne sait pas comment ça va finir ». Les français du quartier de Bietry s’organisent pour ne pas s’ennuyer. «Pour le réveillon de Noël par exemple, nous nous sommes réunis chez des amis du quartier. Ça change des années dernières mais c’était super. Je crois qu'on va le rééditer pour la nuit de la Saint Sylvestre», annonce-t-elle dans un éclat de rire. Comme Isabelle, ils sont nombreux à refuser de partir pour l’instant. Pour la plupart, ils vivent et travaillent en Côte d’Ivoire depuis de longues années. «Je sais qu’il y a des mesures d’évacuation qui seront mises en route si ça dégénère. Mais pour l’heure, on préfère rester ici et respecter les mesures données par l’Etat », affirme Odilia, 28 ans, cadre dans une entreprise de téléphonie mobile.
LES LIBANAIS, CES "IVOIRIENS" IRRÉDUCTIBLES Les Libanais de Côte d’Ivoire ne prévoient pas de départ « même si tout se gâte ». «Ici, c’est ma terre d’accueil. Mes trois enfants y sont nés, et fréquentent les écoles publiques. J’ai deux magasins d’électroménagers. Pourquoi voulez-vous que je m’enfuie ?», interroge Mohamad avant d’ajouter d’un air amusé : «on a déjà vu pire en 2000, en 2002 et en 2004 ». Ils sont officiellement plus de 80 000 en Côte d’Ivoire. Propriétaires de grandes boutiques, de grosses usines et de grands Restaurants, les Libanais se voient mal « tout abandonner » et retourner au Liban. « Je me sens Ivoirien et ce que je peux faire pour soutenir ‘‘mon’’ pays c’est de continuer à tenir mon commerce », soutient avec fierté Abdoul, propriétaire d’un « Chawarma » (C’est ainsi qu’on désigne les restaurant de spécialités libanaises). Qu’ils viennent d’Europe ou d’ailleurs, ils savent que l’issue de la crise post-électorale est incertaine. Mais pour l’heure, une seule mesure à respecter : «prudence et vigilance accrue ».