Pourquoi les puissances occidentales, notamment la France et la Grande-Bretagne, hier si promptes à intervenir militairement, abandonnent-elles les Libyens à leur sort au moment même où le pays sombre dans
le chaos ? Il y a une part de lâcheté très claire de la part des Européens. Une lâcheté qui s’associe à un manque de vision au moment de l’intervention occidentale, en 2011. Aucun programme de transition, aucun plan de reconstruction n'étaient prévus au-delà de l'intervention militaire. Celle-ci s’est faite dans la précipitation et surtout dans l’improvisation puisque le but ultime était de se débarrasser de Kadhafi. Or, très vite, après la chute du régime, c’est aussi l’Etat libyen qui s’est effondré. Pourquoi les Occidentaux n’ont-ils pas mieux accompagné le renversement de
Mouammar Kadhafi ? Tout d’abord parce que l’Europe a dû faire face à son propre contexte de crise interne, économique et financière notamment. Mais surtout, je crois qu'une désillusion s'est installée côté européen, et côté occidental plus largement, lorsque les islamistes ont pris le pouvoir, au lendemain des différents printemps arabes. C’est vraiment à partir de là que l’on a senti que la communauté internationale délaissait la région, mais aussi la Libye où, pourtant, les islamistes n’étaient pas les plus puissants et n’avaient pas connu de raz-de-marée populaire comme en Egypte ou en Tunisie. Les Européens n’ont pas soutenu les autorités de transition au sens large. L’idée était pourtant d’avoir un jeu électoral et démocratique. Les islamistes modérés qui ont fait le choix de la participation politique n’ont pas été des interlocuteurs de choix pour les Européens. Très vite, une méfiance mutuelle s’est installée. Tout cela a abouti à un silence de l’Europe, et de l’Occident en général, sur le coup d’Etat contre Morsi en Egypte et la déliquescence de la Libye. Cela va même au-delà puisqu'en Libye les Européens considèrent qu'ils n'ont plus aucune marge de manœuvre, plus aucune influence ni sur le camp des laïques, ni sur le camp des islamistes, ni sur les tribus, ni sur les milices qui, elles, échappent au contrôle de tout le monde. Les puissances occidentales qui ont contribué à renverser Kadhafi, n'ont-elles pas une part de responsabilité dans la désagrégation actuelle du pays ? D'un certain point de vue, oui, puisqu'elles ont soutenu une intervention militaire sans l’associer à un plan politique en soutien aux autorités de transition libyennes. Mais il faut dire aussi qu’il y a un contexte libyen très fragmentaire, avec un phénomène milicien généralisé, une absence d’Etat et un tissu tribal qui favorisent les affrontements à l’échelle locale. En fait, c'est un agrégat de facteurs qui ont entraîné la Libye dans ce chaos. Face à cette situation, l’Europe n’a pas mené de politique de voisinage cohérente et crédible. Malgré certains engagements de soutien aux transitions démocratiques et aux sociétés civiles pris en 2011, on voit bien, aujourd'hui, que l’Europe n’a pas été à la hauteur.