Le Musée de l'Académie des oscars, the Academy Museum of Motion Pictures, à Los Angeles a été inauguré le 21 septembre après une longue attente. Pour son gala d'ouverture le 16 octobre, le Musée a choisi de récompenser le cinéaste éthiopien Hailé Gerima pour l’ensemble de son œuvre. Au même moment, son film phare Sankofa sort en version restaurée sur la plateforme de vidéo à la demande Netflix. L'occasion de découvrir un film majeur de l'histoire du cinéma africain.
Après de longues années de débats et des difficultés, l'Académie des oscars s'est dotée de son propre
musée du cinéma qui retrace l’histoire du célèbre palmares. A travers ses collections, l'institution a voulu mettre l'accent sur la diversité et le pluralisme ne faisant pas l'impasse sur les nombreux travers de cette industrie, notamment le sexisme et le racisme. Le 30 septembre, il a ouvert ses portes.
Pour son gala d’ouverture le 16 octobre, le musée a décidé de récompenser par un prix le réalisateur Ethiopien, Hailé Gerima, pour l’ensemble de son œuvre. Le "Vantage award" lui sera remis et une rétrospective lui est également consacrée. Au même moment, une version restaurée de
Sankofa son film le plus célèbre sorti en 1993, est diffusé par la plateforme de VOD Netflix. Une consécration.
Formé aux Etats-Unis
Le réalisateur confiait à cette occasion au
New York Times qu’il ne se sentait aucun lien avec l’industrie du cinéma.
"Je n’ai pas confiance en cette industrie et je n’ai aucune envie d’en faire partie."Hailé Gerima a pourtant fait ses études de cinéma à UCLA, l’université de Californie de Los Angeles, au début des années 1970. Il fait partie d’un groupe appelé le "L.A. Rebellion" composé de réalisateurs africains ou afro-américains. Avec Charles Burnett (
Killer of Sheep), Julie Dash (
Daughters of the Dust), Larry Clark (
Tamu) et d’autres, ils remettent en question le style d’écriture prôné par Hollywood.
Sankofa est le premier de ses films à avoir une reconnaissance internationale. Gerima y raconte l’histoire d’une mannequin afro-américaine qui lors d’une séance photo au Ghana, au fort de Cape Coast, haut lieu du trafic d’esclaves, va se retrouver téléportée à cette époque. Elle va revivre la vie de ses ancêtres esclaves.
Sankofa signifie en langue Akan du Ghana
"revenir en arrière, regarder le passé et acquérir la sagesse". Le film remporte l'Étalon d'or du FESPACO en 1993. Il est également nommé pour l’Ours d’or à Berlin où il est formidablement bien accueilli par la critique.
Attaché à ses racines éthiopiennes
Malgré cette réception enthousiaste et la nomination à Berlin, le film n’est acheté par aucun distributeur aux Etats-Unis. Gerima et sa femme ont donc loué une salle à Washington pour organiser eux-mêmes la projection. Le bouche à oreille fonctionne si bien qu’ils le projettent à guichets fermés pendant 11 semaines et peuvent financer une autre projection à Baltimore. Ils seront ensuite invités dans d’autres salles à travers les Etats-Unis sans passer par les circuits habituels de distribution.
En 2008, le réalisateur connaît une nouvelle consécration avec
Teza qui est sélectionné à la Mostra de Venise. Il obtient le Prix spécial du jury et celui du scénario. L’année suivante, il remporte l'Étalon d'or au Fespaco de Ouagadougou.
En Afrique, jouir du souvenir est impossible, parce que la violence du présent interfère en permanence. Mon film parle de cela.
Hailé Gerima, cinéaste
Toujours attaché aux problématiques raciales et coloniales, Gerima retrace, à travers l’histoire d’Anberber, un jeune éthiopien parti étudier la médecine en Allemagne, les évènements violents des années 1970 et 80 en Ethiopie, sous le régime de Mengistu Hailé Mariam (1974-1991). Au début du film, Anberber, blessé, est transporté en brancard aux urgences d'un hôpital, le visage masqué par des bandages ensanglantés. Puis il apparaît boiteux et grisonnant, de retour dans le village de montagne où il a grandi, auprès d'une mère âgée qui l'adore. Anberber a alors perdu une jambe, sa mémoire et le goût de vivre. A travers des flash-backs, Hailé Gerima raconte son histoire tumultueuse, qui est également celle de l'Ethiopie.
Un reconnaissance tardive
Interviewé à cette occasion à Venise, le cinéaste avait déclaré
"Je rêve de l'Ethiopie de mon enfance. Quand j'ai grandi, il y avait tant de belles choses, on pouvait se promener et cueillir des fruits délicieux, aujourd'hui c'est fini". Il rajoute,
"En Afrique, jouir du souvenir est impossible, parce que la violence du présent interfère en permanence. Mon film parle de cela".Niant avoir voulu adresser un message aux élites africaines, il avait toutefois jugé que
"chaque génération a ses responsabilités", citant le philosophe anti-colonialiste antillais Frantz Fanon.
"Certaines les assument, d'autres les trahissent, on ne peut pas prévoir laquelle sera fasciste. Il faut parfois attendre dix générations avant qu'il y en ait une qui rénove la société", avait conclu Gerima.
Gerima produit tout ses films avec sa femme Shirikiana Aina, et les distribue avec leur société Mypheduh films (qui signifie en éthiopien, protecteur de la culture). Cela a été nécessaire car il ne trouvait pas de distributeur pour ses films, à commencer par
Sankofa.
50 après, justice lui est rendue : il est désormais possible de découvrir cette œuvre majeure du cinéma africain sur la célèbre plateforme américaine de VOD, Netflix.