Fil d'Ariane
Plus de 130% en un an ! La tonne de fèves de cacao se négocie désormais sur les marchés 6000 dollars. Deux pays du continent africain sont les deux principaux exportateurs de cacao. La Côte d'Ivoire et le Ghana représentent un peu plus de 70% de la production mondiale. Ces deux pays vont-ils profiter de cette hausse des prix ? Comment expliquer cette flambée des cours du cacao sur les marchés mondiaux ? Réponses de Philippe Chalmin, économiste et spécialiste des marchés des matières premières.
Images de fèves de cacao produite au Venezuela. Le cacao est originaire d'Amérique latine mais il est produit désormais majoritairement en Afrique de l'Ouest.
Philippe Chalmin est le fondateur du Cercle Cyclope, qui publie chaque année depuis 1986 un rapport complet sur l'état et les perspectives des marchés mondiaux de matières premières.
TV5MONDE : Comment expliquez-vous cette forte hausse des prix du cacao en un an ?
Philippe Chalmin : les deux principaux producteurs de cacao ont été confrontés à des épisodes de sécheresse et des accidents climatiques. La production a diminué sensiblement lors de l'année 2023 en Afrique de l'Ouest. Le marché du cacao est désormais déficitaire. Les capacités de production ne sont pas suffisantes pour répondre à la demande.
Un pays comme le Ghana qui produisait en 2022 un peu plus de 820 000 tonnes n'a pu exporter que 500 000 tonnes cette année 2023. La production a fondu de 300 000 tonnes. La production mondiale ne dépasse pas les 5 millions de tonnes. Et la production est concentrée essentiellement sur deux pays et lorsque ces deux deux pays sont frappés par des aléas climatiques cela se retrouve sur les prix.
Pourquoi une telle concentration de la production en Afrique de l'Ouest ?
La production du cacao a démarré au Mexique et puis elle s'est progressivement imposée au Brésil notamment durant l'entre-deux-guerres. Mais ensuite le cacaotier qui est un arbre fragile et qui a besoin d'un environnement forestier autour de lui pour bien se protéger a été victime de maladies dans le pays et sa production a décliné. Le centre de gravité de la production de Cacao s'est ensuite déplacée vers l'Afrique de l'Ouest à partir des années 50 et 60.
Philippe Chalmain, économiste, spécialiste des marchés mondiaux des matières premières.
L'Asie aurait pu récupérer une part importante de la production mondiale de cacao. Mais la cacaotier reste un arbre compliqué à cultiver. L'expansion mondiale du cacao s'est en fait arrêtée. La production a également stagné. Dans les années 2000 la Côte d'Ivoire a été frappéé par la guerre civile et l'instabilité politique.
Quelles peuvent-être les conséquences économiques et sociales de cette hause des prix pour des pays comme la Côte d'Ivoire et le Ghana ? Ces dernières années les autorités ivoiriennes dénonçaient le fait que les producteurs de cacao ne récupéraient qu'une faible partie de la chaîne de valeur du chocolat ?
Les prix remontent ce qui est une bonne chose pour ces pays. Au Ghana, notamment grâce à la Cocobod, les producteurs bénéficient d'un prix garanti. La Cocobod achète le cacao des producteurs qu'elle revend sur les marchés internationaux. Il existe un système également de prix garanti pour les producteurs en Côte d'Ivoire. Est-ce que ces pays producteurs sont lésés dans la chaîne de valeur de fabrication du chocolat ? Je ne crois pas. La fève de cacao est vendu. Il faut en extraire le beurre de cacao et la poudre de cacao. Et cette transformation faite dans les pays producteurs de ces cabosses ne produit pas beaucoup de valeur. La production du chocolat par les chocolatiers génère elle de la valeur. On trouve ainsi des marques, des procédés de fabrication. C'est un processus qui est difficile à faire notamment dans des pays chauds qui sont producteurs de cacao.
Ces dernières années des pays importateurs de cacao et également l'Union européennes ont dénôncé le travail des enfants dans les exploitations de cacao notamment en Côte d'Ivoire ? Est ce que cela peut jouer sur la demande de cacao ?
Le cacao ivoirien a été à mon sens victime de la "bonne conscience occidentale". Les cacaotiers sont cultivés par quelques 400 000 planteurs dans le pays. Ce sont des exploitations de deux à trois hectares en moyenne et elle sont dans les mains de familles. Le fils ou la fille du paysan va donner un coup de main au père ainsi comme le faisait le fils du vigneron en France durant le vendanges. on ne parle pas là de tres grandes plantations. La démarché équitable a sans doute joué contre les petits producteurs.
La hausse des prix pourrait-elle relancer la production de cacao dans le monde ?
Ce n'est pas impossible. Mais où en seront les cours du cacao dans les 4 à 5 années qui viennent ? Il faut 4 ou 5 ans pour qu'un cacaotier produise des cabosses. Le danger est de voir les cours du cacao retomber à des prix moins hauts. Il peut y avoir un risque de surproduction entraînant une baisse des prix.