Comment le Royaume-Uni a fait adopter une loi pour expulser les demandeurs d'asile vers le Rwanda ?

Le Parlement britannique a approuvé un projet de loi permettant l’expulsion de demandeurs d'asile entrés illégalement au Royaume-Uni vers le Rwanda. Pourtant, la Cour suprême avait retoqué l'idée quelques mois auparavant. Comment le projet a-t-il abouti ?

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Rishi Sunak

Le premier ministre britannique Rishi Sunak s'exprime lors d'une conférence de presse à Downing Street à Londres, le 22 avril 2024.

Toby Melville/Pool Photo via AP
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La chambre des Lords britannique était réticente à l’adoption de ce texte. La chambre des Communes a finalement eu gain de cause. Annoncé il y a deux ans par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak et présenté comme une mesure-phare de sa politique de lutte contre l'immigration clandestine, ce projet de loi vise à envoyer au Rwanda les demandeurs d'asile entrés au Royaume-Uni.

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Pourtant, quelques mois plus tôt, le projet était en mauvaise posture suite à la décision de la Cour suprême britannique. Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, explique que le Premier ministre britannique a fait signer un nouveau traité avec le Rwanda afin de contourner la décision de la Cour suprême.

TV5MONDE : Pourquoi le texte a-t-il été adopté par le Parlement alors qu’il y avait des blocages auparavant ? 

Aurélien Antoine : En fait, la Cour suprême du Royaume-Uni n'a pas bloqué le projet de loi. Elle a bloqué les décisions administratives qui ont visé à mettre en application un accord entre le Rwanda et le Royaume-Uni. C’est un feuilleton judiciaire qui a commencé d'abord par un tout premier recours il y a peu près deux ans, rendu par la Cour européenne des droits de l'homme. Elle avait suspendu la décision de l'administration britannique de procéder à ces déportations. Ensuite, il y a eu des recours en interne.

Chronologie d’un projet de loi controversé

  • 14 avril 2022 : Le Royaume-Uni annonce vouloir envoyer au Rwanda les migrants arrivés illégalement sur son sol. 

  • 13 novembre 2023 : La Cour suprême britannique juge illégale l’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda. 

  • 16 novembre 2023 : Kigali conteste la décision britannique de juger le projet de loi illégal. 

  • 5 décembre 2023 : Londres et Kigali signent un nouveau traité visant à ressusciter l’accord controversé.

  • 18 janvier 2024 : Feu vert des députés pour l’adoption du projet de loi.

  • 12 février 2024 : Une commission parlementaire juge le projet de loi “incompatible” avec les droits humains.

Finalement, la Cour suprême a bien confirmé que le dispositif conclu entre le Royaume-Uni et le Rwanda était illégal, pas seulement du point de vue de la Convention européenne des droits de l'homme, qui n'est pas le droit de l'Union européenne. Elle a pris cette décision car il était impossible pour le gouvernement britannique porteur du projet d’affirmer que les migrants ne seraient pas victimes de traitements inhumains et dégradants dans l'endroit où ils sont envoyés. Cette décision de la Cour suprême s'appuie sur le droit national et international (Convention de Genève notamment). Le droit britannique protège les situations des migrants s'ils risquent d'être déportés vers des pays non sûrs. La Cour suprême a donc indiqué que jusqu'à ce que l'administration britannique fasse preuve que le Rwanda est un pays sûr, aucun départ ne sera possible.

Rishi Sunak a donc demandé à Westminster d'adopter un texte qui caractérise le fait que le Rwanda est bien un pays sûr, c'est-à-dire que le législateur britannique énonce clairement dans le texte “le Rwanda est un pays sûr”.

Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne

Après cette décision de la Cour suprême, Rishi Sunak s'en est pris au juge prétendant que c'était une cour de l'étranger, sous-entendu la Cour européenne des droits de l'homme, qui avait conduit le Royaume-Uni à durcir sa politique en la matière. Pour contourner la décision de la Cour suprême, le Premier ministre a dit que puisque les juridictions sont soumises aux lois – ce qui est vrai – elles ne peuvent pas faire les lois et ne peuvent pas les contourner. Il a donc demandé à Westminster d'adopter un texte qui caractérise le fait que le Rwanda est bien un pays sûr, c'est-à-dire que le législateur britannique énonce clairement dans le texte “le Rwanda est un pays sûr”.

(Re)lire Immigration : l'accord entre le Rwanda et le Royaume-Uni va-t-il voir le jour ?

En gros, cette loi prévoit une exclusion de tout recours contre les décisions qui seront prises sur le fondement de cette loi, qui prétendrait que le Rwanda n'est pas sûr. Il s'agit donc d’une loi performative, c'est-à-dire qu'elle prétend par un simple énoncé que le Rwanda est un pays sûr, ce qui n'est pas vrai pour l'instant.

TV5MONDE : Y a-t-il des recours possibles ? 

Aurélien Antoine : Les voies de recours internes risquent d'être épuisées assez rapidement, puisque la loi exclut justement tout type de recours. Il y a des exceptions assez techniques peuvent s’appliquer en cas de situation particulière. Si un individu apporte la preuve qu'il a des risques personnels, au regard de sa situation, à être déporté vers le Rwanda, il pourra saisir le juge. Comme c’est la seule exception, elle va sans doute être exploitée.

Qu’est-ce que le Rwanda peut gagner avec cet accord ? 

  • Le projet de loi approuvé par le Parlement britannique est adossé à un nouveau traité entre Londres et Kigali. 

  • Celui-ci prévoit le versement de sommes substantielles au Rwanda en échange de l'accueil des migrants.

Il risque d'y avoir des recours au niveau juridictionnel. Mais très clairement, cette loi vise à contourner la décision de la Cour suprême et à donner une assise légale à des décisions administratives, et donc d'éviter le contrôle du juge, tout simplement. 

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TV5MONDE : Est-ce qu’un accord similaire pourrait voir le jour entre d’autres pays ? 

Aurélien Antoine : Les Britanniques ne sont pas innovants là-dessus. L'Australie et Israël l'ont fait. (NDLR : en octobre 2017, les autorités israéliennes annoncent qu’elles vont renvoyer les demandeurs d’asile originaires de l’Érythrée et du Soudan vers un “pays tiers” ; et depuis plus de vingt ans, l’Australie mène une politique très hostile envers les migrants, en expulsant les demandeurs d’asiles ou en les envoyant dans des centres de rétention sur des îles du Pacifique comme Nauru ou Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée.)

Tous ces dispositifs sont assez largement condamnés par les organisations des droits de l'homme.

Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne

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D'ailleurs, dans la décision de la Cour suprême britannique, il était fait référence au dispositif israélien jugé peu respectueux des droits humains. De toute façon, tous ces dispositifs sont assez largement condamnés par les organisations des droits de l'homme, qu'elles soient intergouvernementales comme au sein de l'ONU, du Conseil de l'Europe, dont dépend la Cour européenne des droits de l'homme, et puis, évidemment, au sein des organisations non gouvernementales de protection des droits humains.