Comment le Sénégal doit-il dépenser l'argent du pétrole et du gaz ?

Le Sénégal est entré dans le cercle des pays producteurs d'hydrocarbures avec l'extraction de pétrole du champ de Sangomar au large de Dakar. Dans quelques mois le pays, en coopération avec la Mauritanie, va exploiter un gigantesque champ gazier en mer. Quelles conséquences pour l'économie sénégalaise ? Que doit faire le gouvernement des recettes tirées des hydrocarbures ? Réponses de Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS, spécialiste des questions d'hydrocarbure.

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Francis Perrin est directeur de recherche à l'IRIS. Il est chercheur associé au Policy Center for the New South à Rabat. 
 
TV5MONDE : Le Sénégal devient officiellement un pays producteur de pétrole. L'exploitation du champ de Sangomar au large de Dakar vient de débuter. En quoi cette nouvelle est importante pour le pays ? 
 
Le Sénégal est un nouveau pays pétrolier et c'est un événement majeur pour le pays et le continent. Le projet Sangomar est un gisement conséquent, à quelques 130 kilomètres de Dakar, en mer. La compagnie australienne Woodside Energy, chargée d'exploiter le gisement, devrait produire quelque 100 000 barils de pétrole par jour. C'est largement en dessous de la production du Nigeria. L'Arabie saoudite, elle, produit 9 millions par jour. La France produit 15 000 barils par jour. Mais on ne peut pas dire que c'est négligeable. Surtout pour le Sénégal. Cette annonce traduit surtout l'entrée de ce pays dans le club des pays producteurs d'hydrocarbures. La perception du potentiel énergétique et économique du pays va changer. 
Le Sénégal a un très grand avenir gazier.
 
Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS, spécialiste des questions d'hydrocarbure
TV5MONDE : Le gisement de Sangomar ne serait qu'une première étape. Le Sénégal peut-il devenir un grand pays producteur d'hydrocarbures ? 
 
Le potentiel en hydrocarbures du pays ne fait que commencer. Le pays a potentiellement un grand avenir pétrolier. Mais je crois surtout que le Sénégal a un très grand avenir gazier. Le Sénégal partage un grand gisement offshore gazier avec la Mauritanie. Son exploitation devrait commencer d'ici quelques mois. 
 
Les Européens, pour le gaz, se tournent désormais vers le Qatar, l'Amérique du nord mais aussi vers l'Afrique. 
 
Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS, spécialiste des questions d'hydrocarbure
Le projet Sangomar est un projet pétrolier important pour le pays. Le projet d'exploitation de gaz liquéfié est un projet encore plus important pour l'économie sénégalaise et d'une taille encore plus grande. Ce gaz sera exporté. Un projet de gazoduc vers l'Europe, via le Maroc, est dans les tablettes et le Sénégal deviendrait ainsi un acteur majeur de ce marché si stratégique. Les pays de l'Union européenne, dans le contexte de la guerre en Ukraine, cherchent à se défaire de leur dépendance au gaz russe. Les Européens se tournent désormais vers le Qatar, l'Amérique du nord mais aussi vers l'Afrique. 
On a vu ainsi l'Italie et l'Allemagne se rapprocher de l'Algérie, grand pays producteur de gaz. L'annonce sur le Sénégal, nouveau producteur de pétrole, s'inscrit dans l'émergence du continent comme acteur important du marché des hydrocarbures. La Mauritanie va devenir un acteur gazier au côté du Sénégal. En 2028 l'Ouganda va se lancer dans la production de pétrole. Même chose pour la Tanzanie. L'Afrique du Sud se met aussi à produire du pétrole pour son marché domestique. 
 
TV5MONDE : peut-on mesurer les retombées économiques de l'exploitation de ces gisements pour le Sénégal ? 
 
Le Sénégal attend dans un premier temps une rente d'un milliard d'euros de ce gisement pétrolier sur trente ans. Cela peut paraître peu mais, à mon sens, cela va aider ce pays en voie de développement. Un milliard d'euros de rentrées annuelles constitue une réelle transformation des capacités de l’État sénégalais (les dépenses de l’État sénégalais se sont élevées à 8,5 milliards d'euros). Ce n'est pas une transformation totale de l'économie sénégalaise mais on ne peut pas affirmer que cela est négligeable. Et ces revenus vont progresser avec la mise en exploitation des champs gaziers dans les mois qui viennent. 
 
Le Sénégal a une économie diversifiée. Les recettes des hydrocarbures ne constitueront pas la seule source de revenus du pays. 
 
Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS, spécialiste des questions d'hydrocarbure
 
TV5MONDE : Comment l'Etat sénégalais doit gérer cette manne pétrolière et gazière ? 
 
L'expression "malédiction du pétrole" a été employée pour qualifier la gestion de l'argent des hydrocarbures dans des pays comme le Venezuela où d'autres pays avec pour conséquence la corruption et l'inflation. Le Sénégal a une économie diversifiée. Les recettes des hydrocarbures ne constitueront pas la seule source de revenus du pays. 
 
Alors que fera l’État sénégalais ? Comment le gouvernement va gérer l'argent des hydrocarbures ? Des pays riches en Europe comme la Norvège ont une utilisation très vertueuse de l'argent du pétrole en reversant dans un fond souverain pour les futurs générations l'emploi des recettes pétrolières. On ne peut pas demander à un pays en voie de développement de ne pas utiliser et dépenser l'argent du pétrole et des hydrocarbures pour aider notamment sa population et développer ses infrastructures. 
 
Une demande de renégociation des contrats gaziers et pétroliers aura peu de chances d'aboutir juridiquement notamment si ces compagnies font appel à un arbitrage international. 
 
Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS, spécialiste des questions d'hydrocarbure.
 
L'enjeu pour le Sénégal est de constituer un vrai secteur national sur l'exploitation des hydrocarbures. Le pays va devoir monter en compétences pour pouvoir exploiter lui même ses ressources gazières et pétrolières. 
 
Pour démontrer une bonne utilisation de la manne pétrolière, il faudra que le Sénégal investisse. Le pays doit être capable de former des ingénieurs, des ouvriers qualifiés, avoir des entreprises capables d'extraire et de vendre. Cette montée en compétences aura des retombées pour l'économie sénégalaise et un impact positif sur le niveau de vue des populations. Il faudra créer des compétences sénégalaises et ne pas se fier seulement au savoir faire des entreprises étrangères.  L'ancien pouvoir, celui de Macky Sall en avait conscience et c'est pour cela que le Sénégal a créé un Institut national du pétrole.
 
TV5MONDE  : Le nouveau pouvoir au Sénégal entend renégocier les contrats gaziers et pétroliers avec les grands acteurs du secteur. Est-ce réalisable ? 
 
L'actuel pouvoir au Sénégal a construit son programme économique sur une logique souverainiste. Et il est vrai que l'exploitation des champs pétroliers et gaziers est pour l'instant rendue surtout possible par l'investissement de sociétés étrangères et non nationales. Petrosen, société sénégalaise, est certe présente. Mais l'entreprise nationale reste minoritaire dans l'exploitation de ces gisements gaziers et pétroliers.
 
Woodside Energy, compagnie pétrolière australienne, a investi plusieurs milliards de dollars dans l'exploitation du champ de Sangomar dont elle possède 82% des droits. Le projet gazier est également porté par deux grands acteurs internationaux, BP et Cismos Energy. 
 
Le nouveau pouvoir sénégalais entend effectivement renégocier les contrats mais ces contrats viennent de rentrer en exploitation ou vont être exploités prochainement. Les grandes sociétés étrangères ont déjà investi plusieurs milliards de dollars pour lancer l'exploitation de ces gisements. Une demande de renégociation dans ce contexte aura peu de chances d'aboutir juridiquement notamment si ces compagnies font appel à un arbitrage international.  Pour pouvoir renégocier le nouveau pouvoir doit s'y prendre un peu plus en amont. 
 
Le meilleur moyen pour le Sénégal de s'affranchir de ces grandes entreprises internationales est de monter en compétence et ainsi faire émerger des acteurs nationaux capables de remplacer ces grandes entreprises étrangères.