Fil d'Ariane
La conférence internationale sur la Libye qui se tient à Paris vendredi 12 novembre 2021 s'inscrit dans un processus de médiation internationale dans la crise libyenne. Cette crise née de la révolution contre Moummar Kadhafi et la chute de son régime en 2011 a plongé le pays dans le chaos, à travers une guerre civile marquée par l'intervention de puissances étrangères.
Après 5 jours de discussions à Genève sous l'égide de l'ONU et sa Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL), un cessez-le-feu immédiat et permanent est signé le 23 octobre 2020 par les belligérants. Il met fin à la bataille de Tripoli (avril 2019-juin 2020) lors de la tentative de conquête de la capitale libyenne, où siège le gouvernement d'union nationale (GAN), reconnu par l'ONU et basé à l'ouest du pays, par l'armée nationale libyenne autoproclamée du maréchal Haftar qui domine l'est.
Selon l'Elysée, la conférence de Paris est co-présidée par l'Allemagne, l'Italie, la France, les Nations-Unies et la Libye.
L'objectif de la conférence de Paris est de soutenir les élections, prévues le 24 décembre 2021 pour la présidentielle, et "rendre le processus électoral incontestable et irréversible" face à ceux qui "essaient de faire dérailler le processus" selon la présidence française.
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Cette même médiation internationale a abouti à un Forum de dialogue politique inter-libyen (FDPL), qui s'est réuni la première fois à Tunis en novembre 2020, sur la base de la résolution 2510 (2020) du Conseil de sécurité des Nations Unies et des conclusions de la Conférence de Berlin sur la Libye de janvier 2020. Le dialogue inter-libyen a fixé la date des élections, présidentielle et parlementaires, au 24 décembre 2021, soit à l'anniversaire des 70 ans de l'indépendance de la Libye.
Mais ce calendrier électoral choisi par les participants du dialogue inter-libyen reste soumis à de nombreuses incertitudes face aux velléités de remise en question par certaines parties.
Début octobre 2021, le Parlement a décidé de reporter les élections parlementaires à un mois après la présidentielle du 24 décembre.
Mais la tenue de la présidentielle à sa date initiale reste aussi sujet à caution. Selon plusieurs informations, le premier ministre Abdelhamid Dbeibah lui-même dénonce désormais un article de la loi électorale qui impose à tout haut fonctionnaire ou haut gradé militaire qui veut se présenter, de démissionner de ses fonctions 3 mois avant le scrutin. Ce revirement d'Abdelhamid Dbeibah appuie l'hypothèse que le premier ministre voudrait lui-même se présenter à la présidentielle. Une telle perspective fait peser une menace de report sur le processus électoral.
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Ces incertitudes qui pèsent sur le calendrier électoral résultent des fortes dissensions internes libyennes héritées de la lutte entre les deux camps rivaux de l'ouest et de l'est de la Libye.
Deux institutions ont été installées en février en vue de préparer l'échéance électorale. D'une part, le Conseil présidentiel (CP) est formé de trois membres représentants les trois régions de Libye (Tripolitaine à l'ouest, Cyrénaïque à l'est, le Fezzan au sud-ouest). Il est présidé par Mohamad al-Manfi. D'autre part, le gouvernement du premier ministre Abdelhamid Dbeibah, succède à Faïez al-Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale (GUN) de 2015 à 2020 à Tripoli.
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A moins d'un mois de la présidentielle, la tension politique entre le Conseil présidentiel et le gouvernement s'est aggravée. Elle s'est cristalisée autour de la ministre des Affaires étrangères, Najla al-Mangoush. Le CP a annoncé samedi 6 novembre la suspension de la cheffe de la diplomatie libyenne avec interdiction de quitter le territoire. Le lendemain le premier ministre Abdelhamid Dbeibah a défendu sa ministre lui demandant "de poursuivre son action". Un incident qui fait écho au vote d'une motion de censure du Parlement contre le premier ministre le 21 septembre.
Une autre fracture institutionnelle et politique existe entre le Haut Conseil d'Etat libyen (HCE) à Tripoli, qui fait office de Sénat avec à sa tête Khaled el-Mechri, et d'autre part, le président de la chambre des représentants (chambre basse du Parlement), Aguila Saleh, basée à Benghazi, dans l'est du pays, allié du maréchal Haftar.
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L'autre enjeu majeur du règlement de la crise libyenne consiste en le retrait de toutes les forces extérieures à la Libye, mercenaires étrangers et combattants étrangers. La rivalité entre l'ouest et l'est de la Libye, entre le gouvernement d'union nationale reconnu par la communauté internationale et le pouvoir du maréchal Haftar en Cyrénaïque, a été marquée par l'appui voire l'intervention plus ou moins officielle de puissances régionales et internationales.
Du côté du maréchal Haftar, celui-ci a pu compter sur le soutien de l'Egypte, des Emirats Arabes Unis, de l'Arabie saoudite et de la Russie. Paris s'est également vu reprocher un soutien à Haftar.
Côté gouvernement d'union nationale, si l'ONU lui apporte une reconnaissance légitime, la Turquie est son principal partenaire et allié avec lequel elle a signé un accord de coopération militaire. Non seulement Ankara fournit Tripoli en armement, mais les soldats turques sont directement intervenus en Libye. Un tel soutien a renversé le rapport de force en faveur du GUN face à l'offensive du maréchal Haftar lors de la bataille de Tripoli. Par ailleurs, le Qatar, qui était intervenu dès 2011 aux côtés de l'OTAN en faveur des ex-rebelles anti-Kadhafi puis du Conseil national de la Transition, a suivi son allié turc dans le soutien au gouvernement de Tripoli.
Selon l'ONU, quelque 20 000 mercenaires et combattants étrangers étaient présents en Libye en décembre 2020 : notamment des militaires turcs, des Russes du groupe privé Wagner dont Moscou décline la responsabilité, mais aussi des mercenaires syriens qui se partagent entre les deux camps libyens, ainsi que des Tchadiens et des Soudanais.
Des responsables de plusieurs pays impliqués dans la crise libyenne ou dans son règlement vont faire le déplacement à la conférence à Paris à des degrés divers : le président egyptien, les ministres des Affaires étrangères russe et algérien seront à Paris. La Tunisie, le Niger et le Tchad, voisins de la Libye seront également présents, ainsi que la vice-présidente américaine Kamala Harris.
En froid avec la France, la Turquie est représentée par son vice-ministre des Affaires étrangères. Quant à la représentation de la Libye à la conférence, incertaine jusqu'au dernier moment, elle est finalement assurée par le premier ministre libyen Abdelhamid Ddeibah et le président du Conseil présidentiel Mohamad al-Manfi, tous deux invités par Paris mais rivaux affichés à la tête de la transition libyenne.
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