Conférence internationale d'appui à la transition soudanaise : la France en première ligne pour "réinvestir le Soudan"

A la veille d’un sommet sur les économies africaines organisé à Paris, une conférence internationale d'appui à la transition au Soudan se tiendra, à compter de lundi 17 mai, au Grand Palais Ephémère. A l'initiative du président Emmanuel Macron, ce forum international réunira des représentants de pays africains, européens et américains mais aussi d’organisations internationales ainsi que des patrons d’entreprises françaises. Décryptage de l'initiative française avec le chercheur Marc Lavergne, spécialiste du Soudan.
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Premier ministre Soudan
Le Premier ministre du gouvernement de transition soudanais, Abdallah Hamdock (au centre), accueilli à son arrivée à Djouba, la capitale du Soudan du Sud, le 12 septembre 2019. Il participait alors au processus de paix entre les différents partis d'opposition.
Charles Atiki Lomodong (AP)
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L’objectif officiel de la Conférence internationale d'appui à la transition soudanaise, organisée à Paris le 17 mai, tel qu'énoncé par le premier ministre de transition soudanais Abdallah Hamdok dans un entretien accordé à l'AFP publié le 13 mai  : régler les arriérés de la dette soudanaise avec ses bailleurs, ou du moins, la rééchelonner.

Le dirigeant s’y attèle depuis son intronisation il y a deux ans, au lendemain de la révolution ayant contribué à renverser la dictature d’Omar el-Béchir.

Ce dernier était devenu, en 2009, le premier chef d’Etat à être poursuivi par la Cour pénale internationale sous plusieurs chefs d’accusation, à savoir « génocide », « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ».

Avec l’aide des Etats-Unis, M. Hamdok s’est déjà acquitté de la dette du Soudan contractée auprès de la Banque mondiale, à hauteur de 1,15 milliard de dollars. Idem pour les arriérés auprès de la Banque africaine de développement, soldés après un prêt conjoint de 425 millions de dollars de la part du Royaume-Uni, de la Suède et de l’Irlande.

Reste à se défaire de celle du Club de Paris [ndlr : groupe informel de créanciers publics réunissant 22 membres permanents dont la France, les Etats-Unis et la Russie], principal bailleur de fonds du pays selon M. Hamdok, dont le financement représente 38 % des 60 milliards de dollars de sa dette extérieure.

Ce rendez-vous intervient après une réunion des membres du G7 du 3 au 5 mai dernier. Le communiqué final des ministres des Affaires étrangères soulignait « les efforts déployés par le gouvernement transitoire pour apporter la paix, la prospérité et la démocratie au Soudan après la révolution de 2019, notamment la mise en œuvre de réformes économiques clés qui permettront d’ouvrir la voie à un allègement de la dette […]. »

Préalable impératif à une normalisation des relations avec le Soudan, le pays a été retiré, depuis début 2021, de la liste noire américaine des Etats soutenant le terrorisme. Un bol d’air bienvenu pour Khartoum, exclue de facto des circuits de financement internationaux depuis 1993.

(Re)voir : Retrait du Soudan de la liste noire américaine : les dessous des négociations
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« Tête de pont française au Soudan »

Plutôt effacée dans la gestion de la partition du Soudan et la création du Soudan du Sud en 2011, soutenue par les Etats-Unis, la France essaye de prendre, avec ce forum international, les rênes d’un dossier éminemment important pour l’un des plus grands pays d’Afrique. Cette conférence fait ainsi suite à un engagement pris par le président français, Emmanuel Macron, à l’issue d’une visite de M. Hamdok, en septembre 2019. Il avait alors affiché son « soutien inconditionnel à la transition démocratique » au Soudan. 

« Je pense que la France est à la manœuvre et que le président français voulait en faire un événement où la France serait mise en avant avec les autres pays occidentaux, commente Marc Lavergne, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du Soudan. Elle essaye de prendre la tête d’une sorte de coalition occidentale pour « aider » le Soudan, avec qui, les relations sont très harmonieuses sur le papier. »

Avec cette conférence, on considère le Soudan comme un marché potentiel, un pays à reconstruire

Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Soudan

Marc Lavergne lui-même s'implique directement pour cette occasion en organisant une « réception » pour une partie des invités, des Soudanais faisant partie de la délégation. Il rappelle par ailleurs les prémisses de cette « sorte de tête de pont française au Soudan. Lors de la réception d’Abdallah Hamdok en 2019, M. Macron l’avait adoubé sur la scène internationale. Il avait également pris la décision unilatérale d’effacer la dette du Soudan à l’égard de la France. Un cadeau à hauteur de 55-60 millions de dollars. »

Pour l’expert, cette initiative française s’inscrit dans ligne politique d'Emmanuel Macron sur ce que doit être le rôle de la France en Afrique. « Il y a, d’un côté, l’aspect sécuritaire au Sahel et d’un autre côté, la promotion des entreprises françaises. Avec cette conférence, on considère le Soudan comme un marché potentiel, un pays à reconstruire. »

Et même si l’argument du soutien à la transition démocratique est avancé, la conférence revêt bel et bien un volet économique. « C’est très clair. On joue la carte du redressement économique de la France. Il s’agit de nourrir les sociétés françaises. Celles-ci n’ont pas un avantage comparatif comme elles l’ont dans d’autres pays francophones. Elles ont l’avantage en ce que personne n’a voulu s’investir au Soudan à part les Chinois, les Indiens ou les Malaisiens qui exploitent le pétrole soudanais. »

(Re)voir : Soudan : l'accord de paix mettra-t-il fin à la guerre ?
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L’aspect sécuritaire en filigrane

Ce séminaire au cours lequel est attendu, entre autres, Djibril Ibrahim, actuel ministre soudanais des Finances et chef du mouvement islamiste Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM), devrait prendre la forme d’entretiens directs.

Les interlocuteurs et le format ne font pas de doute sur la teneur des discussions. « Les invités échangeront avec les gens du Medef au cours de petits déjeuners sur d’éventuels rachats de part dans des sociétés soudanaises, affirme M. Lavergne. Pourront aussi être examinés des projets d’infrastructures tels que les turbines de barrages ou la construction de routes. »

Le chercheur voit en outre un ancrage français et plus largement occidental au Soudan, voisin d’un Tchad en pleine incertitude depuis la mort d’Idriss Déby, comme un potentiel gage de stabilité dans la région. « Je pense que c’est une bonne chose que cette réunion se tienne car cela montre qu’il y a un intérêt général pour la stabilité de la région et pour son développement. On a tendance, désormais, à considérer que le Sahel va jusqu’au Soudan, ce qui est une réalité historique et géographique. Il ne faut pas oublier qu’il y a une sorte de caisse de résonnance entre le Soudan et le Tchad. »
 

« Se partager le gâteau virtuel soudanais »

Marc Lavergne ne fait toutefois pas de mystère sur les intentions des protagonistes de l’événement. « Il ne s’agit pas d’aider la démocratie ou le peuple soudanais et je ne suis pas convaincu que les intervenants soudanais soient vraiment préoccupés par l’élévation du niveau de vie des Soudanais. »

Depuis l’avènement du « printemps de Khartoum » fin 2018 et une phase de transition longue de « 39 mois », la population s’impatiente de voir arriver l’embellie suscitée par le soulèvement.

Plus qu’un allègement de la dette, les aspirations citoyennes s’orientent vers des efforts d’aménagement du territoire, notamment des régions marginalisées économiquement ou en révolte contre le pouvoir central, à l’instar du Darfour. « Pour les Soudanais, la dette est quelque chose de théorique. Il y a une sorte de contradiction entre le mode d’action de la communauté internationale, qui est de faire un grand rendez-vous autour de la table pour se partager le gâteau virtuel soudanais et les attentes des soudanais qui n’en peuvent plus, déplore Marc Lavergne. Depuis leur révolution, ils n’ont pas pu avoir accès à des crédits internationaux parce qu’on leur demandait de rembourser pour des attentats commis par des criminels comme Ben Laden. »


Les membres de la délégation sont un peu déconnectés de la réalité et de l’urgence soudanaise, obnubilés par les négociations internationales pour aller chercher de l’argent frais 

Marc Lavergne, chercheur au CNRS, spécialiste du Soudan

Résultat, nombre d’acteurs soudanais demeurent sceptiques quant à l’issue de cet événement. D’autant que la délégation nationale emmènera des éléments de l’appareil étatique « parachutés » à leur poste après la révolution. « Ils sont éduqués et qualifiés mais ne représentent qu’un segment très étroit de la société soudanaise. Ils se sont partagés les postes parce qu’ils ont les compétences et les réseaux à Washington, à Paris, à Bruxelles. Mais ils sont un peu déconnectés de la réalité et de l’urgence soudanaise, obnubilés par les négociations internationales pour aller chercher de l’argent frais. J’ai peur que, même s’ils avaient de bonnes intentions en faisant des projets à long terme de développement économique avec des pays qui seraient prêts à investir au Soudan, ils ne répondent pas aux besoins immédiats de la population. »

Pénuries d’eau potable et d’essence, coupures d’électricité, inondations comme durant l’été 2020, coronavirus et invasions de criquets sur la Mer Rouge constituent quelques-uns des impératifs d’un pays à bout de souffle.

(Re)voir : Soudan et Soudan du Sud : des centaines de milliers de personnes affectées par les inondations

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Pour la France comme pour les autres pays occidentaux, explique le spécialiste, « l’idée est de réinvestir le Soudan avec une bonne gouvernance, avec des gens crédibles. On réceptionne les acteurs civils, pas les militaires ni les mercenaires de la société soudanaise. Ce sont ceux qui ont été retenus à la fois par les militaires et la communauté internationale pour essayer d’obtenir des crédits pour relancer la machine économique soudanaise. Ce ne sont pas eux qui ont la main, ils sont là pour aller chercher de l’argent à n’importe quel prix. On souhaite que le Soudan se redresse pour être productif et utile [...] ce qu’on voudrait que le Soudan soit. Mais il faudrait surtout savoir ce que les Soudanais veulent faire du Soudan. »

Dominique Tchimbakala, de TV5MONDE explique les objectifs de cette conférence:

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Des chefs d'Etat, des ministres, des institutions internationales et la société civile soudanaise

Le 17 mai, cette conférence internationale d'appui à la transition soudanaise doit réunir en présentiel le président du Conseil de souveraineté soudanais, M. Abdel Fattah Al-Burhan, et le premier ministre soudanais M. Abdallah Hamdok ainsi que des dirigeants de pays africains, notamment du Soudan du Sud, d’Egypte, du Rwanda et d’Ethiopie.

Sont également attendus des délégations des ministères des Affaires étrangères de pays du Golfe et d’Etats européens ainsi que des dirigeants d’organisations internationales comme le Fonds monétaire international, Union africaine, Banque africaine de développement et Ligue des Etats arabes.

A noter que le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, devrait assister aux réunions en distanciel.

En outre, des membres la société civile soudanaise feront le déplacement à Paris pour participer à une soirée intitulée "Voix de la révolution soudanaise" organisée par le ministère des Affaires étrangères et l'Institut du Monde Arabe à Paris le 18 mai.