Fil d'Ariane
Plutôt effacée dans la gestion de la partition du Soudan et la création du Soudan du Sud en 2011, soutenue par les Etats-Unis, la France essaye de prendre, avec ce forum international, les rênes d’un dossier éminemment important pour l’un des plus grands pays d’Afrique. Cette conférence fait ainsi suite à un engagement pris par le président français, Emmanuel Macron, à l’issue d’une visite de M. Hamdok, en septembre 2019. Il avait alors affiché son « soutien inconditionnel à la transition démocratique » au Soudan.
« Je pense que la France est à la manœuvre et que le président français voulait en faire un événement où la France serait mise en avant avec les autres pays occidentaux, commente Marc Lavergne, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du Soudan. Elle essaye de prendre la tête d’une sorte de coalition occidentale pour « aider » le Soudan, avec qui, les relations sont très harmonieuses sur le papier. »
Avec cette conférence, on considère le Soudan comme un marché potentiel, un pays à reconstruire
Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Soudan
Marc Lavergne lui-même s'implique directement pour cette occasion en organisant une « réception » pour une partie des invités, des Soudanais faisant partie de la délégation. Il rappelle par ailleurs les prémisses de cette « sorte de tête de pont française au Soudan. Lors de la réception d’Abdallah Hamdok en 2019, M. Macron l’avait adoubé sur la scène internationale. Il avait également pris la décision unilatérale d’effacer la dette du Soudan à l’égard de la France. Un cadeau à hauteur de 55-60 millions de dollars. »
Pour l’expert, cette initiative française s’inscrit dans ligne politique d'Emmanuel Macron sur ce que doit être le rôle de la France en Afrique. « Il y a, d’un côté, l’aspect sécuritaire au Sahel et d’un autre côté, la promotion des entreprises françaises. Avec cette conférence, on considère le Soudan comme un marché potentiel, un pays à reconstruire. »
Et même si l’argument du soutien à la transition démocratique est avancé, la conférence revêt bel et bien un volet économique. « C’est très clair. On joue la carte du redressement économique de la France. Il s’agit de nourrir les sociétés françaises. Celles-ci n’ont pas un avantage comparatif comme elles l’ont dans d’autres pays francophones. Elles ont l’avantage en ce que personne n’a voulu s’investir au Soudan à part les Chinois, les Indiens ou les Malaisiens qui exploitent le pétrole soudanais. »
Marc Lavergne ne fait toutefois pas de mystère sur les intentions des protagonistes de l’événement. « Il ne s’agit pas d’aider la démocratie ou le peuple soudanais et je ne suis pas convaincu que les intervenants soudanais soient vraiment préoccupés par l’élévation du niveau de vie des Soudanais. »
Depuis l’avènement du « printemps de Khartoum » fin 2018 et une phase de transition longue de « 39 mois », la population s’impatiente de voir arriver l’embellie suscitée par le soulèvement.
Plus qu’un allègement de la dette, les aspirations citoyennes s’orientent vers des efforts d’aménagement du territoire, notamment des régions marginalisées économiquement ou en révolte contre le pouvoir central, à l’instar du Darfour. « Pour les Soudanais, la dette est quelque chose de théorique. Il y a une sorte de contradiction entre le mode d’action de la communauté internationale, qui est de faire un grand rendez-vous autour de la table pour se partager le gâteau virtuel soudanais et les attentes des soudanais qui n’en peuvent plus, déplore Marc Lavergne. Depuis leur révolution, ils n’ont pas pu avoir accès à des crédits internationaux parce qu’on leur demandait de rembourser pour des attentats commis par des criminels comme Ben Laden. »
Les membres de la délégation sont un peu déconnectés de la réalité et de l’urgence soudanaise, obnubilés par les négociations internationales pour aller chercher de l’argent frais
Marc Lavergne, chercheur au CNRS, spécialiste du Soudan
Résultat, nombre d’acteurs soudanais demeurent sceptiques quant à l’issue de cet événement. D’autant que la délégation nationale emmènera des éléments de l’appareil étatique « parachutés » à leur poste après la révolution. « Ils sont éduqués et qualifiés mais ne représentent qu’un segment très étroit de la société soudanaise. Ils se sont partagés les postes parce qu’ils ont les compétences et les réseaux à Washington, à Paris, à Bruxelles. Mais ils sont un peu déconnectés de la réalité et de l’urgence soudanaise, obnubilés par les négociations internationales pour aller chercher de l’argent frais. J’ai peur que, même s’ils avaient de bonnes intentions en faisant des projets à long terme de développement économique avec des pays qui seraient prêts à investir au Soudan, ils ne répondent pas aux besoins immédiats de la population. »
Pénuries d’eau potable et d’essence, coupures d’électricité, inondations comme durant l’été 2020, coronavirus et invasions de criquets sur la Mer Rouge constituent quelques-uns des impératifs d’un pays à bout de souffle.
(Re)voir : Soudan et Soudan du Sud : des centaines de milliers de personnes affectées par les inondations
Pour la France comme pour les autres pays occidentaux, explique le spécialiste, « l’idée est de réinvestir le Soudan avec une bonne gouvernance, avec des gens crédibles. On réceptionne les acteurs civils, pas les militaires ni les mercenaires de la société soudanaise. Ce sont ceux qui ont été retenus à la fois par les militaires et la communauté internationale pour essayer d’obtenir des crédits pour relancer la machine économique soudanaise. Ce ne sont pas eux qui ont la main, ils sont là pour aller chercher de l’argent à n’importe quel prix. On souhaite que le Soudan se redresse pour être productif et utile [...] ce qu’on voudrait que le Soudan soit. Mais il faudrait surtout savoir ce que les Soudanais veulent faire du Soudan. »
Dominique Tchimbakala, de TV5MONDE explique les objectifs de cette conférence: