L'envol d'une plume

Congo-Brazzaville : le grand écrivain et homme politique Henri Lopes est mort

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Henri Lopes

L'écrivain et homme politique congolais Henri Lopes

Capture d'écran - TV5MONDE
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Ancien Premier ministre congolais et ambassadeur du Congo-Brazzaville à Paris, le grand écrivain Henri Lopes est décédé ce 2 novembre, en France. Son ami et compatriote Alain Mabanckou salue « sa plume traversée par une ironie décapante, son humour fin et son introspection des moeurs congolaises. »

L’une de ses dernières grandes sorties publiques s’est déroulée le 21 octobre dernier, à Bruxelles, en Belgique, lors de la 9ème édition du Rebranding Africa Forum. Créée en 2014 par le journaliste camerounais Thierry Hot, cette manifestation qui se veut « le cadre où se pensent les transformations en profondeur dont l’Afrique a besoin », a rendu hommage à Henri Lopes pour son parcours d’exception.

Les années d’apprentissage

Né le 12 septembre 1937 à Léopoldville (l’actuelle Kinshasa), dans l’ancien Congo belge, Henri Lopes grandit de l’autre côté du fleuve Congo, à Brazzaville, aux côtés de ses parents, tous deux métis et abandonnés à leurs naissances par leurs pères européens.

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Un héritage lourd et douloureux, auquel s’ajoute une trajectoire personnelle marquée par une quête identitaire qui sera le fil d’ariane d’une bonne partie de sa carrière littéraire. Arrivé en France à l’adolescence, Henri Lopes effectue ses études supérieures à la Sorbonne, à Paris, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960.

L’occasion pour lui de fréquenter la librairie Présence africaine, où il découvre notamment l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, de l’un des pères de la négritude, l’écrivain et poète président sénégalais Léopold Sédar Senghor, et parue en 1948 aux Presses universitaires de France.

Anthologie

L’écrivain guyanais René Maran, auteur de « Batouala, ce véritable roman nègre » et prix Goncourt 1921, avait dit de cette anthologie : « On assiste à l’entrée dans les lettres françaises de l’humanisme noir. » L’on comprend dès lors que cet ouvrage soit devenu le livre de chevet d’Henri Lopes.

A l’époque, la négritude bat évidemment son plein, et Henri Lopes qui éprouve le complexe du métis, veut absolument se fondre dans le monde noir.

Malheureusement, après son retour au Congo au milieu des années 1960, une campagne de congolisation des personnels de l’administration l’oblige à justifier sa filiation. Après les indépendances de certains pays africains de l’ancien Empire colonial français, l’africanisation des cadres a parfois connu des dérives de ce type.

Henri Lopes n’a jamais oublié l’indignation et la blessure ressenties à ce moment-là. Une manière très brutale de lui rappeler qu’il est métis, pas tout à fait noir, et pas tout à fait blanc.

L’entrée en littérature

C’est en 1971 qu’Henri Lopes fait une entrée très remarquée dans le monde des lettres africaines. Cette année-là, il publie « Tribaliques » aux éditions CLE, à Yaoundé, au Cameroun.

La nouvelle romance

Un recueil de nouvelles salué par la critique et considéré comme subversif, d’autant que l’auteur est ministre de l’Education nationale au Congo-Brazzaville, dirigé à l’époque par feu l’ancien président Marien Ngouabi.

Dans ces nouvelles au style déjà parfaitement maîtrisé, Henri Lopes s’attaque aux problèmes des sociétés africaines postindépendance : le tribalisme, le népotisme, la corruption, l’injustice sociale ou encore le néocolonialisme.

Suivent ensuite deux romans, « La nouvelle romance » et « Sans tam-tam », tous deux publiés par les éditions CLE. Dans ces romans, Henri Lopes poursuit notamment sa critique des sociétés africaines postindépendance. Des romans écrits alors qu’il est toujours membre du gouvernement congolais. Un gouvernement à la tête duquel il est porté entre 1973 et 1975.

Le pleurer rire

Ce cycle de romans politiques culmine avec la publication en 1982, aux éditions Présence africaine, d’un roman considéré aujourd’hui comme un classique de la littérature africaine : « Le pleurer-rire ».

Dans ce roman aux voix multiples et à la structure plutôt complexe, Henri Lopes explore la problématique du pouvoir. Il y dépeint avec humour et ironie, le pouvoir dictatorial.

Dans un style qui mêle très habilement une langue châtiée et le francongolais, le français parlé au Congo-Brazzaville, Henri Lopes dresse le portrait haut en couleurs d’un président africain qui exerce sur son peuple un pouvoir dictatorial féroce.

La question du métissage

En 1990, alors qu’il est en poste à l’UNESCO, Henri Lopes publie « Le chercheur d’Afriques », aux éditions du Seuil. Un roman qui rompt avec les précédents et dans lequel l’auteur aborde pour la première fois la question du métissage.

Une enfant de poto poto

Henri Lopes puise donc dans sa propre expérience de mulâtre le matériau nécessaire à l’écriture de ce roman. Dès lors, cette question du métissage devient le fil d’ariane de ses œuvres littéraires.

C’est notamment le cas avec « Une enfant de Poto-Poto », roman publié en 2012, aux éditions Galimard. Cette année-là, Henri Lopes reçoit le prix littéraire de la Porte dorée.

A partir de l’histoire d’amitié entre deux lycéennes, fascinées par leur professeur de lettres, un métis venu de France, Henri Lopes passe en revue quatre décennies de la vie politique et de l’évolution de la société congolaise postindépendance.

Ambassadeur de la République du Congo en France de 1998 à 2016, Henri Lopes avait quitté ses fonctions politiques pour se consacrer à plein temps à l’écriture.

Sur sa page Facebook, son ami et compatriote Alain Mabanckou a écrit : « Nous avions tous admiré sa plume traversée par une ironie décapante, son humour fin et son introspection des moeurs congolaises. »

Fin connaisseur des lettres en général et de celles du continent africain en particulier, l’écrivain togolais Sami Tchak a renchérit : « L’auteur du Pleurer-rire nous laisse à travers tous ses livres un rire qui interrogera toujours. »