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Le marché de Kituku, sur les rives du lac Kivu, à Goma, le 2 avril 2020.
"Lorsqu’on est journaliste occidental, même avec les meilleures intentions du monde, on adopte une autre perspective de l’actualité africaine. Et c'est important d'entendre les voix des journalistes africains." De cette vision du métier, Finbarr O'Reilly a voulu en faire un leitmotiv pour son projet "Congo in conversation", lancé avec la Fondation Carmignac.
Depuis 2009, le Prix Carmignac du photojournalisme soutient, chaque année, la production d’un reportage photographique et journalistique d’investigation sur les violations des droits humains dans le monde et les enjeux géostratégiques qui y sont liés. Le ou la lauréate reçoit une bourse lui permettant de réaliser un reportage de terrain de 6 mois et une exposition itinérante est organisée à son retour.
En janvier 2020, Finbarr O'Reilly, devenu le 11e lauréat du Prix Carmignac, repart avec son projet en République démocratique du Congo. Un pays où il a été correspondant une paire d'années avant de couvrir l'Afrique des Grands lacs, et de se baser une dizaine d'années au Sénégal, pour l'agence de presse Reuters. Mais peu de temps après son arrivée, la pandémie de Covid-19 atteint le continent africain.
Rutshuru, province du Nord-Kivu, février 2020. Des employés funéraires de la Croix-Rouge portent le corps d’une enfant de 11 mois victime de l’épidémie d’Ebola.
"J’ai dû rentrer mais il était pour moi important de mener à terme ce projet. En discutant avec les membres de la Fondation Carmignac nous avons lancé "Congo in conversation". L’idée c’était de coller au mieux à l’actualité. C’est la première fois que la Fondation s’engage dans ce type de projet. Les événements ont décidé de la dynamique de travail." Avec "Congo in conversation", le photojournaliste britannique chevronné se lance donc dans l'aventure du journalisme collaboratif et inclusif.
Finbarr O'Reilly assure, depuis Londres, la coordination des équipes et la rédaction en chef du site. Le nombre de contributeurs augmente sans cesse : journalistes, photographes, réalisateurs, cadreurs… Les reportages - réalisés en respectant les restrictions et les règles sanitaires et sécuritaires - ne se limitent pas à la seule crise du coronavirus : économie, droits humains, sécurité mais aussi la vie quotidienne des Congolais.
Ainsi, Bernadette Vivuya est partie à la rencontre du trio fondateur du Amka Dance Project à Goma. Le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, dans l'est de la RDC, vit depuis des semaines au rythme des règles sanitaires. Ce mercredi 20 mai encore, un couvre-feu a été instauré pour ses deux millions d'habitants et le port du masque rendu obligatoire, après la confirmation de sept nouveaux cas de Covid-19.
Dans son reportage, la réalisatrice montre comment la troupe de danseurs de Goma parvient tout de même à s'exercer malgré les restrictions sociales et sanitaires. Les membres du "Amka Dance Project s’entraînent toute l’année pour rester à leur meilleur niveau, même s’ils doivent pour cela baisser la musique et danser en cachette", raconte-t-elle.
"Mon espoir c’est de faire émerger une nouvelle génération de photographes. Entre le partage de mes connaissances et la vision des photographes africains tout le monde y gagne : moi, les journalistes sur le terrain et la Fondation Carmignac". Finbarr O'Reilly l'affirme, l'idée n'est pas seulement de dispenser son savoir auprès de nouveaux talents mais c'est aussi l'opportunité de créer un cercle virtueux.
Parmi les jeunes contributeurs : Arlette Bashizi, 20 ans à peine et déjà la tête bien sur les épaules. Arlette vit à Goma avec sa famille. Elle se prend de passion pour la photographie il y a deux ans. Il y a quelques mois, elle interpelle Finbarr O'Reilly via son compte Instagram. A son grand étonnement, ce dernier lui répond et décide de la rencontrer.
Lors de notre rencontre, "j’ai vu qu’elle avait un potentiel et une véritable passion pour la photo. Grâce au site "Congo in conversation" elle peut démontrer qu’elle a du talent et donner plus de visibilité à son travail", résume le photojournaliste.
C'est alors qu'il lui demande de photographier sa vie à Goma. De ce photoreportage, ressortira notamment cette scène étonnante : la petite soeur d'Arlette, confinée comme les autres écoliers, étudie à la lueur d'un téléphone portable, après une des nombreuses coupures d'électricité qui émaillent le quotidien de la grande ville.
"Un mois est presque passé et nous attendons la suite", écrit-elle. "Les autorités nous disent qu’elles attendent pour lever le confinement, mais nous ne savons pas quand il aura lieu et à quoi il ressemblera. Dans ce domaine, nous sommes comme tout le monde : un peu dans l’obscurité."
Ce projet journalistique, Arlette Bashizi le vit comme une réelle opportunité de montrer un autre visage de la République démocratique du Congo. "J’aimerais utiliser mon expérience pour aider ceux qui ne peuvent pas se faire entendre. Beaucoup se font une idée préconçue : la guerre, les massacres, les viols, la misère… Mais nombre de personnes se construisent. Il faut casser cette image négative de la RDC à l’extérieur. En partageant des histoires, des bouts de vie, c’est montrer la réalité du quotidien ici. Il y a des problèmes, bien sûr, mais il suffit de changer de perspective", plaide-t-elle.
En cela, la vision de la jeune photographe rejoint celle de Finbar O'Reilly. Ce journalisme collaboratif et inclusif mis en place par les circontances de la vie veut aussi remplir une autre mission : "Le photojournalisme est une profession dominée par les hommes", rappelle l'initiateur de "Congo in conversation". Les femmes étant très nombreuses parmi la population congolaise (51% selon ONU Femmes), il était "important qu’on entende leurs voix", clame-t-il. C'est pourquoi le projet respecte la stricte parité.
Pour Arlette Bashizi, la parité est, bien entendu, très importante, mais sa réflexion va plus loin encore. "Il ne suffit pas de dire qu’il y a autant de femmes que d’hommes photographes", dit-elle, "il faut que ces femmes soient choisies parce qu'elles sont aussi compétentes que les hommes. C’est le travail qui sera produit par ces femmes qui nous permettra à toutes d'avoir toutes les mêmes chances. C’est pour cela que dans mon travail j’aime photographier les femmes car nous n’avons pas eu les mêmes opportunités depuis… la nuit des temps ! Si on ne se met pas ensemble pour aller de l’avant, la situation ne pourra jamais changer".