COP27 : "La COP de l'Afrique signifie que ses résultats profitent aux populations africaines"

Entretien. Diplômée en physique et en énergies renouvelables, Nisreen Elsaim, est l'une des voix africaines qui porte dans la lutte contre le réchauffement climatique. A 27 ans, cette jeune Soudanaise défend la cause des pays africains les plus vulnérables et les plus impactés, et milite pour le climat comme pour la démocratie.
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reflets d'enfants soudan du sud
(AP Photo/Adrienne Surprenant, File)
Photo d'illustration. Reflet d'enfants dans une étendue d'eau conséquente à des inondations, 20 octobre 201, Langic, Soudan du Sud.
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nisreen Elsaim portrait
©DR
Nisreen Elsaim préside l'Organisation de la jeunesse soudanaise sur le changement climatique et le Groupe consultatif de la jeunesse du Secrétaire général des Nations Unies sur le changement climatique.
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Présidente du Groupe consultatif de la jeunesse sur le changement climatique auprès du secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, Nisreen Elsaim participe à la COP 27. Elle a partagé avec nous ses motivations quelques jours avant le sommet de Charm el-Cheikh. Entretien.

Nisreen Elsaim
Nisreen Elsaim préside l'Organisation de la jeunesse soudanaise sur le changement climatique et le Groupe consultatif de la jeunesse du Secrétaire général des Nations Unies sur le changement climatique.
©DR/@TimepDC

TV5MONDE : Que signifie l’injustice climatique globale qui est dénoncée notamment par les pays africains ?

Nisreen Elsaim, militante soudanaise et présidente du Groupe consultatif de la jeunesse sur le changement climatique à l'ONU : Cela signifie que les pays développés utilisent toutes leurs ressources en charbon, pétrole et énergies fossiles et demandent aux pays en développement de ne pas utiliser leurs énergies fossiles et de trouver d’autres moyens de produire de l’énergie comme les énergies renouvelables. Mais celles-ci sont également contrôlées par ces mêmes pays et leur coût est beaucoup trop élevé pour les pays en développement. Aujourd’hui, ces derniers souffrent de l’impact des changements climatiques qu’ils n’ont pas causé mais en même temps ils ne peuvent pas utiliser leurs énergies fossiles pour pouvoir se développer.

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TV5MONDE : Les pays africains en développement doivent-ils utiliser leurs ressources fossiles pour se développer ?
 
Nisreen Elsaim : C’est compliqué d’y répondre : oui, ils ont le droit de se développer et le droit à l’énergie. Mais nous vivons tous sur une seule et même planète. Si on emet plus de gaz à effet de serre, ce n’est pas les pays développés qui vont être les plus touchés, donc ce serait comme si on se tirait une balle dans le pied. Mais il est légitime d’avoir accès à l’énergie pour pouvoir se développer.

[Nisreen Elsaim est la présidente du Groupe consultatif de la jeunesse du Secrétaire général des Nations Unies sur le changement climatique qui engage les jeunes sur le changement climatique et l'adaptabilité. Ravi d'entendre son point de vue lors de notre 5ème séminaire YPS.]
 
TV5MONDE : Avez-vous déjà subi les effets des changements climatiques dans votre pays et dans votre vie quotidienne au Soudan ?
 
Nisreen Elsaim : Oui, énormément. Au Soudan, les étés deviennent de plus en plus chauds et atteignent parfois 50 C°. Par ailleurs, on n’a plus d’hiver depuis des années, on a eu beaucoup d’inondations durant les trois ou quatre dernières années. Parfois, nous avons beaucoup d’eau et des inondations, et d’autres fois c’est l’opposé, il n’y a pas d’eau et c’est la sécheresse.

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Je ne mentionne même pas les conflits autour des ressources naturelles et bien d’autres problèmes causés par la vulnérabilité aux changements climatiques comme le fait que 70% de la population vit de l’agriculture et du pastoralisme. Les paysans comme les éleveurs dépendent des précipitations et si il n’y a pas ou s’il y a trop d’eau, cela pose problème.

On ne peut pas s’attaquer à la crise climatique sans démocratieNisreen Elsaim, militante soudanaise du climat

TV5MONDE : Est-ce que les femmes et les filles souffrent plus des conséquences de la crise climatique que les hommes ?
 
Nisreen Elsaim : Je pense que toute la population du Soudan souffre beaucoup des changements climatiques. Les femmes et les filles souffrent plus car elles ont des besoins différents. Je me souviens qu'en 2020, il y a eu un cas d’inondations dans une région et trois femmes étaient sur le point d’accoucher. Mais on ne pouvait pas les emmener à cause des inondations. Toutes les routes étaient impraticables et on a dû faire venir une infirmière par hélicoptère. Cela fut très difficile car s’il y avait eu une complication, il n’y avait ni docteur, ni hôpital pour faire une césarienne. Il ne restait plus qu’à prier pour que l’accouchement se passe sans complication.
 
Un autre aspect au Soudan, notamment à l’ouest et au sud, est que la gestion du foyer est le domaine réservé des femmes et filles de la famille. Pour aller chercher de l’eau, elles doivent parfois marcher pendant 3-4 kilomètres loin de chez elles. Moment où elles peuvent être exposées à des violences, des viols, car il s’agit de zones rurales où elles sont des cibles faciles.
 
TV5MONDE : En tant que Soudanaise, qu’attendez-vous de la COP 27 ?
 
Nisreen Elsaim : Je vais y participer. Certains disent qu’il s’agit de la COP de l’Afrique parce que cela se passe en Afrique. Pour moi, ce n’est pas ça, la COP de l'Afrique signifie que ses résultats profitent aux populations africaines.

L’Afrique n’a pas beaucoup d’émissions de CO2, donc la question de leur atténuation n’est pas vraiment notre problème. Nous avons des objectifs globaux d’adaptation qui sont très importants. Nous devons préparer nos communautés à ce qui va arriver de plus en plus.

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Si on prend la question du financement : les financements sont insuffisants. Comment mobiliser plus de ressources pour mener des actions sur le climat ? Comment permettre plus facilement à l’Afrique d’avoir accès à ces actions pour le climat ? C’est l’un des principaux objectifs de la COP27.

Il y a également les dommages très important pour les pays et les villes causés par les inondations, les cyclones etc.

Un autre thème important cette année est le bilan mondial, pour savoir où en est un pays dans la réalisation de ses actions climatiques pour atteindre les objectifs mondiaux fixés dans l'Accord de Paris en 2015. 

Il y a donc beaucoup de thèmes en débat. Tous sont très importants pour le mouvement social mondial, pour le climat, et sur la façon dont nous allons favoriser notre adaptation climatique dans nos pays. 
 
TV5MONDE : Pensez-vous qu’au Soudan, la jeune génération est plus consciente des questions climatiques ?
 
Nisreen Elsaim : Je pense que oui. La jeune génération a plus accès aux réseaux sociaux, à internet, elle est mieux connectée au reste du monde. Mais je ne peux pas dire que cela fait partie intégrante de la vie quotidienne des Soudanais. Il y a encore beaucoup de travail à faire. C’est aussi parce que les familles soudanaises font face à de nombreux défis. La crise économique fait très mal et ne fait qu’empirer, l’inflation grimpe, les prix augmentent, et il y a, bien sûr, les questions de santé, d’éducation etc. Selon l’Unicef, sept millions d’enfants sont non scolarisés au Soudan en 2022. D’après moi, les chiffres sont plus élevés.

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Sans parler de l’instabilité politique. Il y a un an, un putsch est survenu le 25 octobre. Depuis, nous avons un autre modèle de gouvernement et avant cela, c’était la révolution, donc une situation instable également.

Il y a beaucoup de choses à régler, et malheureusement, les changements climatiques ne figurent pas au sommet des priorités alors qu’ils impactent tout le monde. Donc nous devons travailler plus pour rendre les gens plus conscients de la situation.

70% de la population soudanaise utilise du charbon de bois, c'est à dire favorise la coupe les arbres, brûle le bois puis brûle le charbon de bois, ce qui a un triple effet négatifNisreen Elsaim, militante soudanaise du climat

TV5MONDE : Y a-t-il un lien entre démocratie et questions climatiques ? Pensez-vous qu'on ne peut pas s’attaquer à la crise climatique sans démocratie ?

Nisreen Elsaim : On ne peut pas s’attaquer à la crise climatique sans démocratie. Les pays qui connaissent l’instabilité politique sont plus vulnérables aux changements climatiques. Notre conception de la gouvernance climatique est synonyme de bonne gouvernance.

Les changements climatiques sont un problème transversal. Cela touche à l’eau, donc le ministère de l’Eau est concerné. Cela touche aussi à la Santé, donc le ministère de la Santé est aussi concerné. Mais aussi à l'agriculture et à son ministère, aux troupeaux et au ministère de l’Élevage. C’est également en premier lieu un problème d’énergie : donc les ministères de l’Énergie et des Mines sont également concernés. En outre, il s'agit aujourd'hui d'un enjeu diplomatique donc le ministère des Affaires Étrangères devrait être impliqué. Enfin, comme on parle beaucoup de financement climatique et de la capacité des institutions à gérer les fonds qui sont investis, le ministère des Finances doit être impliqué. En résumé, nous avons déjà sept ministères qui devraient être impliqués pour avoir une action efficace face aux changements climatiques. Donc s’il n’y a pas de gouvernement en place, comment faire pour traiter le problème ?

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Au Soudan, cela fait des années que nous n’avons pas de gouvernement digne de ce nom. Par exemple, on coupe les arbres et on pratique la déforestation pour faire du charbon de bois, pour faire la cuisine, ce qui n’est pas acceptable. C’est par manque d’observation, manque de contrôle sur les territoires, et par manque de gouvernance bien sûr. Seule 30% de la population a accès à l’électricité, donc 70% des Soudanais utilisent du charbon de bois, c'està-dire qu'ils favorisent la coupe les arbres, brûle le bois puis brûle le charbon de bois, ce qui a un triple effet négatif.
 
TV5MONDE :  Est-ce que les pays riches doivent payer pour les dégâts catastrophiques des changements climatiques dans les pays vulnérables en Afrique ?
 
Nisreen Elsaim : Absolument. Mais la question est de savoir comment ils doivent le faire. C’est très compliqué, car si les changements climatiques sont un problème scientifique, étant donné les intérêts et les engagements que cela implique, c’est devenu un problème politique.

Donc c’est difficile de dire comment les pays développés devraient agir. Ils pourraient le faire déjà en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre dans le total responsable du réchauffement global mais aussi à travers des financements qui aideront considérablement.

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