Fil d'Ariane
TV5MONDE : Quelles sont les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 en Afrique ?
Mario Pezzini : La crise du Covid-19 frappe l'Afrique avec un double choc simultané et sans précédent de l'offre et de la demande. Plus concrètement, l’on observe une chute des recettes d'exportation et des investissements directs étrangers, des perturbations des économies dépendantes du pétrole, un commerce au ralenti, le tourisme à l’arrêt et des transferts de fonds en très forte baisse.
Tout cela constitue aussi les résonances du choc subi par les pays de l’OCDE, en particulier européens, au niveau régional. Avec pour conséquences un effondrement de la demande africaine et du commerce intra-africain, une intensification des crises alimentaires et humanitaires et les flux migratoires qui y sont associés.
En chiffres, cela se traduira par une croissance en Afrique subsaharienne en 2020 à -1.6% (soit -3.4% au Nigeria, -5.8% en Afrique du sud), selon les chiffres du Fond Monétaire International publiés à la mi-avril.
À l’échelle du continent, nos prévisions conjointes du Centre de développement de l'OCDE et de la Commission de l’Union Africaine estiment la croissance à -0,9% en 2020 dans un scénario moyen, contre la projection initiale de 3,4% en novembre dernier.
Nombre de pays africains ont des économies fondées sur les exportations de matières premières. Comment éviter qu’elles ne s’effondrent dans le contexte actuel ?
Mario Pezzini : Les économies des pays qui dépendent des exportations de pétrole et de l'exploitation minière sont les plus touchées pour le moment par l’impact du Covid-19. Selon la Banque mondiale, la croissance pourrait chuter de 7 points de pourcentage (passer de 10 à 3% par exemple, ndlr) dans les pays exportateurs de pétrole et de plus de 8 points de pourcentage dans les pays exportateurs de métaux.
Et pour cause, les prix du pétrole brut et des métaux industriels ont fortement chuté (de 50 et 11 % respectivement, entre décembre 2019 et mars 2020). En Afrique centrale par exemple, le pétrole représente à lui seul près de la moitié de toutes les recettes étrangères.
Le défi qui se pose est celui de la transformation productive, laquelle nécessite des stratégies de long terme telles que préconisées par l’Union Africaine. Cela passe notamment par la mise en œuvre accélérée de la Zone de libre-échange continentale africaine, mais aussi par la diversification des économies.
La zone de libre-échange permettra d’attirer les investissements directs étrangers et des investissements conjoints dans les biens publics régionaux, afin de stimuler la transformation locale de matières premières et le transfert de technologies.
Enfin, il est capital de soutenir la transformation numérique des économies africaines. Les politiques visant à l’intensifier peuvent induire des changements fondamentaux dans les structures de l'emploi et de la production du continent.
Quelles sont les conséquences de la pandémie de Covid-19 sur le secteur informel qui emploie le plus de personnes sur l’ensemble du continent africain ?
Mario Pezzini : Nous estimons qu’environ 86% de l'emploi total en Afrique est informel, et jusqu'à 91% dans les pays d'Afrique de l'Ouest. Et les femmes sont les plus mal loties (sur l'ensemble du continent, ndlr) : 90 % de celles qui travaillent occupent un emploi informel contre 83% pour les hommes.
Cette main-d'œuvre (commerçants, détaillants et travailleurs manuels) est la plus vulnérable, en raison des conditions de travail précaires et surtout parce que l'incapacité de travailler due aux mesures de confinement menace leur propre survie.
Par ailleurs, les travailleurs informels ne sont pas comptabilisés et ne bénéficient pas de mesures de protection sociale, y compris de transferts de fonds conditionnels (destinés à la lutte contre la pauvreté, ndlr). L'Organisation Internationale du Travail (OIT) estime que 82% des Africains sont sans protection sociale et seule une petite partie de la population économiquement active est couverte par des régimes légaux de sécurité sociale, la plupart étant des régimes de retraite.
Il faut veiller à la cohésion sociale en ces moments de crise (préoccupations allant des systèmes de soins de santé à flux tendus aux défis liés à la garde des enfants pendant les fermetures d'écoles), tout en tenant compte des secteurs de la population les plus vulnérables entre autres pour éviter des troubles sociaux en Afrique.
Comme le président français Emmanuel Macron, beaucoup plaident aujourd’hui pour une annulation de la dette des pays africains. Cette solution vous paraît-elle efficace et suffisante ?
Mario Pezzini : La service de la dette en Afrique - qui s’élève à 44 milliards de dollars en 2020 - se divise entre dette bilatérale (État à État) à hauteur de 32%, dette multilatérale envers la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) (35%), et enfin dette privée (32%). La dette publique totale représente 62% du Produit intérieur brut (PIB) du continent en 2019, ce qui reste raisonnable, même si certains pays sont plus endettés (Cap-Vert, Djibouti, République du Congo et Mozambique).
Compte tenu du contexte actuel, des instruments tels que le rééchelonnement ou le moratoire d’un an sur la dette décidé par le G20 sont les bienvenus pour permettre aux pays africains de se concentrer et absorber le choc les plus immédiats de la crise sanitaire liée au Covid-19, mais ils ne seront pas suffisants.
En effet, face à la chute des revenus et à la montée en flèche des coûts d'emprunt, il faut donner aux pays africains la marge de manœuvre budgétaire dont ils ont besoin pour consacrer davantage de ressources à la lutte contre le virus. À titre d’exemple, en 2016, l'Angola a dépensé près de six fois plus pour le service de sa dette extérieure que pour les soins de santé publics.
Quinze pays d'Afrique subsaharienne ont dépensé plus d'argent pour payer des créanciers à l'étranger que pour des médecins et des cliniques à domicile. La communauté internationale peut aider en restructurant la dette sur une plus longue période et en la réduisant. Pour cela, il est essentiel que tous les acteurs concernés par la dette siègent autour d’une même table : les anciens et nouveaux créanciers, y compris le secteur privé.
Quelles mesures préconiseriez-vous pour permettre aux pays africains de mieux faire face à une telle crise à l’avenir ?
Mario Pezzini : Après la crise, une meilleure mobilisation sur le long terme de ressources nationales et internationales stables, et coordonnées au niveau du continent sera indispensable afin de renforcer la capacité à répondre à de futurs chocs. Pour soutenir ces efforts, il est impératif de reconnaître que certaines visions telles que celle du Consensus de Washington (mesures néolibérales qui conditionnent l'aide à la dérégulation des économies, ndlr) ne sont plus ni opérantes ni adaptées à la réalité des pays en développement.
Nous avons besoin d’une nouvelle approche pour aborder les stratégies de développement de l’Afrique. À ce titre, il nous semble urgent de nous mettre autour d’une plateforme institutionnelle panafricaine afin de mieux coordonner les investissements en Afrique, leviers essentiels du développement.
Il lui appartiendra de mieux coordonner les approches entre partenaires de l’Afrique (Union Européenne, Japon, Chine, États-Unis, Inde etc.) et pays africains ; ce qui permettra de gagner en efficacité et en effet d’entraînement. Les discussions initiées par le Centre de développement de l’OCDE avec l’Union Africaine vont dans ce sens.
De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer un changement d’orientation économique. Quel regard portez-vous sur ces initiatives ?
Mario Pezzini : Avant même l'émergence du coronavirus, une nouvelle phase de la mondialisation était en marche. Pour qu'elle profite à la planète dans son ensemble, la mondialisation nécessite une meilleure gestion des biens publics mondiaux et un système de gouvernance internationale plus solide et inclusif pour promouvoir l'équité et les engagements partagés.
Concrètement, il s’agit de mettre en place un ensemble d'initiatives mondiales, dont un nouveau Plan Marshall, sur lesquelles une véritable coopération peut être bâtie et discutée autour de tables plus représentatives de la situation actuelle.
La crise du Covid-19 nous montre l’urgence de réaliser cette vision et ce que coûte l’échec. Si nous n'agissons pas, ces coûts ne feront qu'augmenter, car la prochaine crise - l'urgence climatique - est déjà à nos portes.