Fil d'Ariane
TV5MONDE : Selon vous le coronavirus frappera les économies africaines par vagues, quels sont les premiers secteurs économiques impactés en Afrique par la pandémie ?
Jean-Paul Mvogo : La pandémie de coronavirus aura de lourdes conséquences économiques en Afrique. Elle va frapper les pays africains dans la durée, en trois vagues successives.
La première vague touche les secteurs du transport et du tourisme. Ce sont des secteurs d’activité qui se trouvent en première ligne dans cette crise sanitaire. Pour empêcher l’entrée du virus sur le territoire, des décisions politiques radicales ont été prises dès le début comme l’annulation des vols et la fermeture des frontières. Face à cela, plusieurs compagnies aériennes africaines se sont fédérées pour négocier des aides.
Quant au tourisme, il est victime des effets de panique qui se caractérisent par l’annulation massive de réservations. Certains pays sont très touchés, comme les Seychelles, mais aussi des économies figurant dans le top 10 sur le continent comme le Maroc.
Une deuxième vague liée au commerce va arriver plus tard, cela prendra quelques semaines avant de produire ses effets. Elle part de la Chine. La fermeture des usines chinoises provoque un ralentissement des exportations africaines. Cela impacte déjà les prix des matières premières à la baisse, par exemple sur le cuivre ou sur le baril de pétrole, ce qui réduit les recettes d’exportations des pays africains.
Enfin une troisième vague est liée aux mesures de confinement des populations et d’arrêt des activités. Elles vont priver des millions de personnes de source de revenus.
(Re)voir - À Madagascar, l'exode urbain pour les plus modestes :
Il est particulièrement difficile d’appliquer ces mesures dans les villes africaines où des populations travaillent dans le secteur informel au jour le jour sans filet de sécurité. Il faudra faire très attention dans les mois à venir aux conséquences sociales et politiques de cette troisième vague.
TV5MONDE : Quelles sont les économies africaines les plus touchées depuis le début de la pandémie ?
Jean-Paul Mvogo : Les premiers pays africains touchés sont soit ceux qui figurent sur la mappemonde touristique, soit les carrefours de la mondialisation.
C’est d’abord par le canal du tourisme et du transport que l’impact se fait ressentir. Au Maroc, en Égypte, en Afrique du Sud mais aussi dans des petits pays comme l'île Maurice ou le Cap-Vert.
Les pays relais de la mondialisation sur le continent comme l’Éthiopie, le Kenya, le Ghana, l’Afrique du Sud ou le Nigeria sont aussi affectés. Ils servent de portes d’entrée pour les investisseurs en Afrique, abritent les sièges régionaux de grandes institutions ou de multinationales et disposent de fortes communautés d’expatriés. Ils sont donc touchés par le ralentissement des flux financiers.
D’autres pays seront touchés plus tard, notamment à cause de la chute des cours du pétrole et baisse des matières premières. L’Angola en tant que premier exportateur d’or noir vers la Chine, mais aussi l’Afrique du Sud et le Congo Brazzaville, les deuxième et troisième plus grands partenaires commerciaux de la Chine.
Ou encore les pays qui exportent beaucoup vers la Chine comme la République Démocratique du Congo, le Tchad, le Gabon, la Guinée et la Guinée Equatoriale.
TV5MONDE : L’Afrique est-elle plus vulnérable économiquement face à la pandémie?
Jean-Paul Mvogo : Il faut observer ces dernières années une hausse de l’intégration de l’Afrique dans la mondialisation, ce qui est lourd de conséquences. Le continent est devenu plus vulnérable sur le plan commercial.
À titre de comparaison, lors de la crise financière de 2008, l’Afrique n’avait pas été trop touchée, les conséquences se sont faites ressentir avec une année de retard à travers la chute des exportations. Mais aujourd’hui, cette crise sanitaire l’affecte très durement notamment par le biais du tourisme, avec des annulations de réservations de plus de 50%.
Les pays africains doivent partager leurs expériences et emprunter ensemble afin de mieux négocier les taux d’intérêts.
Jean-Paul Mvogo, économiste et maître de conférences à Sciences Po Paris
TV5MONDE : Quelles sont les forces et les faiblesses économiques des pays africains face à la pandémie de coronavirus ?
Jean-Paul Mvogo: Les pays dont la gestion est solide, qui ont fait preuve de bonne gouvernance économique et dotés de réserves financières et de ressources, auront de la marge de manoeuvre.
Il y a aussi les pays qui ont un système de santé plus résilient, ou qui pourront tirer profit d’un savoir-faire, comme la Guinée après l’expérience de l’épidémie d’Ebola.
D'autres États vont adopter une riposte économique et sanitaire par exemple en y associant et finançant des start-ups et entreprises locales dans la mise au point d’applications de gestion du confinement, ou dans le dépistage et le traitement.
À titre d’illustration, une start-up sénégalaise, diaTropix, travaille actuellement sur un test de dépistage du coronavirus à moindre coût. En RDC, Pharmakina a relancé sa production de chloroquine.
Pour soutenir les ménages en période de confinement, les pays africains pourraient aussi mobiliser l’expertise continentale en matière de transferts d’argent via des comptes de monnaie électronique.
D’une manière générale, les pays devront mobiliser toutes leurs compétences pour faire face à l’épidémie. Ce sera une excellente occasion pour mobiliser les économistes locaux, notamment dans les banques centrales et les ministères des Finances.
Mais la clé du succès réside dans la coordination africaine de la réponse.
TV5MONDE : Que signifie une riposte africaine coordonnée ?
Jean-Paul Mvogo : Il ne faut pas que chaque pays africain riposte dans son coin mais il faut se coordonner économiquement. Dans le scénario le plus grave du confinement, il est indispensable de financer le manque à gagner par des aides d’urgence. Cela est possible si l’on a suffisamment de ressources. Sinon il faudra demander aux marchés internationaux.
Les conditions d’accès seront très disparates selon les pays africains, si c’est chacun pour soi. Par exemple, certains pourraient être tentés de mettre en gage leurs réserves pétrolières avec un baril fixé au tarif actuellement très bas autour de 30 dollars et être perdant à l’avenir quand les prix vont remonter.
C’est pourquoi les pays africains doivent partager leurs expériences et emprunter ensemble afin de mieux négocier les taux d’intérêts, les délais de grâce ou favoriser les dons et subventions.
TV5MONDE : La pandémie du coronavirus nécessite-t-elle un plan d’action global en faveur de l’Afrique ?
Jean-Paul Mvogo : La coordination de la riposte sur le continent doit être portée par les Africains eux-mêmes même si cela implique l’intervention de tout le monde. Certaines institutions africaines, dont la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies, l’Union Africaine et les ministres des Finances africains, y réfléchissent déjà en termes de chiffrage des besoins.
Elles ont une meilleure connaissance des réalités. C’est le moyen de trouver les bons mécanismes, le bon calibrage pour venir faire ce plan de relance. La première estimation des besoins des économies africaines pour faire face à la crise s’élève à 100 milliards de dollars.
Le coronavirus a démontré que la santé est un bien public mondial. La solidarité est nécessaire. Il ne faut pas que l’on fasse payer le prix fort à l’Afrique.
TV5MONDE : N’y a-t-il pas un risque majeur d’aggravation de l’endettement pour l’Afrique ?
Jean-Paul Mvogo : Certains acteurs européens et américains évoquent un plan d’aide pour l’Afrique. Il y a une prise de conscience afin de ne pas répéter les erreurs du passé qui ont abouti à la crise de la dette des années 1980.
À l’époque, les gouvernements africains avaient emprunté massivement pour faire face à une récession mondiale. Aujourd’hui si le continent se finance aux conditions du marché, son endettement risque de devenir rapidement insoutenable.
En cas de scénario de réendettement massif, l’Afrique sera-t-elle à même de financer son système de santé, de contenir les autres maladies et épidémies ? Une Afrique surendettée serait une bombe démographique et sociale.
Tout doit démarrer par l’action des pays africains. Ils doivent évaluer leurs besoins, les financer en identifiant les types de ressources et aller vers les partenaires pour négocier un plan de mobilisation de ces ressources.
On peut faire appel à des agences multilatérales, des acteurs bilatéraux. Mais le plus important est de négocier collectivement une intervention avec des ressources concessionnelles, c’est-à-dire octroyées dans des conditions préférentielles, inférieures au prix du marché, ou sous formes de dons.
Lors du dernier G20, les propositions du Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed en faveur d’une annulation immédiate du service de la dette africaine en 2020 vont dans ce sens.
Reste aussi à tirer les leçons de la crise de 2008. Il ne faut surtout pas que l’argent injecté soit utilisé pour spéculer comme en 2008, ce qui avait été à l’origine de crises alimentaires en Afrique.