Coronavirus : le Sénégal traite "une cinquantaine de patients" à l'hydroxychloroquine

Le Sénégal se met à l'hydroxychloroquine, une molécule très proche de la chloroquine. Une cinquantaine de patients atteints par le Covid-19 dans le pays ont pris ce médicament avec des résultats jugés « encourageants ».
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senegal grand marché
Un employé municipal de Dakar pulvérise un produit désinfectant sur le grand marché de la ville, ce 30 mars.
AP/Sylvain Cherkaoui
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L'hydroxychloroquine, antipaludique disponible sur le marché, est au coeur d'un vif débat d'experts, entre ses défenseurs et ses détracteurs dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Les autorités sanitaires du Sénégal ont tranché en faveur de la molécule. Elles viennent d'autoriser les essais de ce médicament dans l'hôpital Fann à Dakar.

Ce jeudi 2 avril, 195 cas de contamination au coronavirus sont confirmés dans le pays qui compte son premier mort des suites du coronavirus, l'ancien président de l'Olympique de Marseille, Pape Diouf.

Pape Diouf, du Sénégal à l'Olympique de Marseille, le parcours d'une légende :
 
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C'est le professeur Moussa Seydi, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Fann à Dakar, qui a décidé de recourir à ce médicament. Il affirme s’être appuyé sur l’étude co-signée par le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalier universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille pour lancer ses essais.

Depuis moins de treize jours, une cinquantaine de patients contaminés par le virus sont donc soignés avec de l'hydroxychloroquine. Cette molécule est quasi identique à la chloroquine. Le professeur Moussa Seydi dirige l'administration de ce médicament.

Le professeur Moussa Seydi n'a pas totalement suivi les prescriptions du professeur Raoult. Dans une vidéo, il annonce ne pas avoir donné un antibiotique, comme le préconise Didier Raoult - l'azithromycine, en complément del'hydroxychloroquine. Il attend de voir si la molécule ne procure pas d'effets secondaires graves.

« Nous avons constaté chez certains patients que la charge virale diminuait plus rapidement », souligne Moussa Seydi, interrogé par l’Agence France-Presse. Le médecin reste toutefois relativement prudent. « Des études ont prouvé que chez certains patients, ça peut réduire la charge virale très rapidement. Ce sont des études sur de petits effectifs et il faut des études plus importantes pour valider. »
 

Les réserves des scientifiques sur la chloroquine


L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reste pourtant très réservée sur cette molécule. Sans jamais la nommer, l'OMS déconseille aux États et aux patients de l’utiliser dans la lutte contre le Covid-19. « L'histoire de la médecine est jalonnée d'exemples de traitements qui marchent sur le papier ou dans un tube à éprouvette », explique ainsi le patron de l'agence, Tedros Ghrebeyesus.

L'Agence européenne du médicament a également souligné que l'efficacité de la chloroquine et de l'hydroxycloroquine "restaient à démontrer dans des études".

D'autres voix médicales au Sénégal demandent la plus grande prudence sur l'utilisation de cette molécule comme Daouda Ndiaye, au département de parasitologie à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. "Nous devons rester scientifiques à tous égards si on veut efficacement éteindre cette épidémie", estimait le scientifique dans un texte publié sur sa page Facebook.

Le professeur Moussa Seydi comprend ces réserves mais il invoque un contexte particulier. « Quand on se met du côté du médecin clinicien qui a envie de guérir ses malades plus rapidement, dans un contexte épidémique mondial, que ce médecin a à sa disposition un médicament bien toléré, ça ne lui coûte rien d'essayer de voir. Si c'est positif, tant mieux ! »

Une  molécule connue depuis plus de 70 ans

Cheikh Sokhna, biologiste médical et paludologue, abonde dans le même sens que son confrère. Il est chef d'équipe au sein de l'antenne de Dakar de VITROME (Vecteurs - Infections Tropicales et Méditerranéennes), une unité de recherche médicale de l'Université d'Aix-Marseille.

Les projets scientifiques de VITROME sont pilotés par l'IHU de Marseille, dirigée par Didier Raoult. « Cette molécule, la chloroquine, apparentée à l'hydroxychloroquine, est connue des Sénégalais qui l’ont utilisée quotidiennement dans la lutte contre le paludisme. C’est une molécule qui a plus de 70 ans et que le corps médical ici au Sénégal maîtrise », indique le biologiste Cheikh Sokhna, joint par téléphone.

En 2002, suivant les préconisations de l'Organisation mondiale de la santé, les autorités sanitaires du pays ont fait cesser l'utilisation de la chloroquine dans la lutte contre le paludisme. Le parasite à l'origine du paludisme y était devenu résistant.

Le biologiste Cheikh Sokhna, lui, veut croire en l’efficacité de l’hydroxychloroquine. «Ce médicament peut diminuer la charge virale et empêcher la contamination. L'enjeu est là : casser la chaîne de transmission du virus. »

Ce médicament pourrait être promis à un grand avenir sur le continent selon le biologiste. « Ses effets secondaires restent modérés si on ne procède pas à de l’automédication. Il reste bon marché. Et les autorités sanitaires du pays entendent relancer les capacités de production de ce médicament. Le laboratoire français Sanofi avait une usine de production de médicaments au Sénégal. Elle sera ensuite vendue à un homme d’affaires tunisien. Cette usine a fait faillite en janvier dernier mais les compétences sont encore là. Au Burkina Faso, le pays entend également relancer la production de l'hydroxychloroquine », indique Cheikh Sokhna.

Des pharmacies en rupture de stock

Les pharmacies sont en rupture de stock parce que "les gens se sont rués sur le médicament", note le professeur Moussa Seydi, interrogé par l'AFP. Mais les dispositions prises, selon lui, par le ministère de la Santé et la pharmacie nationale pour que le médicament ne manque pas aux médecins, attestent selon Moussa Seydi que le traitement est appelé à être généralisé au Sénégal.
 

Le professeur Didier Raoult et le Sénégal

Le professeur Didier Raoult est loin d'être un inconnu aui Sénégal. L'homme est né à Dakar en 1952. Son père est un médecin militaire français à Dakar, sa mère infirmière. La famille quitte le Sénégal et s'installe à Marseille en 1961. De 2008 à 2017, Didier Raoult dirige l’URMITE (Unité de recherche en maladies infectieuses et tropicales émergentes) à Marseille et à Dakar au sein du campus de Hann à Dakar, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l’Université Cheikh-Anta-Diop. Il dirige désormais l'Institut universitaire hospitalier de Marseille qui pilote les projets scientfiques d'une autre unité de recherche, VITROME (Vecteurs - Infections Tropicales et Méditerranéennes) qui a une antenne à Dakar et qui travaille sur les maladies infectieuses.