Corruption en Afrique du Sud : accusés d'avoir fait main basse sur l'État, qui sont les frères Gupta ?

En Afrique du Sud, le nom de Gupta rime avec corruption. Si l'extradition des frères Atul et Rajesh Gupta vers Pretoria a été rejetée par les Émirats arabes unis, leurs noms ainsi que celui d'un troisième frère, Ajay, apparaît dans la plupart des scandales qui ont forcé l'ancien président sud-africain Jacob Zuma à la démission en 2018.
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Atul Gupta en août 2010
Atul Gupta en août 2010, devant la cour d'appel de Johannesbourg en Afrique du Sud. Le 7 juin 2022, les frères Gupta,  Atul et Rajesh, ont été arrêtés à Dubai. Les Émirats ont cependant refusé leur extradition demandé par le ministère de la Justice sud-africain.
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Le ministère de la Justice sud-africain a appris "avec stupeur et consternation" que la demande d'extradition concernant Atul et Rajesh Gupta avait été rejetée par les Émirats Arabes Unis. Les deux frères d'origine indienne sont au cœur d'un vaste scandale de corruption d'État impliquant l'ex-président Jacob Zuma.

Les deux Gupta, ainsi qu'un troisième frère Ajay, d'origine indienne et redoutable trio d'hommes d'affaires, sont accusés d'avoir pillé les caisses de l'État, avec la complicité de Jacob Zuma, pendant ses neuf ans au pouvoir (2009-2018).

L'Afrique du Sud tente de mettre la main sur la richissime et influente famille depuis des années. Un rapport explosif avait dévoilé fin 2016 l'ampleur de ce qui a été baptisé dans le pays de "capture d'État".

Lire : Afrique du Sud : Jacob Zuma appelé à démissionner après un rapport accablant

Le sulfureux trio est accusé d'avoir infiltré le sommet de l'État, profitant d'une longue amitié avec Jacob Zuma qu'ils ont acheté à coups de pots-de-vin tout au long de ses deux mandats (2009-2018). Ils auraient méthodiquement siphonné les caisses du pays, pillé les entreprises publiques et étendu leur emprise jusqu'à influencer le choix des ministres.

Mariage bollywoodien

L'histoire commence en 2013 avec l'atterrissage d'un avion transportant 200 convives sur une base militaire près de la capitale Pretoria, réservée aux chefs d'État et aux manœuvres militaires, pour un mariage de la famille Gupta. 

Les invités échappent à tous les contrôles d'immigration et profitent même d'une escorte policière jusqu'au lieu du mariage.

Au fil des révélations de presse, qui se succèdent à la manière d'un feuilleton sidérant, la proximité du trio d'hommes d'affaires d'origine indienne avec le président est petit à petit mise au jour.

Pressions pour l'attribution de contrats publics, influence sur le choix des ministres: fin 2016, un rapport accablant de la médiatrice de la République dévoile l'ampleur de leur emprise, précipitant la fin de règne de Jacob Zuma, poussé à la démission par l'ANC en 2018.

Fils de famille moyenne

Ajay, Atul et Rajesh, aujourd'hui quinquagénaires, ont grandi dans une famille de classe moyenne à Saharanpur, dans le nord de l'Inde (Uttar Pradesh).

En 1993, un an avant l'élection à la présidence de Nelson Mandela, Atul s'envole vers Johannesburg, poussé par son père alors convaincu que l'Afrique du Sud allait devenir "la nouvelle Amérique", avait expliqué un porte-parole de la famille.

Il y sera rejoint par ses frères quelques années plus tard, notamment Ajay qui a suivi des études d'expert-comptable à New Delhi.

Si l'Afrique du Sud n'est pas forcément devenue l'eldorado imaginé par le patriarche Gupta, les frères ont réussi en moins de 20 ans à y bâtir un puissant conglomérat d'entreprises qui en a fait une des familles les plus riches du pays.

Sahara computers

En 1994, ils créent Sahara Computers, entreprise informatique qui a employé jusqu'à 10.000 personnes, avant sa liquidation en 2018. Ils possédaient aussi des parts dans plusieurs mines, notamment d'uranium, et des médias progouvernementaux qui ont depuis disparu.

Tony (surnom de Rajesh Gupta) m'a dit un jour (...): Nous sommes ceux qui vous ont mis en place, nous pouvons vous en faire partir

Zola Tsotsi, ex-haut responsable du géant public de l'électricité Eskom

Leur luxueuse propriété de Johannesburg a été le théâtre de nombreuses fêtes et conciliabules avec des hommes politiques, révélées par la presse et lors des auditions de la commission d'enquête sur la corruption présidée depuis 2018 par le juge Raymond Zondo.

Le lien avec Zuma

Jacob Zuma ne s'est jamais caché de son amitié avec la famille, qu'il a rencontrée au début des années 2000 avant son accession à la magistrature suprême, en 2009.

Dans un rapport publié en juin 2022, Jacob Zuma est décrit comme le "pantin" de la fratrie, prêt "à faire tout ce que les Gupta voulaient".

Lire : Afrique du Sud : Jacob Zuma mis en cause par la fuite de courriels

Un des fils du président, Duduzane Zuma, a dirigé Sahara Computers et siégeait au conseil d'administration de plusieurs mines du groupe.

En 2016, le vice-ministre des Finances Mcebisi Jonas a affirmé que les Gupta lui avaient proposé le portefeuille du Trésor.

Et le ministre des Finances de l'époque, Pravin Gordhan, a dévoilé plus de 70 transactions considérées comme "suspectes" d'entreprises détenues par les Gupta, pour un montant de 461 millions d'euros. Il sera limogé en mars 2017. 

Un ancien haut responsable du géant public de l'électricité Eskom, Zola Tsotsi, a décrit devant une commission d'enquête parlementaire le pouvoir de la fratrie. "Tony (surnom de Rajesh Gupta) m'a dit un jour (...): Nous sommes ceux qui vous ont mis en place, nous pouvons vous en faire partir".

Les raisons invoquées pour le rejet de notre requête sont inexplicables et vont à l'encontre des assurances données par les autorités des Émirats selon lesquelles notre requête était compatible avec leurs exigences

Ronald Lamola, ministre sud-africain de la Justice

Blanchiment d'argent

Au centre de la demande d'extradition figure un contrat public douteux de l'équivalent de 1,5 million d'euros. Une infime partie de l'accumulation d'accusations portées contre les frères Gupta.

Selon le ministre sud-africain de la Justice Ronald Lamola, le tribunal des Émirats arabes unis a estimé être compétent sur les faits de blanchiment reprochés aux deux frères, les faits ayant été commis aussi bien dans le pays qu'en Afrique du Sud.

Sur les accusations de fraude et de corruption, le tribunal a estimé que le mandat d'arrêt avait été annulé, selon le ministre.
"Les raisons invoquées pour le rejet de notre requête sont inexplicables et vont à l'encontre des assurances données par les autorités des Émirats selon lesquelles notre requête était compatible avec leurs exigences", a-t-il estimé.

Enfuis en Suisse

Le ministre a accusé les Émirats de ne pas avoir suffisamment consulté le gouvernement sud-africain avant le rejet de l'extradition, ajoutant qu'un tel "niveau de non-coopération" était "largement sans précédent".
"Nous avons toujours l'intention de nous tourner vers nos partenaires (...) afin de nous assurer que la décision du tribunal fasse rapidement l'objet d'un appel", a encore ajouté le ministre Lamola.
 

Toutefois, selon des informations de presse publiées cette semaine, les deux frères auraient été aperçus en Suisse fin mars.