Côte d'Ivoire : la riposte de Gbagbo

Détenu depuis 2011 à La Haye, Laurent Gbagbo est le Premier ex-chef d’État poursuivi par la Cour Pénale Internationale (CPI). Accusé d'avoir fomenté une campagne de violences ayant causé mort de  156 personnes, l'ancien président ivoirien attend désormais son procès. Et prépare sa défense. Premier acte : la publication prochaine de  "Pour la vérité et la justice" (Éditions du moment). Un ouvrage-règlement de compte où Chirac, Sarkozy et Hollande ne sont pas épargnés. Scandale assuré ?
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Côte d'Ivoire : la riposte de Gbagbo
Laurent Gbagbo a la CPI
(Capture écran)
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La Françafrique responsable  ? L'ancien président n'en démord pas : il assure avoir été évincé en faveur de son rival Alassane Ouattara à la suite d'un complot mis sur pied par la France. Le 12 juin, quand est tombée la décision de La Cour pénale internationale de juger l'ex-président ivoirien pour crimes contre l'humanité, Me Emmanuel Altit, l'avocat de l'ex-chef de l’État, ne cachait pas sa stratégie de défense. Interrogé par l'Agence France Presse, il déclarait : "Ce procès sera celui de la Françafrique , de la manipulation, des arrangements, de ceux qui ont voulu une guerre pour servir des intérêts particuliers". L'ancienne puissance coloniale en Côte d'Ivoire serait donc la cause de la disgrâce de Laurent Gbagbo. Celui-ci est accusé d'avoir fomenté une campagne de violences dans le but de conserver le pouvoir à l'issue de la présidentielle de novembre 2010. Sa responsabilité est engagée pour quatre évènements particuliers survenus à Abidjan entre décembre 2010 et avril 2011. Quelque "156 morts" lui sont imputés indiquait alors un autre de ses conseils, Me Habiba Touré. De leur côté, le Rassemblement des républicains (RDR), le parti du président Ouattara, déclarait tenir Laurent Gbagbo pour entièrement responsable du massacre. "On ne se retrouve pas à la CPI par hasard " soulignait Joël N'Guessan le porte-parole dans un communiqué. Au total, au moins 3.000 personnes ont été tuées en cinq mois de violences.
Côte d'Ivoire : la riposte de Gbagbo
Charles Blé Goudé avec Laurent Gbago en octobre 2010
photo AFP / Sia Kambou
Sa vérité Laurent Gbagbo n'est pas le seul sur le banc des accusés.  La CPI détient également Charles Blé Goudé , qui fut un homme-clé du régime Gbagbo à la tête du mouvement des "Jeunes patriotes". Lui aussi est soupçonné de crimes contre l'humanité, tout comme l'ancienne Première dame Simone Gbagbo , assignée à résidence dans la ville d’Odienné, au nord de la Côte d’Ivoire. Le régime ivoirien a refusé de la livrer à La Haye. A 69 ans, Laurent Gbagbo entend bien se défendre avec ses armes. Dans "Pour la vérité et la justice" (éditions du Moment), il dévoile sa vérité et revient sur les coulisses du pouvoir lors de moments-clé dans l'histoire de la Côte d'Ivoire. Chirac, Sarkozy, Villepin et Hollande en prennent pour leur grade.                 
Côte d'Ivoire : la riposte de Gbagbo
Laurent Gbagbo et Jacques Chirac à l'Elysée
(DR)
Chirac "C'était en 2001, je pense. Villepin et Robert Bourgi m'ont demandé de cracher au bassinet pour l'élection en 2002 en France. Nous étions au Voltaire, un restaurant qui est sur le quai du même nom, près de la Documentation française. C'était le prix pour avoir la paix, en Françafrique. J'ai eu une entrevue avec Chirac, tout s'est très bien passé, il m'a raccompagné, il était très amical, et il m'a dit en me tapant sur l'épaule, sur le perron : "Je ne suis pas un ingrat." Je ne suis pas fier de cet épisode, mais je pensais y gagner la marge de manoeuvre nécessaire pour avancer vers nos objectifs. On me l'a reproché en disant que c'était la preuve de mon double langage, que je m'appuyais sur le néocolonialisme pour le critiquer. Comme si on pouvait toujours répondre à des partenaires aussi puissants, sans employer la ruse et la diplomatie." (...) "Les 18 et 19 septembre 2002, j'étais en voyage officiel à Rome. À peine arrivé, qui je vois, à l'hôtel ? Robert Bourgi. Bien sûr, j'ai trouvé la coïncidence curieuse et, pour tout dire, ça ne pouvait pas en être une. Nous avons dîné ensemble. [...] Je suis rentré à l'hôtel. Vers 3 ou 4 heures du matin - il était 2 heures à Abidjan -, j'ai été informé par un coup de fil de l'attaque militaire massive déclenchée dans tout le pays. Je décide de rentrer immédiatement. Robert Bourgi apparaît à ce moment et insiste : "Passe à Paris voir ton grand frère [Chirac] !" Sur le moment, j'ai pensé à tous ces chefs d'État, en Afrique, qui étaient partis en voyage et n'avaient jamais pu rentrer. [...] Je ne suis pas allé à Paris, voir Chirac. Je suis rentré à Abidjan."
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Laurent Gbagbo et Dominique de Villepin à Abidjan en février 2004
photo Georges Gobet (AFP)
Villepin ? mi-Foccart, mi-Chirac... "Je suis arrivé le jeudi 23 janvier 2003, par un vol régulier d'Air France : je craignais qu'on tire sur mon avion présidentiel. Tout est toujours possible. Je devais voir Chirac le lendemain à 16 heures à l'Élysée. Le matin de ce fameux vendredi, on m'a glissé sous la porte de ma chambre, à l'hôtel Meurice, le texte des accords de Marcoussis . Bongo était descendu dans le même hôtel, pour me travailler au corps. C'était un ami de Ouattara, et le plus fidèle allié de la France depuis la disparition d'Houphouët . À 11 heures, je suis parti pour l'Élysée, Le Monde était déjà paru. Je l'ai lu dans la voiture, j'ai découvert qu'ils y donnaient déjà, en page 2, le nom du futur Premier ministre, une proche de Ouattara, membre de son parti, le RDR , Henriette Diabaté . Quand nous avons été ensemble, Chirac, Galouzeau et moi, Chirac me dit qu'il tient à ce que Henriette Diabaté soit Premier ministre. Merci, je l'avais déjà lu dans le journal ! C'est exactement ça, la Françafrique. J'ai refusé de signer. [...] Villepin m'a ainsi clairement signifié le peu de respect qu'il avait pour moi et pour ma fonction. Villepin, Soro et Ouattara ont repris en chœur la rengaine Henriette Diabaté. On aurait dit une chorale qui avait répété ensemble son concert. J'ai dit à Villepin : "Vous n'écoutez donc même pas votre président ?" Il semblait se prendre un peu pour Jacques Foccart, un peu pour Jacques Chirac, et je me demande s'il ne se croyait pas supérieur aux deux, en se prenant pour Dominique de Villepin."
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Nicolas Sarkozy et Laurent Gbagbo le 25 septembre 2007, lors d'une assemblée des Nations Unies.
Eric Feferberg / AFP
Hollande et Sarkozy "François Hollande, il venait me voir à mon hôtel chaque fois que j'étais à Paris. Je n'en ai jamais rien attendu, et je n'en attends rien. Les avocats de Ouattara ici, à La Haye, sont ses amis intimes, Jean-Paul Benoit et Jean-Pierre Mignard. Ouattara ne les a certainement pas choisis au hasard. Il sait ce que lobbying veut dire... Les socialistes français ont un complexe... Ils veulent faire croire qu'ils gouvernent comme la droite. Au début des années 2000, Villepin les a tous manipulés, en leur disant le monstre que j'étais... Ils ont eu peur d'être éclaboussés, ils m'ont lâché. [...] Sarkozy, c'est autre chose. Je l'ai rencontré pour la première fois à New York, à l'ONU, en 2007. C'est Robert Bourgi qui m'avait suggéré de faire le déplacement, pour voir le nouveau président, après tous les problèmes que j'avais eus avec Chirac. Je n'avais donc aucun a priori négatif. Il a quitté l'aire réservée aux cinq membres du Conseil de sécurité dès qu'il m'a vu, et il est venu me serrer la main. "Président, ces élections, vous les faites quand ?" [...] La discussion s'est arrêtée là. Chez lui, à la place des idées, il y a l'arrogance."
Côte d'Ivoire : la riposte de Gbagbo
“Pour la vérité et la justice“ de Laurent Gbagbo et François Mattei (Editions du moment)En vente à partir du 26 juin